Vingt ans ! Je ne parle ni d’un bon Cognac, ni de l’âge des derniers boutons d’acné, ni d’une interminable peine de prison. Ce mois de décembre 2020 marque les vingt ans de la promulgation de la loi SRU, tournant majeur pour les politiques du logement en France.
Un si vain tournant
Je ne vais pas me lancer dans un bilan de cette loi, un livre n’y suffirait pas et j’en serais de toute manière bien incapable. Je souhaiterais seulement porter un regard perplexe sur ce bilan et en tirer une proposition. Ma perplexité ne tient pas dans le contenu de cette loi, qui malgré ses limites me paraît avoir pour la première fois apporté un cadre et des outils permettant de limiter la casse à l’oeuvre dans ce domaine, notamment au Pays Basque. Si je suis perplexe, c’est plutôt dans le constat de l’évolution de la question entre décembre 2000 et aujourd’hui, qui révèle que malgré cette loi et celles qui l’ont suivie, il reste toujours aussi difficile pour les gens de se loger, pour les collectivités de produire du logement accessible, tout cela en intégrant les “nouveaux » enjeux environnementaux.
Sans cette loi, où en serions-nous ne serait-ce qu’en matière de cohérence dans l’aménagement de l’espace ou de production de logement social ?
Mais n’est-il pas déprimant de constater que malgré cette loi, nous en soyons toujours au même constat, formulé par quasiment les mêmes mots qu’il y a vingt ans?
Faut-il donc considérer avec fatalité une situation telle que celle du Pays Basque, dans ce domaine précis qui représente pourtant l’une des dimensions les plus essentielles d’une vie humaine (au Moyen-Âge, le logement était déjà considéré avec l’alimentation et l’habillement comme le troisième élément du triptyque vital ou primum vivere) ?
Lorsqu’un besoin vital fait l’objet d’un marché aussi tendu que celui du logement, générant un niveau aussi élevé d’inégalités sociales ou d’impacts environnementaux mais aussi un niveau aussi élevé de profits potentiels, c’est la question du niveau d’action légitime à adopter face à ce marché qui se pose inévitablement au politique.
Le poids des prix
Or, on pourra toujours continuer à compléter le dispositif législatif à la marge, mais j’ai peur que cela reste vain si l’on n’agit pas directement sur le symptôme, les prix. Ces prix que tout le monde y compris les élus et les professionnels s’accordent à qualifier à certains endroits “d’indécents”. Le niveau des prix de l’immobilier est en grande partie lié au déséquilibre entre l’offre et la demande.
Or, si les velléités d’agir sur l’offre sont constamment réitérées, les résultats sont invariablement insuffisants et par ailleurs problématiques au plan écologique, car trop fondés sur des extensions de l’urbanisation.
Quant à la demande, elle n’est pas près de baisser. Faute de ne pouvoir peser efficacement ni sur l’une ni sur l’autre, c’est bien sur les prix, qu’il faut agir et donc fatalement impacter le droit de propriété.
Que l’on se rassure, je n’ai rien d’un bolchévique et mon propos n’a pas pour but de remettre en cause le droit de propriété. Il s’agit par contre de se demander si le logement doit toujours être considéré comme un bien marchand parmi d’autres, ou s’il est légitime de l’élever à un niveau justifiant qu’on encadre plus fortement son marché.
Il s’agit de se demander
si le logement doit toujours être considéré
comme un bien marchand parmi d’autres,
ou s’il est légitime de l’élever
à un niveau justifiant
qu’on encadre plus fortement son marché.
Cela ne me paraîtrait pas si nouveau.
Considérons donc le droit de propriété, dont on sait qu’il recouvre trois dimensions.
L’usus, ou droit d’utiliser son bien comme on l’entend ; à mon sens il est déjà encadré, ne serait-ce que, pour reprendre un exemple tant de fois évoqué et à mon avis si central au Pays Basque, par la possibilité de surtaxer les biens occupés au titre de résidence secondaire.
Le fructus, ou droit pour le propriétaire de disposer des fruits de son bien, par exemple en le louant ; là encore, l’encadrement des loyers dans certaines communautés urbaines participe de cette même logique.
Reste l’abusus, qui représente essentiellement la capacité pour le propriétaire de vendre son bien à un tiers.
Encadrer les prix
Ce sont les vertigineuses dérives des prix du foncier et de l’immobilier qu’il conviendrait d’encadrer. Je ne cache pas que l’idéal à mes yeux serait, par exemple, d’aller jusqu’à envisager —dans les zones tendues— des barèmes de prix maximum du mètre carré, ne pouvant évoluer à la hausse que par indexation sur l’inflation.
Scandaleux ?
Pas tant que cela, quand on rappelle notamment qu’une mesure à peu près équivalente est déjà prévue dans le cadre de dispositifs tels que le bail réel solidaire, voire qu’en Nouvelle-Calédonie la règle des “4 i” de la Loi organique de 1999 sanctuarise purement et simplement les terres coutumières de manière imprescriptible.
Au passage, je signale que des principes tels que l’indisponibilité des communaux ou le retrait lignager, établis dans les coutumes juridiques basques d’avant le Code civil, s’y apparentaient également. Mais à défaut de cela, une bien plus forte imposition de la plus-value serait un minimum nécessaire, jusqu’à des niveaux et une durée rendant vain tout excès.
Encadrer la liberté des prix du logement susciterait évidemment un débat constitutionnel. Cela aurait la vertu d’entraîner en filigrane celui du statut particulier ou pas du logement dans la société, un peu comme à l’époque du DALO, préalable nécessaire à l’établissement d’un niveau d’action aussi élevé.
Mais, pour conclure en évoquant un autre domaine, il est vrai fort distinct, au nom de l’urgente nécessité de sauvetage des librairies indépendantes, la loi Lang n’était-elle pas allée jusqu’à établir un régime de prix unique du livre ?