Contourner l’incontournable

Hemen erabaki, cortège de LAB dans une manifestation pour les retraites.


La énième démonstration de l’exclusion de LAB par l’intersyndicale permet de rappeler celle d’acteurs locaux comme Alda, ELB ou encore EHBai. Le slogan « vivre, travailler et décider au pays » n’a jamais été aussi soutenu. Pourtant, les organisations qui le portent sont encore et toujours confrontées à des oppositions dangereuses.

Le mouvement abertzale de gauche progresse. Devenu la première force abertzale et première force de gauche du Pays Basque Nord, beaucoup pensaient que les temps de la marginalisation des « Enbata zikina » étaient révolus. Pourtant, certains épisodes nous rappellent régulièrement que la normalisation est loin d’être achevée.

Retour sur l’exclusion de LAB

L’exclusion permanente de LAB par l’intersyndicale en est un exemple et s’est de nouveau illustrée lors de la manifestation du 1er mai. Malgré une contribution essentielle lors des mobilisations de terrain contre la réforme des retraites, LAB continue d’être écartée par une partie des organisations syndicales contrôlées par les centrales parisiennes et paloises. Le 1er mai réellement unitaire de ces dernières années organisé à l’initiative de LAB, qui comprenait non seulement les organisations syndicales présentes au Pays Basque Nord mais aussi les organisations militantes de gauche, écologistes, solidaires, a été balayé d’un revers de main par les syndicats centralisés qui ont repris le contrôle grâce à l’actualité médiatique.

Les temps ont changé, mais le souvenir de l’exclusion des abertzale de gauche des espaces démocratiques est encore frais. Refuser à tout acteur abertzale quel qu’il soit la légitime place que ses militant·e·s ont acquise par la force de mobilisation et de représentation démocratique d’une partie de la population basque, au motif qu’ils défendent un autre projet de société, rappelle la logique des heures les plus sombres des interdictions des forces abertzale, en commençant par celle d’Enbata. Cela revient à s’en prendre à la totalité du mouvement abertzale de gauche.

Une exclusion qui en rappelle d’autres

Plus largement, cette exclusion en rappelle d’autres. Les acteurs qui décident de défendre les habitants du territoire en s’organisant à l’échelle du Pays Basque Nord et en revendiquant leur souveraineté pour la gestion de sujets qui les concernent se trouvent régulièrement confrontés à des marginalisations similaires.

Les mêmes arguments ont été développés pour l’exclusion d’Alda des instances de décision des bailleurs sociaux alors qu’elle est arrivée largement majoritaire aux élections de représentants des locataires. Même chose pour ELB lors des élections syndicales à la Chambre d’agriculture, à qui on refuse de présenter les résultats sur la partie basque alors que les estimations le donnent majoritaire. Même tarif, toujours pour LAB, à qui on refuse de présenter ses résultats électoraux sur le territoire et donc, une quelconque représentativité des salariés du Pays Basque Nord. EHBai aussi est confrontée à des problématiques similaires, car elle non plus, ne dispose toujours d’aucune circonscription électorale à l’échelle du territoire. Au Pays Basque Nord, les acteurs qui progressent sur le plan des idées et sur le terrain continuent de se voir privés de leur place légitime dans les espaces de décision, qu’ils soient au sein des instances politiques ou des espaces militants.

Deux facteurs majeurs permettent de contourner les acteurs locaux qui deviennent pourtant de plus en plus incontournables.

La poussière de l’espace médiatique

Le premier, c’est l’agenda médiatique de la presse centrale qui éclipse les acteurs locaux et crée ponctuellement des forces d’attraction sur les acteurs étatiques qui y sont projetés. Il construit des représentations des rapports de force calibrés à l’échelle de l’État qui permettent parfois aux acteurs étatiques d’écarter les acteurs locaux. C’est le cas par exemple de l’intersyndicale des Pyrénées-Atlantiques qui décide tout à Paris ou à Pau, sans concertation avec LAB ; mais aussi celui de la NUPES qui s’est présentée au Pays Basque Nord lors des dernières législatives, malgré la présence d’EHBai. Or, cette dépendance au système médiatique étatique est valable pour tous ; et lorsque la poussière de la tension médiatique redescend, elle replace le rapport de force de terrain réel. Ce premier facteur montre l’urgence du développement de systèmes médiatiques locaux auprès des publics de grande audience pour mettre en lumière l’existant et repositionner les espaces démocratiques en fonction de leur juste réalité.

Prise de parole de LAB le 1er Mai à Bayonne.


Bertan erabaki

Le second facteur est évidemment l’absence d’instances de décision à l’échelle du Pays Basque Nord et donc d’élections directes qui permettent de mettre en lumière le rapport de force réel des acteurs mobilisés et de peser en conséquence dans les orientations politiques.

Cette absence d’institutions questionne surtout la légitimité des décisions appliquées aux habitants du territoire dans des configurations où les acteurs locaux majoritaires sont en minorité au sein d’instances à l’échelle de territoires plus vastes.

À défaut d’institutions locales, pour se faire entendre, les organisations militantes sont contraintes de lancer des mobilisations spécifiques pour obtenir la place qui leur est légitimement accordée par les habitants du territoire, comme Alda. Elles participent à la construction d’alternatives pour pallier la carence d’institutions mises en place par les pouvoirs publics, comme ELB avec Euskal Herriko Laborantza Ganbara. Ou encore, comme LAB et EHBai, elles doivent trouver les schémas de travail avec des alliés : au Pays Basque Sud dans la voie de la construction d’un Pays Basque libre au croisement d’une Europe en mutation ; avec les frères et soeurs des nations sans États ; avec les femmes et les hommes qui sont porteurs de projets de société alternatifs en France, en Espagne ou ailleurs dans une perspective internationaliste ; mais aussi, sans doute, avec les militant·e·s des organisations centrales du Pays Basque Nord qui comprennent l’urgence à trouver des relations sincères pour construire des schémas de luttes efficaces.

LAB, ELB, Alda, EHBai, et bien d’autres organisations militantes souffrent encore du manque d’espaces qui permettent de construire les outils de gestion politiques dont le territoire a besoin pour mettre en place des projets de société alternatifs répondant aux besoins de la population locale. Bertan erabaki, « décider localement », c’est le slogan porté par LAB depuis des années et dont la nécessité s’applique à toutes les luttes du territoire.

Le jeu de l’adversaire

Refuser la présence des acteurs abertzale et bloquer leur progression en les marginalisant aboutit à laisser les publics populaires sans issue. Les organisations militantes étatiques butent sur les cloisons capitonnées d’un pouvoir qui se ferme de façon ultra-autoritaire. La promesse qui est faite aux publics populaires du Pays Basque Nord est celle d’une alternance politique de gauche à l’échelle de l’État qui ne vient pas. La tentation d’un basculement vers l’extrême droite progresse ici comme ailleurs…

L’écartement volontaire des acteurs abertzale dans la possibilité d’incarner une alternative pour les publics populaires du territoire renvoie à la même logique de disqualification de la gauche française par le gouvernement Macron qui aboutit finalement à pousser les publics populaires français dans les bras de l’extrême droite.

Ici comme ailleurs, il y a urgence à construire des espaces d’émancipation locaux, des contre-pouvoirs, des contre-hégémonies, des institutions politiques locales qui permettent de gérer en pleine souveraineté l’intégralité des questions qui concernent la vie des habitants.

Le présent et l’avenir

Le Pays Basque est touché, comme de nombreux territoires, par des problématiques nouvelles dont les leviers d’action possibles sont de plus en plus locaux. Il y a ici de véritables spécificités. Pas uniquement sur les questions identitaires, culturelles et linguistiques qui ont d’ailleurs fourni des mobilisations exemplaires et abouti aux premières institutions publiques – envers lesquelles d’ailleurs le niveau d’implication de l’État reste très largement insuffisant comme l’a rappelé la dernière manifestation d’Euskal Konfederazioa. Il est aussi spécifique parce qu’il dispose d’un contexte social, culturel et politique provoqué par la diversité d’acteurs qui rend possible ici ce qui est impossible ailleurs. C’est le cas de l’accueil des migrants, de la métamorphose écologique et des luttes contre les grands projets inutiles, des avancées sur le logement, de l’agriculture paysanne, des luttes féministes et des minorités sexuelles, etc. Ce sont là autant de thématiques sur lesquelles les abertzale de gauche ont joué un rôle moteur.

Les acteurs abertzale progressent parce qu’ils offrent un socle idéologique progressiste salutaire et une option stratégique opportune qui ouvre des perspectives à l’échelle locale au moment où les pouvoirs centraux se ferment. Ils construisent des espaces d’émancipation pour la totalité de la population du Pays Basque. N’en déplaise à l’État, à ses avant-gardes jacobines, aux conservateurs et ultralibéraux de tous horizons : comme déclaré lors de l’Aberri Eguna à Itsasu, plus que jamais, l’abertzalisme de gauche est « le présent et l’avenir de ce pays ».

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Une réflexion sur « Contourner l’incontournable »

  1. l’abandon du paritarisme par les centrales syndicales jacobines est daté. Apres le mouvement de de 1995 contre la reforme de la sécu. Juppé en 1996 fait adopter une loi constitutionnelle donnant au parlement la gestion du budget de la sécurité sociale. Depuis 1945 en accord avec les options du CNR le système de sécurite sociale et ses différentes branches étaient gérées de façon paritaire . C’etait le pilier de la sécurité sociale et de la democratie sociale. mais depuis Fabius l’offensive de la technocratie c’est affirmé plus aucun vote pour les représentant salarie au CA de la secu n’a etait organisé. Les syndicats étatistes en figeant ce rapport de force democratique ont renoncé à cette gestion et leurs influence a régressé au profit de la haute administration qui de fait à le pouvoir sur le politique. Et les énarques disent qu’ Ils regrettent la disparition des corps intermédiaires et se référent au modele allemand de cogestion mais c’est un leurre.Le projet de Lab leur rappelle cet episode et est intolérable pour cela. Donc il faut revenir à la democratie sociale par le vote à la secu des représentant salaries…

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