La galerie animée par iF Matxikote expose les tableaux et dessins d’un peintre souletin-biskaien. Des œuvres semble-t-il hermétiques. Est proposée ici une porte d’entrée, elle passe par Iratiko Salbatore kapera, en Basse-Navarre.
Il est comme le porteño, seul face à l’océan, sur le quai de Buenos Aires, dont parle Adolfo Bioy Casares. Un étranger, un homme seul, attend sur un rocher qui domine la chapelle de St Sauveur d’Iraty. Le brouillard est tombé. Parfois un rayon de lumière traverse la masse ouatée, puis s’éteint. Lantxurdia, la douce pluie fine pénètre. Près de là, Invisible, le berger Ttale parle à ses bêtes, son chien aboie, les brebis parfois bêlent, leurs cloches doucement tintent. Le son traverse le brouillard, de l’éleveur et de ses bêtes, on ne voit rien.
L’homme seul attend. Il est inquiet, fragile, puis recentré sur un essentiel qui lui échappe. Il pense à Air, un recueil de poèmes d’André du Bouchet. Puis le blanc. Des légendes bas-navarraises racontées par son père reviennent en sa mémoire, Salbatoreko kanderailia, Arrasteluko neska, Meza misteriozkoa, Xaindia. Pour la première fois, il y croit, les légendes sont vraies. Un tableau de Gonzalo Etxebarria aperçu dans une galerie labourdine occupe l’édicule qui autrefois abritait la statue Xaindia. Il est à sa place, il y respire. Légendes et tableau se répondent en « longs échos qui de loin se confondent dans une ténébreuse et profonde unité ».
Au milieu du brouillard, la chapelle apparaît, disparaît, un vent froid souffle à peine. Les fidèles d’Hergarai émergent de la brume, ils vont à la messe et pénètrent un à un dans l’édifice, Ils baissent la tête devant la porte, descendent les marches de pierre. Les paroissiens passent devant un second tableau de Gonzalo Etxebarria, le bistre et le gris s’y marient. Personne ne regarde l’œuvre parce qu’elle est là depuis toujours, à sa place. Le temps parle en elle, il est plus fort que celui de l’évènement.
Arrive le chanteur Mixel Arotze. Il franchit le seuil et fixe un troisième tableau de Gonzalo Etxebarria, bien installé, avec ses jaunes et ses gris, signes d’une connivence. Il entonne un vieux chant, Salbatore gora da. La chorale Kanta Hergarai reprend les couplets, les paroissiens enchaînent, les hommes aux galeries secouent les murs. Le tableau est là, il se transfigure, devenir des poèmes inaccoutumés.
Lucie Berçaits illumine le chandelier, la statue Xaindia est installée par Véronique Ithurralde, sa gardienne en secret. Koldo Amestoy et Txomin Heguy s’avancent vers l’autel, ils se tiennent au centre d’un triangle et se tournent vers son troisième angle où est un autre tableau de Gonzalo Etxebarria, sur un mur décati. Jaune et gris toujours, un vieux rose transparaît. Comme une variation du doute, l’esquisse des mêmes trajets. La toile vibre, elle est à sa place. Les deux conteurs alternent, ils disent les légendes cent fois entendues, leur « voix lointaine calme et et grave a l’inflexion des voix chères qui se sont tues ». Tous aiment écouter les récits, encore et encore. Un ton, des mots émanent du tableau qui regarde les deux hommes, c’est le fil tout puissant des regards dans l’échange amoureux.
Jeanne Unhassobiscay, est la « maîtresse vieille » d’Intxazendaga à Behorlegi, ainsi qu’il est écrit dans les actes anciens recueillis par Bernard Aldebert. Elle est agenouillée, au pied d’une autre toile de Gonzalo Etxebarria ou apparaissent des jaunes orangés, lumineux. Tels la cire et la flamme d’ezko qu’elle garde en sa maison, dans le petit panier d’osier. Jeanne est silencieuse comme la Madeleine à la veilleuse de Georges de la Tour. Elle prie pour sa lignée, son fils disparu trop tôt. Puis se relève très droite devant le tableau, dans l’insomnie du temps, son admirable tremblement, elle traverse l’espace de réminiscence et de mirage où le sens recule et brille.
Au fond de la chapelle sont accrochés des dessins à la plume de Gonzalo Etxebarria, titulurik gabe, sans nom. L’homme seul les appelle Arima erratiak, les âmes errantes, dont les femmes parlent à demi-mot, le soir en famille. « Elizaldeko arima erratiak », dit une croix de Zaro. Les œuvres sont à leur place. Devant elles, se tient Natalia M. Zaïka, elle connaît toutes les légendes. Son visage à l’air grave, est celui de Notre Dame de Kazan, icône de Saint-Pétersbourg. Natalia saisit la viole de gambe posée à ses pieds, elle regarde les dessins de Gonzalo Etxebarria dont elle comprend la langue, ses yeux se ferment. Elle joue La Rêveuse de Marin Marais et d’autres airs anciens. Un homme l’accompagne, il ressemble à Jordi Savall.
Tous sont partis, seul l’homme est dans la chapelle. Les cinq tableaux de Gonzalo Etxebarria, la douzaine de dessins sont là, à leur place. Monte un murmure, l’haleine du temps qui témoigne de la vie. Les œuvres mettent à jour des nœuds, des apories, des velléités sans fin, des fatalités sans retour. L’homme seul frissonne. Il quitte Saint-Sauveur, « rose impossible dans la nuit ». Il marche, les tableaux l’habitent. II se souvient d’un texte de Pierre Reverdy, extrait de Sources du vent, traduit par une étrangère, publié dans Maiatz : «Lehertzearen aintzineko ixiltasuna / Doi doia begistaturik agertu den bidean / Artaldeak galdurik artzaina joaiten zen / Ortzantzaren ondotik / Bere hedoi artaldearen / eta mundutik gelditzen zenarekin / Burua mugituz nigar egiten zuela uste ziteken».
+ Atelier-galerieTtok, ouvert jusqu’au 28 janvier, les mardis de 17h à 20 h, les mercredis de 9h à 17 h et les jeudis de 15 h à 18 h. Fermé du 21 au 30 décembre et jours fériés. Possibilité d’ouvrir sur rendez-vous, tél: 05 59 93 05 61.
+ Cet article n’est qu’un patchwork, fruit de réminiscences écrites par d’éminents écrivains.
Eskermila Ellande, bihotz bihotzetik
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L’exposition présente un admirable livre d’artiste, Robinson, expression d’ateliers animés dans des établissements qui accueillent des personnes en situation de handicap psychique. Ils sont gérés par l’association Caminante. Ces ateliers ont pour chevilles ouvrières le peintre Gonzalo Etxebarria, le vidéaste Pette Etxebarria et le photographe Patxi Laskarai. La démarche s’inscrit dans le courant de l’art brut ou celle d’artistes outsiders que l’on peut voir à Bègles et dans quelques musées européens. Dessins, peintures et photos restituent —trop partiellement sans doute— l’exceptionnelle dimension humaine de la démarche. Un tel travail rappelle celui de Oi bihotz ! par le peintre José Luis Zumeta, valorisant par ses sérigraphies les écrits des pensionnaires de l’hôpital psychiatrique d’Arrasate. https://www.enbata.info/articles/zumeta-dans-sa-geo-poetique/