Dans ce dernier volet d’un long échange avec Enbata, Imed Robanna explique les bienfaits de l’habitat participatif et du Bail réel solidaire (BRS). Le directeur du Comité ouvrier du logement (COL) défend également une densification de l’habitat pour préserver la terre nourricière, même s’il “va falloir monter un peu” dit-il, mais pour “construire mieux des logements accessibles au plus grand nombre”. Pour Imed Robanna, qu’il s’agisse de construire en préservant les ressources ou de permettre des logements accessibles à tous, les solutions passent par une action politique qui nécessite d’abord “une mobilisation de la société civile (pour) amener les politiques à agir dans le bons sens”…
On entend des choses différentes et qui semblent contradictoires sur le type de logements sociaux que nécessite ce territoire. Les uns disent qu’il y a un gros manque de logements très sociaux, d’autres, au contraire, que ceux qui sont de plus en plus en situation quasi insoluble font partie d’une classe populaire haute qui gagne entre 1200 et 2000 euros par mois, qui n’est pas prioritaire en matière de logements sociaux, mais qui n’a plus accès au parc locatif privé parce qu’elle ne gagne pas trois fois le loyer demandé, proportion exigée par de plus en plus d’agences et de propriétaires. Pour vous, quel est le type de logement social prioritaire ?
Le logement est une chaîne, il faut donc une offre suffisante sur toute la chaîne, depuis le très social : il faut être présent sur ce segment avec des résidences sociales à l’intention des publics fragiles, l’accueil des migrants, cela fait partie des sujets qu’il faut mettre sur la table et proposer des solutions. Puis nous avons le locatif social pour des plafonds de ressources malgré tout suffisants. Enfin, concernant le public qui gagne entre un SMIC et trois SMIC, typiquement l’accession sociale à la propriété s’adresse à ces gens-là. Se pose ensuite la question des volumes, nous avons une demande de logements sociaux très importante et le niveau de production n’est pas à la hauteur. Il faut donc augmenter les volumes. Autre exemple, à Biarritz, l’État pousse à produire en priorité du locatif social car la ville est en constat de carence. C’est très bien car il faut que le locatif social soit équitablement réparti sur le territoire, mais si on oublie l’accession sociale, on va se retrouver avec des gens riches, d’autres qui ont des revenus beaucoup plus faibles et une classe moyenne qui ne trouve pas de solutions. Il faut donc pour un territoire apaisé et équilibré que l’offre prenne en compte toute la gamme de demandes, afin de ne pas opposer les citoyens les uns contre les autres.
Nous en arrivons à une autre contradiction. D’un côté il faut tenir compte des urgences écologiques, climatiques et des objectifs de souveraineté alimentaire qui nous appellent à ne pas artificialiser les sols, à arrêter cette tendance lourde. De l’autre, il faut construire toujours plus de logements pour répondre à la pénurie locale et à un parc social sous-dimensionné : une attribution pour 6,5 demandes. Comment peut-on résoudre cette contradiction ?
Le sujet est complexe. Politiquement, il convient de définir les priorités, par exemple préserver les terres agricoles. Cela peut être posé comme un enjeu fort et important. Ensuite, il faut apprendre à faire la ville sur la ville, mettre en oeuvre une pédagogie pour expliquer à la population que l’on ne peut plus s’étendre, donc il va falloir monter un peu. Il va falloir l’accepter, sans cela… nous sommes en pleine contradiction. Les réhabilitations des immeubles existants doivent aussi augmenter comme au centre de Bayonne et ailleurs. Il n’est plus possible que les terres agricoles disparaissent, la terre nourricière est prioritaire, à partir de là, comment travailler les PLU, travailler la ville sur la ville ? Sur un tissu existant, à partir d’une maison, on peut bâtir un immeuble, accepter cela suppose beaucoup de pédagogie. Il faut l’expliquer pour que ce soit acceptable par la population. Par contre il faut continuer à construire si on veut répondre aux besoins. Il faut construire mieux des logements accessibles au plus grand nombre.
Le COL est particulièrement novateur en matière d’habitat participatif, pouvez-vous nous en expliquer les enjeux ?
Dans un projet classique, on a un terrain, on imagine ce dont les gens ont besoin, on dépose un permis de construire, on fait un appel d’offres, puis on livre les logements et les usagers se rencontrent à la première assemblée générale de copropriété. Et là ça commence à partir en vrille, pas toujours, mais c’est souvent le cas. Voilà le scénario de production classique qui se fait aujourd’hui partout. L’habitat participatif consiste à associer les habitants à la conception de leur lieu de vie et ceci à différents stades. Je vais prendre l’exemple de Terra Arte à Bayonne. Le COL a organisé une grande réunion publique pour associer les futurs habitants au projet. Il faut imaginer un train, nous avions 46 logements, soit 46 places. Ceux qui montent au début du train devront se projeter dans un futur de l’ordre de trois ans et demi. Un projet d’habitat participatif dure six mois de plus qu’un projet classique. Au regard du temps d’attente, les gens doivent être motivés notamment par cet esprit de participation et la nécessité de collaborer à l’élaboration du projet. Le train avance, certains descendent parce que l’attente est trop longue. Pour le COL, la démarche contient deux enjeux : le premier c’est de sortir d’un mode de production standardisé (le même T3 pour tout le monde) pour fabriquer des logements qui correspondent mieux aux besoins des habitants. Le second enjeu, qui est essentiel, est qu’en travaillant ensemble une communauté se crée dans le bon sens du terme. En France, le mot communauté peut être péjoratif, mais pour nous c’est une force, cela crée des liens, des solidarités. Psychologiquement, quand on connaît son voisin, le bruit des enfants on ne l’entend pas de la même manière. Du coup à Terra Arte, si vous regardez leurs espaces verts, ils sont mieux entretenus que dans les résidences où des entreprises extérieures interviennent. L’habitat participatif veut dire créer un écosystème qui permet d’abord de mutualiser, donc dans une résidence de 46 logements, nous avons un atelier de bricolage, une salle commune où l’association des habitants se réunit, où les parents se retrouvent pour l’aide aux devoirs des enfants, les spectacles, des cours de yoga par exemple… Cet écosystème favorise l’émergence d’une intelligence collective et permet aux habitants de faire des économies. J’ai visité, à Strasbourg et ailleurs, de petites unités destinées à un public dont les revenus sont élevés. L’enjeu pour le COL est de produire un habitat plus intelligent, participatif, avec un souci de mixité économique mais aussi une mixité socio-culturelle. Ce genre de projet attire des gens qui ont un certain niveau intellectuel, certains diraient “bobo”, donc l’enjeu pour nous est d’attirer des familles qui sont à mille lieues de cela. Cela rejoint un peu ce que l’on appelle l’éducation populaire : comment faire comprendre à certaines personnes l’intérêt d’être plus forts ou de réaliser des économies en étant ensemble. C’est tout cela l’objectif de l’habitat participatif, c’est pour cela que l’on s’échine à le faire. Il faut avoir la foi, il est tellement plus facile de produire des logements comme on produit des yaourts…
En ce moment, Alda mène campagne pour dénoncer le fait que des logements loués à l’année deviennent des locations de courte durée de façon permanente. Alda a montré qu’au minimum six à sept mille logements étaient devenus des meublés touristiques permanents sur un parc locatif privé estimé à 41.600 logements en 2017. Alda demande donc à la Communauté d’Agglomération Pays Basque deux mesures : que les demandes d’autorisation de changements d’usages soient aussi obligatoires pour les personnes morales du type SCI ou SARL et que soit mise en oeuvre la mesure de compensation telle qu’elle est pratiquée à Bordeaux, à Paris, à Lyon, obligeant toute personne désireuse de créer un logement touristique permanent à produire un nouveau logement loué à l’année. Quel est le point de vue du COL sur ce phénomène qui s’étend aujourd’hui principalement vers les petites villes du littoral et les territoires ruraux ?
Il s’agit d’un problème majeur. Un maire du Pays Basque m’a dit : “Je n’ai que cinq locations de longue durée sur ma commune… !” En fait, le système pousse à cela. Les propriétaires ont un avantage financier important à louer en meublé touristique, il convient de trouver des systèmes qui poussent à louer à l’année, c’est un vrai souci du territoire.
La ministre du logement Emmanuelle Wargon est récemment venue en Pays Basque. Dans une longue interview à Sud Ouest, elle donne une fin de non-recevoir à des demandes émanant de notre territoire, telles qu’une politique d’augmentation des droits de mutation pour limiter les résidences secondaires. Elle semble également exclure la modification des critères d’éligibilité au dispositif d’encadrement renforcé des loyers pour les zones à forte attractivité telles que le Pays Basque. La ministre a affirmé que la baisse des APL n’a pas affecté les ressources financières des opérateurs sociaux et elle semble plaider pour un assouplissement des critères d’application de la loi SRU, dans la perspective de la loi 4D qui doit être débattue à l’Assemblée nationale. Vous avez rencontré la ministre du logement, avez-vous évoqué ces sujets et que pensez de ses réponses ?
J’ai pu discuter avec la ministre du logement mais pas très longuement. Elle a voulu visiter le premier projet national de logement en BRS qui a été livré à Espelette et qui avait pour caractéristique de réhabiliter un ancien corps de ferme pour créer cinq logements. Ce projet fait partie des 10 projets lauréats de l’appel à manifestation d’intérêt “Habiter la France de demain” car il cumule une rénovation qui évite de consommer des terres agricoles et le BRS qui permet des logements anti-spéculatifs durablement abordables.
Je l’ai alertée sur une question qui me tient beaucoup à coeur et me pose problème aujourd’hui : l’urgence climatique étant là, on ne peut plus reculer, tout le monde est d’accord. Par contre, lorsqu’on fait de l’accession sociale à la propriété, les économies d’énergie sont gagnant-gagnant : on investit, cela permet de faire des économies pour les acquéreurs, donc ce n’est pas un mauvais investissement. Il faut construire avec des matériaux biosourcés et changer de modes de production, mais le temps que les filières se mettent en place, le temps que les prix baissent, nous aurons un surcoût. Aujourd’hui, personne n’en parle. Ce surcoût relève de la solidarité nationale. Le plan de relance concerne la réhabilitation des logements et c’est très bien, mais comment accompagner des publics ayant des revenus modestes pour que cette marche indispensable pour le bascarbone puisse être franchie ? Si l’exigence du bas-carbone aboutit à exclure des personnes qui auraient pu accéder à la propriété, cela revient à leur faire payer le prix de la transition alors qu’ils ne sont pour rien dans le dérèglement climatique. Ce n’est pas raisonnable et très injuste. Par contre nous ne pouvons plus reculer, il me paraît fondamental d’accélérer la transition en n’excluant personne. Il faut donc accompagner le développement de filières d’éco-construction en donnant les moyens aux ménages de payer les surcoûts jusqu’à ce que les prix baissent. J’ai voulu faire passer ce message à la ministre, on verra bien si j’ai été entendu…
Sur le logement existant, je ne suis pas spécialiste, mais chacun voit ce que donne le laisser faire et à partir du moment où le territoire attire, il n’y a pas de limites sur les prix jusqu’à la prochaine crise. Et même avec une crise qui arrivera probablement, je ne suis pas sûr que les prix chutent suffisamment dans notre région. Donc je ne vois pas d’autre système que la fiscalité pour limiter la hausse continue des prix. Cette fiscalité permettrait aux collectivités d’augmenter la production de logements accessibles à la population locale.
Quel rôle la société civile peut-elle jouer pour défendre le droit au logement accessible à tous ? Une manifestation en faveur du logement se prépare pour ce samedi 20 novembre à Bayonne. Ce type de mobilisation citoyenne peut-il peser sur les décisions locales ou nationales ?
Malheureusement, l’expérience et la pratique montrent que si la société civile ne se mobilise pas… on le voit bien dans l’écologie avec l’action d’une gamine comme Greta Thunberg, celle-ci a complètement chamboulé le logiciel. Aujourd’hui, les forces conservatrices sont si puissantes qu’il faut que les citoyens se mobilisent pour faire bouger les choses, pour un avenir meilleur pour nos enfants. La société civile doit amener les politiques à agir dans le bon sens et doit être une force de proposition. C’est la raison pour laquelle le COL participe au Conseil de développement du Pays Basque qui porte la voix de la société civile auprès des élus afin de les aider dans leur rôle, qui est de plus en plus difficile tant les enjeux sont complexes et importants. Pour réconcilier le politique et les citoyens, il convient que ces derniers s’y mettent, soient force de proposition, pas seulement pour dire ce qui ne va pas. Ce territoire est magnifique et il mérite que nous soyons tous actifs, coopératifs et solidaires, pour être à la hauteur des enjeux actuels et futurs.