La direction du syndicat ouvrier ELA, la plus grande organisation basque avec ses 102 697 adhérent.es, s’est réunie le mercredi 22 février à Bayonne. Le comité national d’ELA a analysé la situation générale en Iparralde. Il l’a fait dans un contexte de mobilisations répétées et déterminées contre le report de l’âge du départ à la retraite, et juste avant un Aberri Eguna à l’importance particulière des 8 et 9 avril à Itsasu, auquel le syndicat d’Hegoalde a appelé à participer. La direction politique du syndicat majoritaire en Pays Basque sud est revenue sur ces 60 années de combat abertzale en Pays Basque nord. Et dans un texte intitulé « Herria eraiki – Faire Pays » qu’Enbata publie aujourd’hui, elle a tout particulièrement étudié la dernière décennie de luttes et avancées diverses qui viennent selon elle « valider un certain nombre de paris stratégiques posés par les abertzale d’Iparralde ».
Le Comité national d’ELA, réuni à Bayonne, s’est tout particulièrement penché sur la situation actuelle d’Iparralde. Il a ainsi pu mesurer le chemin parcouru pendant ces 60 années de combat abertzale au nord du Pays Basque. Et il a analysé la création de nouveaux outils, la liste d’acquis, de victoires et d’évolutions qui s’y sont succédé lors de cette dernière décennie, venant valider un certain nombre de paris stratégiques posés par les abertzale d’Iparralde.
Stratégies gagnantes
Le 14 janvier 2013, le Comité national d’ELA, réuni ce jour-là à Bayonne, dénonçait le refus du premier ministre de l’époque, Manuel Valls, d’ouvrir un débat sur la question d’une structure administrative pour Iparralde. 10 ans plus tard, les stratégies gagnantes et la mobilisation permanente mises en oeuvre par la société d’Iparralde ont fait sauter le verrou et donné naissance à la première institution pour nos trois provinces du nord : la Communauté d’agglomération Pays Basque.
La création de cette première institution est directement issue du combat de Batera et de la lutte exemplaire qui s’est menée autour d’Euskal Herriko Laborantza Ganbara, que le gouvernement français a tenté d’interdire. EHLG a gagné tous ses combats politiques et judiciaires et s’est considérablement consolidée et renforcée depuis.
Nouvelles approches
L’exemple d’EHLG, le travail de formation de la Fondation Manu Robles-Arangiz, la naissance et l’action de Bizi, l’organisation d’Alternatiba en octobre 2013, ont contribué à susciter, aux côtés d’autres sources d’inspiration, une nouvelle approche du combat pour la souveraineté d’Euskal Herria et pour un modèle de société plus juste et plus durable : la construction d’alternatives mettant en pratique, dès aujourd’hui, dans divers aspects de la vie quotidienne, ces objectifs-là.
Cette décennie aura été celle de la création de l’eusko, aujourd’hui première monnaie locale complémentaire d’Europe, de Lurzaindia, d’I-Ener, d’Enargia, et de bien d’autres pierres à l’édifice d’un Pays Basque souverain, solidaire et soutenable. Elle aura aussi été celle de mobilisations populaires déterminées et non-violentes qui ont réussi à faire échec à nombre de projets imposés, destructeurs et inutiles, et à en protéger le territoire et la population d’Iparralde : voie nouvelle LGV, aménagement de La Rhune, projet de mines d’or… La mobilisation de la société civile a également eu un rôle déterminant dans l’émergence d’un nouveau panorama général, en refusant l’enlisement provoqué par l’inertie des deux États suite à la déclaration d’Aiete en 2011. L’opération de Louhossoa en 2016, le désarmement d’ETA le 8 avril 2017, suivi de sa dissolution, les mobilisations pour les Le comité national d’ELA réuni à Bayonne le 22 février 2023. prisonniers basques allant jusqu’à manifester à Paris ou à bloquer Iparralde ont réussi à changer la donne et à débloquer nombre de situations mettant en danger les objectifs de paix et de justice que la majorité de la société basque poursuit aujourd’hui. ELA affirme sa solidarité la plus complète avec les différents Artisans de la Paix d’Iparralde qui, de Louhossoa aux actions du 19 juillet 2022, se retrouvent aujourd’hui poursuivis — comme c’est le cas du membre du Comité national Txetx Etcheverry — ou jugés par les tribunaux de Dax, Bayonne et Paris, pour avoir pris part à cette mobilisation d’intérêt public.
Enfin, ELA ne peut que se réjouir spécifiquement de voir la réussite d’un nouveau pari stratégique pris, il y a deux ans de cela, avec la création d’un mouvement oeuvrant au sein des milieux et quartiers populaires. Alda voit aujourd’hui des centaines de familles et personnes solliciter chaque année son accompagnement et son soutien. Ce chiffre grandissant témoigne de la reconnaissance chaque fois plus importante dont jouit ce nouveau mouvement mais hélas aussi de la précarisation croissante des secteurs populaires en Iparralde. Le démantèlement de l’État providence et des acquis sociaux, les dégâts du néo-libéralisme, les politiques de plus en plus inégalitaires et les crises du logement et de l’énergie font chaque jour plus de victimes.
La nouvelle association a remporté plusieurs victoires particulièrement importantes, comme celle de l’adoption par la CAPB de la mesure dite de compensation venant stopper la transformation des résidences principales en Airbnb permanents, ou celle de la création d’un Comité de lutte contre les baux frauduleux. Alda a vu son travail consacré par les milieux populaires en remportant une majorité absolue en Pays Basque lors des dernières élections de représentants des locataires HLM.
Faire pays…
Cette décennie a été marquée par une nette progression électorale du mouvement abertzale, avec par exemple la prise de plusieurs municipalités importantes par les abertzale et la présence sans précédent d’EHBai sur 7 cantons sur 12 au second tour des départementales de 2021.
Au delà de cet indicateur significatif, il est étonnant et encourageant, de voir la multiplication ininterrompue d’événements et de manifestations regroupant plusieurs milliers de personnes ou gagnant peu à peu une certaine hégémonie culturelle, sur un territoire de 320 000 habitants et autour des enjeux les plus divers : défense de l’euskara ; lutte pour le droit de vivre et de se loger au Pays ; rejet du report de l’âge de départ à la retraite ; exigence d’une paix juste et globale ; défense des terres agricoles et d’un modèle d’agriculture paysanne, juste et durable ; refus de la voie nouvelle LGV ; mobilisations féministes et combat pour l’égalité des genres ; mobilisation pour l’accueil des migrant·es ; demande d’une métamorphose sociale et écologique du territoire… Ces dynamiques massives « font pays » d’autant plus qu’elles résonnent le plus souvent avec les mêmes demandes et préoccupations exprimées en Pays Basque sud.
…et aller plus loin dans sa reconnaissance officielle et sa consolidation institutionnelle
Pour autant, ce Pays, qui se construit au quotidien, est loin d’être maître de toutes les clefs de son présent et de son avenir. La CAPB n’est pas la Collectivité territoriale à statut particulier que demandait la majorité de la population d’Iparralde. La revendication institutionnelle est donc toujours à l’ordre du jour. D’ici la prochaine étape à franchir à ce niveau, il convient d’adapter l’existant. Les agglomérations XXL comme celle d’Iparralde se heurtent à un certain nombre de difficultés qu’il convient de remédier en pouvant expérimenter des solutions différenciées en fonction des réalités du territoire concerné, et en instaurant l’élection au suffrage universel de ses élus. Il faut également doter le Pays Basque nord des outils institutionnels adaptés à ses réalités de terrain et à sa nouvelle configuration administrative. Parmi eux figure sans conteste l’Office Public agricole et alimentaire pour le Pays Basque nord, qui serait l’organe consultatif et représentatif sur les questions agricoles et alimentaires d’Iparralde. Il définirait le projet agricole et alimentaire du Pays Basque nord pour le décliner en actions concrètes et mettre en face les moyens financiers.
Cette décennie aura été celle de la création de l’eusko,
aujourd’hui première monnaie locale complémentaire d’Europe,
de Lurzaindia, d’I-Ener, d’Enargia, et de bien d’autres pierres
à l’édifice d’un Pays Basque souverain, solidaire et soutenable
Thème de différenciation par excellence, la politique linguistique doit être un territoire d’expérimentation. L’uniformité française ne peut s’appliquer sur l’euskara. Que ce soit sur l’enseignement, les examens, les médias, les loisirs ou l’usage dans les structures publiques, les habitants du Pays basque ont montré qu’ils voulaient plus d’euskara. Il est temps que les freins soient levés et que l’avenir de la langue ne repose plus sur les acteurs associatifs et militants, mais bien sur une politique linguistique adaptée, ambitieuse, et dotée de moyens.
La voix du Pays Basque doit être entendue et respectée : il est inadmissible de voir qu’alors qu’une immense majorité des conseillers communautaires du Pays Basque s’est prononcée contre le principe même d’une nouvelle voie LGV, les trois institutions extérieures à Iparralde (département, région et État) s’obstinent à vouloir la lui imposer et forcent ses habitants à s’acquitter d’une nouvelle taxe visant à la financer.
Il n’est pas plus acceptable d’entendre que le fait d’avoir pour cadre d’action spécifique le Pays Basque puisse justifier l’éviction d’Alda des postes de représentants des locataires dans certaines instances stratégiques de l’Office 64 de l’Habitat, alors même que sa liste a remporté une très large majorité des votes des locataires de ce bailleur social.
Euskal Herria burujabe
La lutte continue donc plus que jamais pour que ce Pays ait le droit de choisir et de construire l’avenir qu’il souhaite. La mobilisation actuelle, massive et plurielle, contre le projet de réforme des retraites démontre une large aspiration à ce que cet avenir soit basé sur la solidarité, le partage des richesses et le respect des limites de la planète.
Les 8 et 9 avril à Itsasu se tiendra un Aberri Eguna spécial, à l’occasion des 60 ans du premier Aberri Eguna organisé en Iparralde. ELA considère que le chemin spécifique parcouru par le mouvement abertzale d’Iparralde depuis 1963 a permis d’y poser des bases solides et bien orientées : celles qui permettent à la population actuelle de regarder chaque jour davantage en direction d’Euskal Herri Burujabe, le Pays Basque souverain, solidaire et soutenable.