L’Edito du mensuel Enbata
Il avait un petit air british, ce fils de la bourgeoisie bilbaína, doté d’un doctorat en droit international de l’université de Cambridge. Dès sa jeunesse, il fut confronté au tragique de l’histoire de son peuple par la guerre civile de 1936 et l’exil politique de ses parents au Chili. Par conviction familiale et surtout par engagement personnel, sa nationalité était basque mais par ses papiers d’identité, au gré de ses errances, il était citoyen du monde : passeports espagnol, chilien, belge, algérien et français choisis ou contraints. Son décès à 88 ans, le 5 avril dernier dans sa demeure bâtie en forme de bergerie sur un kasko herbeux de Senpere a fait la une de toute la presse basque, madrilène, catalane et de grands médias français. C’est dire si Iulen Madariaga a marqué d’une empreinte indélébile l’histoire de son Pays Basque. Et pour cause car, avec José Manuel Aguirre, José María Benito del Valle et Txillardegi, il fonda ETA, transformant le traditionnel irrédentisme basque en mouvement armé de libération nationale qui, comme l’IRA en Irlande, secoua l’ordre européen des États-nations. Physiquement d’un calme permanent mais animé d’une intense force intérieure, Iulen agit sur le temps long. Il endure la violence des pouvoirs espagnols franquistes ou prétendus démocratiques, connaît leurs tortures et leurs prisons, de même l’acharnement inhumain des autorités françaises administratives et judiciaires. Mais il subit aussi l’agression de certains de ses camarades de lutte pour ses visions stratégiques divergentes qui mèneront cependant, des années plus tard, à leur mise en oeuvre. Quant à Enbata, notre compagnonnage de lutte avec Iulen prit publiquement naissance le 15 avril 1963, dans la clairière d’Itsasu lors du premier Aberri Eguna d’Iparralde où, symbolisant l’unité retrouvée de la nation basque, Nord et Sud, Ximun Haran cofondateur d’Enbata et Iulen cofondateur d’ETA plantèrent un rejeton de l’arbre de Gernika. Ce baptême patriotique ouvrait des décennies de militance en Iparralde pour la maîtrise de son destin. Malgré la COVID-19, la fermeture de la frontière étatique, nous étions des centaines en pèlerinage à Zamaldegia autour d’Yvette et de ses enfants pour, face à Larrun, rendre Iulen à sa terre natale sous un tertre baigné de soleil derrière son etxe. Une pierre dressée interpellera l’avenir de la présence funéraire d’un combattant basque.
Après 5 heures de débat à l’Assemblée Nationale, la loi portée par le député breton Paul Molac permettant un enseignement immersif des langues dites régionales comme option d’apprentissage dans le système public, est votée par 247 voix pour et 75 contre. Nous sortons ainsi de l’exception par expérimentation et dans le même temps se met en place un forfait communal au profit des écoles associatives et catholiques sous contrat. Tous les parlementaires basques ont voté “pour”. Grande première après 51 propositions de loi rejetées depuis la loi Deixonne de 1950. A peine avions-nous eu le temps de nous réjouir de voir enfin la France rejoindre les démocraties européennes qu’un recours était introduit par 60 parlementaires “En marche” pour inconstitutionnalité du forfait communal. Mais le Conseil constitutionnel, ainsi alerté, peut fort bien étendre son éventuel interdit à l’ensemble du texte. Ainsi, le « Peuple corse » a été retoqué par le Conseil, sous présidence de Badinter, dans le statut spécifique de la Corse rédigé par Pierre Joxe pourtant approuvé par les deux Assemblées. Le basque est décidément difficilement soluble dans la France. Le révolutionnaire Grégoire disait déjà “le fanatisme parle basque” ! Voilà une vertu génétiquement bien partagée à Paris.
En présentant des candidats dans tous les cantons d’Iparralde, EH Bai lors des élections départementales des 20 et 27 juin, pose un acte démocratique fort qu’aucune autre formation politique n’est en capacité d’accomplir. Deux candidats à parité dans chacun des 12 cantons basques et leurs suppléants, cela conforte la spectaculaire avancée des abertzale aux dernières municipales. La création de la Communauté Pays Basque aux multiples compétences, a déjà fortement estompé dans les comportements de chacun le rôle jusqu’ici assumé par l’assemblée départementale. S’il est clair que pour nous, l’institution départementale n’a de sens qu’à l’échelle du Pays Basque doté d’un statut particulier, il n’en demeure pas moins qu’il nous faut investir tous les lieux où se décide la démocratie locale. De ce point de vue, même si le périmètre est encore plus élargi, abandonner l’élection régionale qui se déroulera le même jour dans les mêmes bureaux de vote est une erreur. Laisser en jachère pour ce scrutin notre électorat qui se déplacera pour les deux scrutins est une faute. La vie politique ayant, elle aussi, horreur du vide, nos voix orphelines seront dès lors captées par d’autres. Reste que la maturité et le poids actuel des abertzale permettent d’espérer plusieurs élus cantonaux qui s’inscriront dans la voie tracée par Jean Etcheverry-Ainchart, Jean-Michel Galant et Alain Iriart. Chaque abertzale doit, dès à présent, se sentir mobilisé et apporter son soutien, sous toutes les formes aux candidats d’EH Bai.