La France, pays des droits de l’homme? Pour les textes fondateurs oui, sans aucun doute.
En 1789 la déclaration française fut rédigée par les collaborateurs de l’archevêque de Bordeaux Champion de Circé, en 1948 la déclaration universelle fut préparée par le regretté René Cassin: tous deux étaient français, comme on sait. Mais dans les travaux pratiques?
«La France qui dit si bien le droit et qui suit les chemins tortueux» écrivait Léopold Sédar Senghor, président de la République du Sénégal, ancien député puis ministre français, agrégé de l’Université, grand poète francophone et ami de la France.
Celle-ci est surtout le pays du bien dire: ensuite on croit que çà y est… Cette bonne conscience générale fait qu’en France il est très difficile de faire bouger les lignes, de rectifier les manquements au droit des gens, et surtout de battre en brèche la sacro-sainte raison d’Etat profondément gravée dans le logiciel national, de marque césariste.
«L’Etat est le plus froid des monstres froids» disait Nietzsche. Sur ce point aussi l’Etat français, précoce, expérimenté, rodé de longue date, est presque parfait, pour ainsi dire sans faille dans sa banquise : le meilleur congélateur politique du monde à mon avis. Il vient de le montrer une fois de plus, de façon remarquable, à la mort du prisonnier basque Xabier Lopez Peña. En supposant même qu’elle l’ait soigné correctement, l’administration s’est conduite de la façon la plus glaciale qui soit avec sa famille. Ce n’est pas étonnant. Sans remonter plus haut, ce demi-siècle de militantisme nous a permis de vérifier constamment la position absolutiste des dirigeants français successifs face à toute aspiration de ses minorités nationales, dont la nôtre.
Le traitement glacial infligé
aux prisonniers basques persiste
malgré la cessation de la lutte armée d’ETA:
éloignement de la famille et du pays,
dispersion, durées interminables.
Merveille de l’idéologie
D’ailleurs il ne saurait y avoir de telles minorités dans «la République une et indivisible», puisque nous sommes tous égaux et libres, et pas davantage à ses yeux chez sa voisine, «la jeune démocratie espagnole». Oh merveille de l’idéologie et miracle de la méthode Coué!
Le traitement glacial infligé aux prisonniers basques persiste malgré la cessation de la lutte armée d’ETA: éloignement de la famille et du pays, dispersion, durées interminables. Dans l’Etat français, les cas les plus connus sont ceux de Jon Parot, Haramboure et Lorentxa Beyrie qui sont sous les verrous depuis si longtemps… Pour les faits qui leur sont reprochés, des condamnés de droit commun seraient probablement dehors depuis quelques années. Mais voilà, ceux-ci ont agi pour des motifs politiques, dans une lutte de libération nationale: donc pas de pitié, même pas d’équité. Surtout ne pas dire que ce sont des «prisonniers politiques». A ces mots le gouvernement français se fâche, et le gouvernement espagnol dégaine: «l’Espagne est une démocratie!» Peut-être. Mais la France en était une à coup sûr pendant la guerre d’Algérie, et pourtant on cassait de «l’Arabe» en son nom, et l’on torturait abondamment: il aura fallu attendre un demi-siècle pour que des généraux le reconnaissent dans leurs livres. Espérons que pour les Basques, les aveux ennemis tarderont moins. D’ici là, va-t-on laisser nos prisonniers de guerre au frigo, si ce n’est au congélateur? A quand le dégel de la question basque? En fait le dégel des cerveaux jacobins, d’abord dans ce pôle nord? Le pôle sud est en principe le pire, mais c’est à vérifier. Et que dirait aujourd’hui René Cassin, lui qui dénonçait constamment la toute-puissance des Etats et leurs abus de pouvoir?