L’Amérique se vit “comme un rêve”, celui d’un pays où tout est possible, terre d’accueil pour n’importe quel immigrant ! Mythes fondateurs et illusions grandioses, le roman national perdure depuis l’avènement de la république américaine en 1776. Les romans sont ainsi faits, ils n’intègrent pas toutes les réalités… Et pourtant, la naissance de cette nation s’est fondée sur la disparition presque totale des peuples amérindiens et sa puissance, jusqu’à nos jours, sur de multiples guerres intérieures comme extérieures.
Si les deux guerres mondiales, où le rôle des Etats-Unis fut déterminant sur le continent européen, participent largement à la légende de la grande Amérique, il n’en va pas de même pour ses nombreuses interventions dans nombre de pays. Tout au long du XXe siècle le rôle des USA en Amérique du Sud, par exemple, est l’objet du plus grand des silences!
Les illusions qui ont fait Nation, ont permis pendant plus de deux siècles de conforter un sentiment d’appartenance, d’adhésion à la bannière étoilée, de se vivre comme un peuple uni, le premier d’entre les peuples du monde. Traversée par des drames terribles comme les assassinats de Martin Luther King, des Kennedy, capable d’engendrer des mouvements comme le Ku Klux Klan, l’Amérique portait déjà en elle de violentes contradictions qui ne sont jamais parvenues à ternir le miroir dans lequel se reflète le rêve américain !
Au cours du siècle dernier, sur les campus américains sont nés les concepts de “bienpensance” et de “politiquement correct” qui ont de fait limité la liberté d’expression, gommé les clivages et ont favorisé une montée du conformisme où la forme du langage prend le pas sur les idées de fond. Ce mal là nous le connaissons bien, puisque il est arrivé jusqu’à nous dans les années 90 et qu’il a fini par éliminer les clivages politiques et par affaiblir tous les débats… il ne reste que des polémiques stériles et pour la plupart artificielles!
L’arrivée en 2016, du 45e président des USA a explosé le miroir d’une Nation assez aseptisée, très politiquement correcte où le métronome des alternances Républicains / Démocrates ne convenait plus à grand monde. “Trump a été le poison de mon pays” déclare l’écrivain Paul Auster à l’OBS, “jamais les Etats-Unis n’ont été aussi clivés, et la mouvance conspirationniste s’y propage comme un virus”…
Le poison, peut-être, ou plutôt le révélateur d’un feu qui couve, où des millions d’individus ne se retrouvent plus dans un projet politique, où les mythes deviennent folle croyance, où la religion investit l’espace public!
En 2020, cela a donné une élection présidentielle surréaliste qui marquera l’histoire de l’Amérique, tant le Président sortant aura ignoré tous les codes du bon comportement portant jusqu’au paroxysme sa conviction d’être le candidat “messianique”. Le problème le plus grave ne réside pas dans le comportement pathologique de l’encore occupant de la Maison Blanche, mais bien dans les dizaines de millions d’électeurs et électrices qui voulaient l’y maintenir ! En quelque sorte, Trump n’était que le thermomètre d’une fièvre inquiétante qui n’a pour l’instant aucun remède !
La suite pourrait se révéler très compliquée pour le Président élu, car les ferments pour un pays difficilement gouvernable sont bien en place, surtout que l’essentiel repose sur des “théories du complot” contre lesquelles il est vain de tenter de lutter ! Le vrai danger, c’est l’essoufflement du modèle démocratique représentatif et le spectacle hollywoodien auquel nous venons d’assister, n’est peut-être, hélas, que le premier acte d’une pièce qui pourrait bien se poursuivre et s’étendre…
L’“American dream” peut se transformer en cauchemar et rien de ce qui se passe aux Etats-Unis ne peut nous laisser indifférents, car l’histoire montre que tôt ou tard, nous sommes concernés…
L’“American dream” peut se transformer en cauchemar
et rien de ce qui se passe aux Etats-Unis
ne peut nous laisser indifférents,
car tôt ou tard nous sommes concernés…
Il est temps de prendre conscience que les mécanismes du pouvoir reposent trop souvent sur des ententes peu acceptables, sont le fruit d’un entre soi de plus en plus prégnant, où les extrêmes se contentent du rôle d’idiots utiles, où l’on ne peut que déplorer l’absence de clivages qui seuls, permettent les débats de fond. Et, cette situation n’est pas le fait de la seule Amérique… Dans un monde en très grand danger écologique, confronté à des catastrophes de plus en plus anxiogènes, où s’intensifient d’incroyables inégalités, le repli sur soi et la défiance de l’autre sont des réactions compréhensibles mais porteuses de gros nuages noirs… le ventre de la bête y sera encore fécond ! Les restrictions des libertés individuelles auxquelles nous sommes soumis, le pacte social qui s’affaiblit, les renoncements successifs à une république sociale et laïque dans un contexte où la violence s’installe, sont les signes avant-coureurs de difficultés profondes qui nous attendent et qui nous propulseront vers des rives tout aussi populistes que celles qui ont frappé l’Amérique.