Histoires d’IGP
Les derniers rebondissements judiciaires de l’indication géographique protégée « linge basque » illustrent l’incohérence des décideurs et l’absence cruelle d’institution basque d’Iparralde, à même de définir ce qu’est un produit basque et ce qui ne l’est pas. L’enjeu économique est considérable. En Hegoalde, autre chanson avec la bagarre pour la création d’une IGP vinicole de la Rioja alavaise.
La cour d’appel de Bordeaux a confirmé le 15 octobre un arrêt qui clarifie en droit français la notion de « linge basque » définie par une Indication géographique (IG) que protège l’Institut national de protection industrielle (INPI) dont le siège est à Courbevoie, près de Paris. Le quotidien Sud Ouest rapportant cette décision nous apprend que seules trois entreprises auront désormais le droit de se présenter comme fabricant du « linge basque » : Tissage Moutet situé à Orthez, Tissages Lartigue d’Oloron et enfin Lartigue 1910, dont les ateliers sont à Bidos (près d’Oloron) et fraîchement installés depuis 2012 à Ascain. Ouf, on a eu chaud, pour un peu, aucun de ces fabricants ne se serait trouvé en Iparralde.
Les arguments des juges bordelais surprennent par leur incohérence (1). Le savoir faire du tissage constitue l’essence du vrai linge basque à l’origine de sa réputation. A croire qu’il est toujours fabriqué sur des métiers à tisser tel qu’on peut les admirer au Musée Basque de Bayonne ou au San Telmo de Donostia. Que la culture du lin ait depuis longtemps disparu du Pays Basque, peu importe, le cadre réglementaire des IG « n’exige pas que les matières premières utilisées pour le confection des produits visés proviennent impérativement de la zone géographique concernée ». L’important pour la cour d’appel de Bordeaux est que, pour qu’il soit basque, ce linge soit fabriqué dans les Pyrénées-Atlantiques, donc en l’espèce hors du Pays Basque, en Béarn. On dit que les Français sont fâchés avec la géographie. Leurs magistrats tout particulièrement ! Et si les fabricants du linge basque faisaient un effort pour s’exprimer en euskara, si l’étiquetage devrait être en basque… cela n’a même pas effleuré les juges bordelais.
Quant aux autres entreprises qui produisent du linge basque hors IG, leurs ateliers sont loin du Zazpiak bat : dans la vallée du Rhône, en Ariège ou au Portugal. Le logique d’attribution du précieux label fonctionne comme le quotidien Sud Ouest : à la page portant la rubrique Pays Basque, on nous parle des stations de ski béarnaises. Ou comme l’IGP Jambon de Bayonne, les cochons élevés dans les départements de Haute-Vienne, d’Aveyron ou de l’Aude, auront le droit de porter l’étiquette Bayonne, quant à ceux qui viennent de Zugarramurdi, qu’ils aillent se faire voir ailleurs. Jakes Abeberry s’étonnait que la grande usine à jambon de l’IGP s’installe dans la Béarn profond, à Arzacq. Il apostropha le maire de Bayonne Jean Grenet qui avait laisser filer loin de sa ville les créations d’emplois : « Ce jambon devrait s’appeler le Jambon d’Arzacq !»
Merci bwana, y’a bon le mot basque à toutes les sauces
La logique pyrénées-atlantiquaine a toujours le dessus. Ils s’en foutent que « ma province proteste », comme le clama notre député Dominique Joseph Garat il y a 232 ans (2). Et l’écrivaine Itxaro Borda d’ajouter dans un livre, que dans bien des domaines, c’est toujours du 100 % basque ! En tordant le coup à la géographie et à l’histoire, merci bwana, y a bon le mot « basque » à toutes les sauces, ça fait vendre coco. …
Le débat est récurrent. Il y a quelques années, il fut question de définir entre la CCI et quelques partenaires le contenu d’un cluster agroalimentaire propre au Pays Basque. Cela donna lieu dans ces colonnes à un échange sans concession entre Michel Berhocoirigoin et un producteur de charcuterie bien connu en Iparralde : pour ce dernier, le qualificatif basque suffisait afin de définir une charcuterie simplement transformée dans nos trois provinces, peu importe l’origine de ses composants. A l’inverse, selon le dirigeant syndicaliste, il fallait que le produit soit fabriqué de A à Z en Iparralde, de la naissance du cochon à sa mise en boîtes ou son affinage. Élémentaire mon cher Watson, et pas la même chanson en termes d’activité économique et d’emplois. Dans le but d’embobiner le consommateur, nous sommes toujours dans la logique de l’écran de fumée, du pseudo label qui ne veut rien dire. Le consommateur, cochon de payant, n’est pas si bête, il se méfie de plus en plus.
Vignoble Rioja, un et indivisible
Sur fond d’enjeux économiques, le scénario est tout autre en Hegoalde. Il y a une dizaine d’années, le gouvernement autonome basque obtint que seuls les 400 producteurs basques de vin Txakoli puissent bénéficier de l’AOC du même nom. Il se heurta aux producteurs de « Chacoli » situés dans les régions de Castilla-Léon, Burgos et Cantabrie, avec en back ground un PP grimpant aux rideaux et la question nationale basque.
Le débat reprend de plus belle en novembre 2021 autour du vin de Rioja dont l’AOC fut créée en 1925, réactualisée en 1991 et qui représente 15.000 viticulteurs. Les producteurs basques de la province d’Araba, soutenus par le gouvernement de Gasteiz, souhaitent ne plus être noyés dans l’immense AOC Rioja, qui s’étend sur la Communauté autonome de Rioja, la province de Burgos, la Commuanauté forale de Navarre et la Communauté autonome basque. Ils veulent obtenir une AOC spécifique Rioja alavaise (Errioxa Arabarra), à coup de recours auprès des tribunaux et sur fond de vote du budget de l’État espagnol. L’organisation interprofessionnelle de vin de Rioja redoute de se faire lâcher par Madrid sous la pression d’un PNV qui monnaye ses voix au socialiste Pedro Sanchez désireux de faire adopter le budget de l’État ou la moindre loi. Le leader du PP Pablo Casado s’empare de l’étendard de l’unicité de l’AOC, contre les prétentions séparatistes d’un PNV qui dans d’autres domaines aussi, « se bildumise ». Au nom de «l’indivisibilité du vignoble et pour en finir avec un révisionnisme absurde sur le plan historique», Pablo Casado parcourt les vignes, objets de sa fureur.
L’affaire se négocie maintenant au ministère espagnol de l’agriculture, elle est loin d’être finie. Vu d’Orthez ou de Courbevoie, le Pays Basque est élastique, extensible à l’infini. Et à Burgos ou Logroño, le Pays Basque n’est bon que dépecé ou associé à la Castille, une vision qui plairait aux créateurs du département des Basses-Pyrénées en 1790. Quant aux indigènes qui rouspètent, ils sont marqués de deux sceaux infamants, l’égoïsme économique et le repliement identitaire. Aujourd’hui l’étiquette basque, être ou se dire basque, ça rapporte de l’oseille, et on nous somme de partager le gâteau. Nous voilà loin de l’apostrophe hier ressassée dans les rues de Bayonne : « T’es con ou t’es basque ? »
(1) Au pays de Descartes, le droit est très tordu. Aussi illogique que de pondre une circulaire qui autorise l’enseignement en immersion mais qui est anticonstitutionnelle
(2) Ikus https://www.enbata.info/articles/opinion/ma-province-proteste/
C’est notre époque où la forme l’emporte sur le fond. Paraître sans être.
Si nos locaux ne réagissent pas, je vois mal l’avenir des produits « made in euskadi ».
Un ami agriculteur autochtone me décrivait un stand du salon de l’agriculture à Paname : bérets rouges (déjà la caricature), drapeaux basques couvrant l’étal, jambon basque, chichons basques, etc.. et origine… Tarbes dans les Hautes Pyrénées ! Et le paristar n’y voit rien.
Vu de Paris ou de Bordeaux c’est la même chose, ils ne connaissent rien des terroirs et de leurs cultures, pour chez nous ce sont les fêtes de Bayonne, point barre, pour le reste circulez…
Désolant.
Bien d’accord avec vous, sans compter les espadrilles…. A Baiona, Kanbo etc…’ la maison de l’espadrille fait le plein. Jamais ils disent que leurs couvre-pieds étaient fabriqués dans les Landes…et j’en passe