Pour un statut de résident en Bretagne

Nil Caouissin, auteur du Manifeste pour un statut de résident en Bretagne.
Nil Caouissin, auteur du Manifeste pour un statut de résident en Bretagne.

Les abertzale bretons de l’UDB présentent ce projet au travers d’un livre, le « Manifeste pour un statut de résident en Bretagne ». De quoi alimenter le débat politique en Iparralde et nous en inspirer dans nos propositions.

Nil Caouissin a été durant cinq ans porte-parole de l’Union démocratique bretonne (UDB). Il publie aujourd’hui un livre qui propose des solutions pour son pays marqué par l’attractivité touristique de ses côtes, la disparition des terres agricoles, l’augmentation du trafic automobile et surtout des centaines de milliers de résidences secondaires, vides les trois quarts de l’année. Tous ces phénomènes que nous connaissons fort bien en Iparralde se font évidemment au détriment de la population locale qui, face à la spéculation, peine à se loger correctement. Se développe alors une discrimination par l’argent et il convient de mettre fin à cette ségrégation.

Déjà revendiqué par la collectivité territoriale corse, mis en œuvre dans la province autonome de Bolzano en Italie depuis 2018 ainsi qu’en Finlande, repris aujourd’hui par l’UDB, le statut de résident est basé sur un principe simple : seuls les résidents permanents d’un territoire peuvent acheter un bien immobilier. La durée de résidence antérieure à l’achat varie selon les pays, de un à cinq ans, elle prend ou non en compte la diaspora, comme en Corse, où ce projet a reçu le soutien de la Ligue des droits de l’Homme. En somme, il s’agit de « fermer le robinet », pour que seuls ceux qui habitent vraiment sur le territoire puissent y acheter.

Certes le statut de résident entraîne une perte de liberté pour ceux qui peuvent payer 500.000 ou un million d’euros, pour une maison qu’il occuperont quelques semaines par an. Mais c’est au contraire un gain de liberté d’accès au logement pour ceux qui vivent de revenus normaux dans ce pays.

Quels seront les effets de la mesure ? Nil Caouissin nous l’explique. Le but est de faire baisser les prix en réduisant la demande. La mise en œuvre de ce statut fait que le nombre des acquéreurs de résidences secondaires va diminuer, contrairement au nombre des acheteurs de résidences principales. Une partie du stock de résidences secondaires passera progressivement vers la résidence principale. Tout cela à un prix plus réduit pour les acheteurs, en particulier sur les zones côtières, davantage sous tension. Il sera donc plus facile pour les habitants à l’année d’acheter sur la côte, la concurrence des acheteurs non résidents plus riches étant largement diminuée.

Droit à l’expérimentation

Bien entendu, les résidents principaux verront leur maison perdre de la valeur, mais comme les prix locaux baisseront dans les mêmes proportions, il s’agira d’un jeu de sommes nulles pour ceux qui veulent rester vivre au pays. Les résidents secondaires qui envisagent une revente avec une forte plus-value en seront pour leurs frais, ainsi que les héritiers. Les bulles spéculatives seront ainsi dégonflées. Les résidents permanents contraints de louer ou de s’installer loin de leur lieu de travail pourront acheter sur place plus facilement. Les candidats vendeurs trouvant moins de preneurs, mettront en location leur maison, alors que la situation actuelle ne les y incite guère.

La mise en œuvre d’un statut de résident se heurte à des obstacles, les Corses y sont confrontés, il faut modifier la sacro-sainte Constitution française… Aussi, Nil Caouissin préconise-t-il dans un premier temps de pratiquer le droit à l’expérimentation sur une partie du territoire, en prenant appui sur le volontariat de quelques communes. Le dispositif ayant fait ses preuves, il pourra plus facilement être étendu.

Aujourd’hui candidat aux élections régionales sur une liste UDB-Verts d’EELV, l’auteur propose de procéder avec bienveillance pour éviter des effets collatéraux imprévus qu’entraînerait ce statut de résident. Il suggère de le coupler avec un dispositif fiscal bien ciblé. Une taxation supplémentaire des résidences secondaires se justifie par les surcoûts que ces résidences suscitent pour adapter les équipements publics à la surfréquentation estivale (assainissement de l’eau, pollution bactérienne de l’océan, parkings…), dans la même logique que la taxe carbone. Une telle fiscalité additionnelle contribuera à pousser une partie des résidents à vendre et à dissuader les acheteurs potentiels. Elle fera là aussi baisser les prix et permettra à la population qui le désire de s’installer et d’y vivre de façon pérenne.

Une régulation publique ambitieuse
est nécessaire pour dissoudre
les concentrations excessives
de résidences secondaires.

Mais une surtaxe uniforme impacte plus durement les propriétaires les moins riches. Les très riches accepteront de la payer, tant mieux pour les finances publiques. Mais le problème de fond ne sera pas réglé. Les riches compenseront cette surtaxe par des locations à des prix plus élevés, nous serons alors dans une logique de rentabilisation capitaliste du parc de logement, contraire aux objectifs initiaux. La richesse des propriétaires en matière de revenus et de patrimoine, ainsi que la localisation des logements, seront donc à prendre en compte pour fixer le montant de cette taxation, à partir du taux local des résidences secondaires et des logements vacants dans chaque commune.

Le plafonnement

Une autre mesure existe pour lutter contre l’excès de résidences secondaires : le plafonnement. Depuis 2012, la Suisse l’a fixé à 20 %, au Tyrol en Autriche le taux maximum est de 8 %. Sous réserve d’une étude de l’effet du plafonnement sur le long terme, Nil Caouissin est assez peu convaincu de l’efficacité de cette mesure, entre autres du fait des exceptions nécessaires à cause des changements d’affectation des logements (héritages, situations familiales ou professionnelles qui évoluent).
Il n’en demeure pas moins qu’une régulation publique ambitieuse est nécessaire pour dissoudre les concentrations excessives de résidences secondaires. Un véritable progrès social et écologique est en jeu. Nombreux sont ceux qui pourront alors accéder à un logement pour un prix raisonnable, proche de leur lieu de travail, sans construction supplémentaire, sans extraction de matériaux, sans consommation de foncier agricole, les déplacements domicile-travail et les budgets carburant diminueront de façon nette.

Nombreux sont ceux qui pourront alors accéder
à un logement
pour un prix raisonnable,
proche de leur lieu de travail,
sans construction supplémentaire.

Le phénomène de fuite des populations du littoral vers des cités dortoirs périphériques en sera affecté, avec des effets sur la vie sociale et le commerce de proximité. D’où un bénéfice économique, écologique et social évident. Le changement climatique, la sécurité alimentaire et la protection des espèces naturelles en bénéficieront.

Apporter une réponse politique

« L’enjeu est de trouver une réponse politique à un problème politique », ajoute Nil Caouissin. « Ce sont les règles du jeu économique qui posent problème en permettant des niveaux d’inégalité entre personnes et entre territoires, et en laissant des actions individuelles apparemment anodines aboutir par l’effet de masse, à des situations intenables ».

Les problèmes seront résolus en modifiant les règles collectives. Il s’agit de réglementer l’accès au logement pour protéger les habitants les plus exposés à la concurrence extérieure de personnes plus fortunées et pour rétablir les équilibres économiques, écologiques et culturels mis à mal.

« L’homme-habitant » d’hier vit, travaille et consomme sur place, tout en étant profondément responsable des équilibres naturels de son milieu de vie. « Nous sommes passés peu à peu à un habitant devenu simple consommateur, déraciné, dont la présence conjoncturelle ne tient qu’à partir du moment où les conditions de sa venue (calme, paysage, spécificité culturelle, ressources) sont remplies », analyse le géographe Yves Lebahy, dans sa remarquable préface au livre de Nil Caouissin. L’universitaire ajoute : « Que l’un des éléments ne soit plus présent et il remet en cause sa présence en ce lieu dans un jeu de chaises musicales observé dans le comportement de certains résidents. Ainsi, au gré de leurs intérêts, nous pouvons constater des migrations de résidents secondaires du littoral méditerranéen saturé aux côtes de Bretagne (…). Aux quatre coins du monde, l’espace résidentiel est désormais consommé, sa différence qui attirait, détruite. La population autochtone doit se résoudre au déclassement économique de ses activités et à la relégation. Elle n’a alors de solution qu’en se repliant sur la zone rétro-littorale ou d’envisager une émigration plus lointaine. Elle se sent dépossédée de son équilibre de vie, chassée de son territoire ».

Nous sommes ainsi confrontés à une « économie de villégiature » et à ses conséquences néfastes. Elle sera amplifiée par la crise sanitaire du Covid et en Iparralde par l’arrivée du TGV. Le statut de résident accompagné de mesures fiscales dissuasives, de mesures réglementaires plus strictes en matière d’aménagement et de règles de construction renforcées, correspond à un nouveau droit à conquérir, celui d’une citoyenneté résidentielle et responsable.

Un territoire est un espace habité par des femmes et des hommes, il ne vit qu’à travers celles et ceux qui y vivent.

* Nil Caouissin, Manifeste pour un statut de résident en Bretagne, Presses populaires de Bretagne, 83 p. 2021, 10 euskos. En vente à la librairie Elkar, 9 rue des Gouverneurs,om  64100 Bayonne.

Interview de Nil Caouissin :

Nil Caouissin, auteur du Manifeste pour un statut de résident en Bretagne (06/04/2021) : Émission du 6 avril 2021. Nil Caouissin, professeur d’histoire-géographie et de breton, porte-parole de l’UDB de 2014 à 2019, et auteur du Manifeste pour un statut de résident en Bretagne, paru aux Presses Populaires de Bretagne, est l’invité de Stéphane Hamon dans la matinale.

Sur le statut de résident en Corse :

Maîtrise du foncier les Corses innovent et  « Nous proposons des mesures fortes pour lutter contre la spéculation foncière et immobilière »

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Une réflexion sur « Pour un statut de résident en Bretagne »

  1. Je suis en train de lire le livre.
    Court, simple et clair, il montre des pistes pour trouver des solutions.
    Milesker, ça fait du bien.

Les commentaires sont fermés.