C’est l’esprit de la réforme des retraites que prépare le gouvernement : une réforme définitive qui supprime le besoin de toute reforme ultérieure en mettant en place des mécanismes implacables d’ajustement des pensions. “L’élément central [de la réforme proposée par le gouvernement] est de rendre à l’avenir ces réformes [de l’âge ou de la durée] ‘automatiques’ : l’âge ou la durée augmenteraient ainsi continûment à mesure que l’espérance de vie s’élève. De cette façon, la hausse du nombre de retraités serait complètement amortie, à la fois par l’allongement de l’activité, mais aussi par la baisse des pensions.”(1)
La réforme va en effet graver dans le marbre la part octroyée aux retraites dans la richesse produite à 14% du PIB, soit au niveau actuel. Alors que les études prospectives annoncent une augmentation sensible du nombre de retraité·e·s (35% de personnes de plus de 65 ans dans 30 ans), on comprend ce qu’il adviendra : même volume de richesses pour plus de bénéficiaires implique baisse des pensions pour tou·te·s.
Inégalités
Comme à chaque “réforme” néo-libérable, le bien commun est mis en avant. Les ennemis à abattre sont cette fois-ci les multiples régimes de retraites, sources d’inégalités auxquelles le président veut s’attaquer par la mise en place d’un système universel, en apparence plus juste et plus simple (on ignore si le régime de retraite des parlementaires fera partie de la charrette).
Si réduire les inégalités de traitement semble une bonne chose, la réforme fait cependant l’impasse sur la pénibilité ou les situations particulières. Et surtout elle va accroître les inégalités hommes/femmes. Dans le nouveau système, le calcul de la retraite portera sur les points cumulés sur toute la carrière. Il pénalise particulièrement les femmes et les précaires aux carrières morcelées. C’est déjà le cas par exemple avec les régimes complémentaires par points Arrco et Agirc (les pensions des femmes ne représentent que 60% de celles des hommes pour l’Arrco et 41% pour l’Agirc, contre 75% sur l’ensemble des régimes).
La réforme envisagée par le gouvernement sera un coup supplémentaire porté au régime solidaire de Sécurité sociale, géré de façon paritaire au profit d’une épargne individuelle où chacun·e récupère ses cotisations versées, la part réduite de la solidarité étant gérée par l’État. De plus la dégradation déjà entamée et renforcée du niveau des pensions ouvre en grand l’espace pour les retraites complémentaires par capitalisation, pour ceux et celles qui pourront se les payer. Les fonds de pension se frottent les mains.
L’ennemi à abattre est cette fois-ci
les multiples régimes de retraites,
sources d’inégalités auxquelles le président veut s’attaquer
par la mise en place d’un système universel,
en apparence plus juste et plus simple.
Système hybride
Cela correspond bien au projet politique macroniste, bien décrit dans un ouvrage récent (2). Il s’agit de mettre un terme au modèle hybride français où le système néo-libéral n’a pu s’appliquer intégralement comme chez la plupart de ses voisins, à cause de l’attachement de la société aux compromis sociaux hérités de 1945. Le temps est venu d’en finir avec les atermoiements. L’État loin de jouer peu ou prou un rôle d’arbitre entre capital et travail comme dans la période fordiste, doit agir résolument en faveur des intérêts du capital, garantie d’une libération des énergies, de la croissance et de la prospérité par ruissellement de la richesse. Ce discours, idéologique s’il en est, se pense comme vrai, scientifique, malgré sa crise profonde, et donc non susceptible d’être contesté, si ce n’est pour de mauvaises raisons : la “défense des rentes”, des “privilèges corporatistes”, “des demandes catégorielles qui pénalisent le reste de la société”. Pas question non plus de négocier ou d’amender le projet sur le fond. Ce serait trahir la “vérité”. D’où le mépris pour les syndicats ou autres corps intermédiaires et le côté purement formel de la soi-disant concertation proposée. De là aussi la dérive autoritariste constatée et révélée par le mouvement des gilets jaunes : mépris des opposant·e·s, violence policière, répression judiciaire assumée.
Dos au mur
A la veille du 5 décembre nombreuses sont les incertitudes, sur l’ampleur des mobilisations, les secteurs qui entreront en lutte et la suite qui y sera donnée par les directions syndicales et les collectifs de grévistes. Si la colère est répandue dans de nombreux secteurs de la société face aux conséquences de la logique néo-libérale, comme dans les grandes luttes de la décennie écoulée, la bataille se mène une fois de plus “dos au mur” sans réel projet alternatif de réforme du système de retraite favorable au monde du travail à opposer au projet des classes dominantes. Sans même parler de l’absence cruelle d’alternative politique au face à face cauchemardesque Macron-Le Pen, c’est un handicap récurrent des luttes actuelles que le mouvement social devra résoudre pour espérer stopper le rouleau compresseur néo-libéral.
(1)- Michaël Zemmour, enseignant chercheur à l’université Paris 1 dans la revue Alternatives Economiques.
(2)- Romaric Godin La guerre sociale en France, Editions La Découverte.