Sa présidence de l’Observatoire international des prisons (OIP) a ouvert à Gabi Mouesca une vocation de solidarité dans la société qu’il élargit à présent dans une oeuvre de réinsertion à Tarnos. Récit de sa démarche.
C’est aux portes de Bayonne, sur la commune landaise de Tarnos, que Gabi Mouesca vit “sa” citoyenneté. Il dirige une structure audacieuse et novatrice, ayant pour cadre la ferme Emmaüs de Baudonne(1) comptant trois hectares de terres à maraîchage et huit hectares de forêt. Une structure parvenue à bâtir son projet au fil de deux ans de gestation-mise en place. Elle est attenante au centre Emmaüs, dévolu de longue date à la collecte et revente d’objets de seconde main ou plus. (Vêtements, meubles, bric-à-brac …).
La Ferme accueille donc des prisonnières en fin de peine (12 à 24 mois, éventuellement davantage), résolues à se préparer au retour à la vie de tous les jours, hors barreaux. Dûment encadrées, elles y jouissent d’une certaine liberté de mouvements qui les oblige cependant, à suivre une règle établie précise, à ne franchir à aucun prix. Elles sont trois pour l’heure. La première est arrivée en octobre 2020.
Trois “résidentes-salariées” à vivre sous le régime dit de “placement extérieur”. Un régime exceptionnel, une friche totale en réalité, dans le système carcéral français réservé aux femmes. Dûment encadrées, les nouvelles venues sont actuellement employées à la mise en route de serres pour maraîchage. Quelques autres volontaires devraient les rejoindre dans cet univers campagnard où tout est à apprendre quand ce n’est pas à réapprendre.
Gaby Mouesca évoque l’anecdote vécue par l’une des volontaires, qui au soir de sa première journée à la Ferme “s’est retrouvée face à un chevreuil, alors qu’elle était encore dans sa cellule le matin-même…”
Les mettre en marche
L’expérience de la prison a (entre autres) donné la certitude à Gabi Mouesca que les femmes y sont plus rudement traitées que les hommes par l’administration pénitentiaire, notamment faute de moyens alloués. Son engagement à la Croix Rouge, ses fonctions d’ancien président de l’Observatoire international des prisons (OIP) et sa présence à Emmaüs-France une fois sa liberté retrouvée(2), l’ont amené à s’engager dans la défense des droits de tous les prisonniers. Comme il l’avait d’ailleurs fait à l’intérieur de la prison avec une détermination peu commune. “Ici assure-t-il, ces femmes retrouvent un lieu habité où l’on a instruit et où l’on instruit encore des enfants, où des générations de jeunes ont été accueillis, l’été dernier encore à l’occasion de chantiers solidaires. A mes yeux, c’est important ! Si j’ai souvent été dans le verbe, là je suis passé à la phase action, avec la volonté de démontrer qu’à terme, on peut concevoir la prison autrement”. Elle “affaisse” les individus dans un univers désocialisant et avilissant.
Ici, l’objectif est de relever les personnes, de les “mettre en marche”. Et d’ajouter : “Je suis abolitionniste, je ne voudrais pas voir de prisons dans la société. Si j’ai rêvé de faire tomber les murs des prisons, force est de constater à mes 59 ans, que je n’y suis pas parvenu. Mais si l’on parvient à raccourcir un temps de prison donné de quelques mois, c’est tant mieux…”
Le temps de juger sur place
La procédure prévoit que la candidate demande un permis de sortie de deux à trois jours, le temps de venir juger sur place et voir de ses yeux. Si la formule lui convient, elle peut demander un placement extérieur pouvant aller de deux mois à deux ans. Accompagnées au jour le jour, il leur faudra s’adapter à cet environnement “enveloppant”, dans un univers imprégné par l’esprit Emmaüs.
“On continue dans cette trajectoire !” ajoute Gabi Mouesca. Le projet, on le notera en deux mots, n’a pas suscité une écoute unanimement bienveillante. Si le maire de la commune de Tarnos (PCF) y a rapidement adhéré et soutenu la future structure à recrutement national, le voisinage a parfois affiché des résistances émanant de certains milieux agricoles et résidents du cru. Rassemblements, occupations, pétitions sur fond de campagne électorale… Reste que le lieu apaisant vit désormais à l’heure de l’insertion (on n’y parle pas de réinsertion) proposée à ces femmes marquées par la prison. Tel est leur nouveau chemin à défricher pas à pas. Jour après jour.
(1) Cette appellation fait référence à la communauté fondée par l’abbé Pierre et à l’ancienne Maison des Missions Africaines dont l’histoire a été forgée par de très nombreux missionnaires catholiques. L’ensemble abrite une école primaire, il a été acquis par Emmaüs-France
(2) Gaby Mouesca a été libéré en 2001 après 17 ans de prison.