25 ans après sa construction, malgré de vives polémiques et un important investissement, le musée de Bilbao est le symbole d’une transition économique réussie.
Solomon Robert Guggenheim (1861- 1949) était donc ce magnat américain d’origine suisse-allemande dont le père, Meyer Guggenheim, avait fait fortune dans les métaux précieux, grâce, notamment, à l’exploitation de mines d’or situées en Alaska. Fortune faite, l’homme se tourna vers l’art et la culture. Collectionneur établi à New York, il se fit mécène. Et mourut avant d’avoir pu connaître deux des plus importants musées qui soient, construits durant la seconde moitié du XXe siècle, à l’initiative de la Fondation qui porte toujours sa griffe. Deux véritables institutions en fait : l’une implantée à New York, construite dans les années 50, l’autre à des milliers de kilomètres de là, sur les rives du Nervion à Bilbao. C’était en 1997.
Un quart de siècle a donc passé. Le Guggenheim, amarré à la rive gauche, en aval du pont de La Salve, est parvenu à s’y faire un nom et à passer de l’état de projet audacieux, à cet immense navire de titane que l’on connaît. Le paquebot s’est finalement substitué à tous les bâtiments qui commerçaient sur la Ria, au point d’avoir drainé quelque 25 millions de visiteurs ces 25 dernières années. Qui l’eût cru ? Personne à vrai dire.
À sa construction, les prévisions officielles de fréquentation les plus optimistes étaient deux fois moindres…
Une énorme polémique
Sa construction fut précédée d’une grosse polémique et entourée d’un énorme scepticisme, bien que le projet ait été porté par l’ensemble des institutions de la région (Mairie, Diputación de Biscaye, Gouvernement autonome, dirigés par le PNV, parti nationaliste basque, et son allié socialiste).
Le PNV fut le premier à se convaincre que le projet “ révolutionnaire ”, d’un point de vue architectural, pouvait devenir une vraie locomotive pour la ville et sa région encore plongées dans un grand marasme économique, consécutif à la crise industrielle majuscule survenue avec les années 70-80.
Le Parti socialiste d’Euskadi eut du mal à jouer ce pari. Mais le PSE finit par s’y raccrocher, après avoir obtenu de son allié que le projet initial soit quelque peu revu à la baisse !
L’organisation armée ETA trouva là l’occasion de se projeter à l’international en prenant fait et cause contre ce projet pharaonique. Un attentat d’ETA, perpétré à quelques jours de l’inauguration (prévue le 18 octobre 1997), coûta la vie à un “ ertzaina” en faction devant l’entrée de l’édifice.
La population elle-même était très divisée. Les deux plus grands sculpteurs basques du moment avaient des avis opposés : Eduardo Chillida était ravi alors que Jorge Oteiza criait au danger, convaincu que la culture basque en sortirait appauvrie. Mais il finit par changer d’avis et par visiter le musée sous la conduite d’Eduardo Chillida(1).
En effet, comment croire que le navire de titane allait contribuer à la renaissance économique de la cité, asseoir sa notoriété et la projeter dans la modernité et l’avant-garde, grâce au talent de l’architecte américain Frank Gehry ? Lorsqu’il découvrit Bilbao, celui-ci avait vu une ville industrielle grise et perçu le haut potentiel de ses quais désertés en attente de renouveau, au plein centre-ville. Les faire renaître grâce à la culture ? L’idée paraissait à peine croyable. Frank Gehry eut un vrai coup de foudre et se mit à l’ouvrage. La petite histoire dit qu’il eut recours aux calculs des ingénieurs de Dassault- Breguet afin de concevoir sa carapace de titane chatoyant et tout en courbes. Frank Gehry qui s’est dernièrement rendu à Bilbao pour y fêter ses 25 ans d’histoire, s’est parait-il, félicité de l’excellent état du bâtiment. Selon lui, le tour de main réalisé à Bilbao n’est pas le sien mais le fruit du consensus atteint parmi les décisionnaires. Ce qui, a-t-il ajouté, l’autorisa à faire preuve de la grande liberté d’idées et de mouvements reflétée par le bâtiment !
Près de 6 milliards d’euros de PIB
L’opération lancée de concert avec la Fondation Guggenheim de New York, allait certes s’avérer coûteuse (plus de 250 millions d’euros), mais l’on estime qu’en un quart de siècle, le nouveau musée a produit près de 6 milliards d’euros de PIB et non loin d’un milliard d’euros de recettes fiscales. Fruit d’une alliance entre public et privé, il prit corps dans une région en grande difficulté, en proie à un taux de chômage de l’ordre de 25% (et davantage par endroits), dans cette ville qui se targuait par ailleurs d’abriter l’un des musées des Beaux-Arts d’Espagne, le Bellas Artes, parmi les plus anciens et les plus riches en collections. Créé en 1908 à l’initiative d’un collectionneur privé de Bilbao, il vient de réaliser d’importants travaux d’extension et d’aménagement. Qui donc pourrait imaginer Bilbao sans son Guggy ? Pas plus que Bilbao sans la fameuse grue écarlate qui témoigne de son passé de chantier naval, installée dans le voisinage du Musée maritime, en aval du fleuve ? D’une exposition à l’autre (plus de 200 au total), le musée a boosté l’économie locale et inscrit Bilbao sur la mappemonde ou si l’on préfère sur une carte, selon la formule que Bilbao aime bien. Cet anniversaire consommé, une nouvelle étape s’y ouvre. Comme l‘indique son directeur, Juan Ignacio Bidarte (présent depuis le premier jour), l’objectif n’est pas de durer pour durer, mais de continuer à innover.
(1) Musée à ciel ouvert Eduardo Chillida, à Hernani. En Navarre, à Alzuza musée consacré à Jorge Oteiza.
Les 10 expositions du Guggenheim les plus courues
1998 5000 ans de Chine
1999 Eduardo Chillida 1948-1998
2005 l’Empire Aztèque
2008 Juan Muñoz
2012 David Hockney
2014 Yoko Ono
2016 Francis Bacon de Picasso à Velasquez
2017 Paris fin de siècle
2020 Kandinsky
2021 Les Années follesActuellement :
Les collections du musée.