Maîtriser notre destin… et la complexité des choses

Dans un Pays Basque nord dont la majorité de la population ne se définit pas comme abertzale, comment doit-on appréhender le fait qu’un mouvement tel que Bizi! défende le projet d’un Euskal Herri souverain, solidaire et soutenable ?

Les samedi 7 et dimanche 8 octobre à Bayonne se tiendra Euskal Herria Burujabe, évènement festif et revendicatif, mais également temps fort d’une réflexion de fond lancée dès Alternatiba 2018. Le document Euskal Herria burujabe qui fut alors publié entamait la réflexion sur la souveraineté d’Euskal Herria avec un angle différent de celui auquel certains étaient jusqu’alors habitués.

Avec ce travail théorique, l’objectif de Bizi! était de rédiger un projet global « nous servant de boussole dans nos engagements quotidiens ». Il s’agissait de « commencer humblement à dessiner les chemins de transition pour avancer vers Euskal Herria burujabe ; vers un Pays Basque souverain, soutenable et solidaire ». Face à « un système hors-sol, la tyrannie de la croissance, une société déshumanisée, et une impossible fuite en avant », Bizi! posait dans sa réflexion un concept nouveau, un objectif stratégique fort ainsi défini : « reprendre possession des conditions de nos vies ».

Pour en reprendre possession, Bizi! proposait de travailler à la reconquête des diverses souverainetés réelles, concrètes (alimentaire, énergétique, résidentielle, économique, sociale, culturelle…) dans un cadre géo-politique bien précis : Euskal Herria.

Pour Bizi!, mouvement basque qui s’est créé dans et pour la bataille du climat, travailler à ce qu’Euskal Herria puisse maîtriser réellement son destin était un objectif indispensable pour faire face aux grands défis universels de notre temps, en premier lieu desquels la déstabilisation du climat de notre planète. Et c’était aussi la manière la plus efficace de contribuer à la bataille planétaire contre cette déstabilisation.

Cinq ans après

Cinq ans après, la réflexion s’est prolongée et approfondie, alimentée par la pratique de Bizi! et aussi par celles des multiples expériences alternatives qui fleurissent de partout en Iparralde (Laborantza Ganbara, Euskal Moneta, Txirrind’Ola, Recycl’arte, I-Ener, Enargia, Lurzaindia, Konpon Txoko, Aupa, etc.). Elle va déboucher sur la publication d’un nouveau document, et également sur l’organisation d’un grand événement qui vise à socialiser cette réflexion et à lui donner un écho supplémentaire.

Cinq ans après, moi qui étais l’un des membres actifs de la Koordinaketa de Bizi! et du groupe Burujabe qui animait cette réflexion en son sein, je ne suis plus qu’un simple adhérent du mouvement qui en compte aujourd’hui près de 800, ce qui est considérable dans un petit territoire comme Iparralde. J’attends avec impatience de découvrir le nouveau document Euskal Herria burujabe et les réflexions réactualisées et approfondies qu’il offrira au débat collectif. Je me réjouis du travail phénoménal mené par les nouvelles équipes qui animent Bizi! et du pari important qu’elles ont pris avec l’organisation d’un grand rassemblement de deux jours autour de ce projet. J’apprécie autant la poursuite de cet exercice d’élaboration théorique que de voir des milliers d’affiches ou d’autocollants Euskal Herria burujabe fleurir de tous côtés dans un Pays Basque nord où la majorité de la population reste à convaincre du bien-fondé de la souveraineté d’Euskal Herria.

Porte d’entrée versus ligne d’arrivée ?

J’applaudis donc ce travail constant et enthousiaste des militantes et des militants de Bizi! pour plaider la cause d’un Pays Basque qui puisse maîtriser son destin, et pour construire les outils qui le permettent. J’ai pu lire ici ou là certains reprocher à Bizi! d’utiliser le concept de souveraineté alors que ce n’est pas une organisation abertzale, sous des titres fleurant bon le procès en sorcellerie : « Le mouvement Bizi! donne un faux sens au mot Burujabe » ou « Bizi! n’est pas abertzale mais instrumentalise des notions et des images abertzale »…

Tout comme Seaska ou ELB, Bizi! ne se définit effectivement pas comme une organisation abertzale. Mais au vu de son travail quotidien et permanent depuis près de 15 ans maintenant, mené conjointement par des bénévoles abertzale et d’autres non, je pose la question suivante : qui fait le plus avancer la cause abertzale aujourd’hui en Euskal Herria ? Ceux qui tentent d’inviter la majorité non abertzale à un projet qui défend la souveraineté du Pays Basque ou les « Max Havelaar » de l’abertzalisme qui leur reprochent de n’être qu’une porte d’entrée, et non la ligne d’arrivée ?

« Qui fait le plus avancer la cause abertzale aujourd’hui en Euskal Herria ? Ceux qui tentent d’inviter la majorité non abertzale à un projet qui défend la souveraineté du Pays Basque ou les « Max Havelaar » de l’abertzalisme qui vont leur reprocher de n’être qu’une porte d’entrée, et pas la ligne d’arrivée ? »

Les différents chemins

Je pense pour ma part que tout abertzale devrait se réjouir de voir un mouvement large comme Bizi!, qui n’est ni un parti politique ni une organisation se définissant à priori comme abertzale, porter et socialiser publiquement un projet parfaitement compatible avec les objectifs de souveraineté politique et institutionnelle qui fondent le combat abertzale.
Mixel Berhocoirigoin, qui avait participé à la relecture du document Euskal Herria burujabe de 2018, savait parfaitement définir une telle dialectique vertueuse. Voilà comment il en parlait, ici au sujet d’Euskal Herriko Laborantza Ganbara : « Dans les gens qui soutiennent la démarche de la Chambre, il y a des motivations de différents niveaux ; le combat, on le mène avec cette diversité ; je dis toujours, parce que je l’ai vérifié dans d’autres occasions, que, pour gagner un combat, il ne faut pas vouloir que tous ceux qui le soutiennent le fassent pour les mêmes raisons. Il peut y avoir des raisons différentes qui font que les gens, à un moment donné, convergent pour soutenir un combat ; ensuite, il faut construire cette convergence, il faut faire en sorte que cette convergence se transforme en cohérence (…). Je crois beaucoup à cela : si on fait un pas ensemble même si nos motivations sont différentes, on a fait un pas ensemble, et ensuite on peut imaginer un deuxième pas alors qu’on ne l’avait pas imaginé possible auparavant. Moi, je crois en cette dynamique-là. »

« Pour gagner un combat, il ne faut pas vouloir que tous ceux qui le soutiennent le fassent pour les mêmes raisons ; il peut y avoir des raisons différentes qui font que les gens, à un moment donné, convergent pour soutenir un combat, ensuite il faut faire en sorte que cette convergence se transforme en cohérence »

« Ça a donc une dimension abertzale. Il n’y a pas toujours besoin de le dire pour que ça le soit. Il vaut mieux que ça le soit sans être dit que l’inverse. Mais des gens qui ne sont pas abertzale s’y identifient aussi. Il y a plein de gens qui viennent à Laborantza Ganbara, intellectuellement, idéologiquement ou de façon matérielle par leur soutien, etc., par leur propre chemin. Certains parce que c’est abertzale, d’autres parce que c’est un autre type de développement, d’autres parce qu’ils mettent ça dans le cadre de la construction nationale, etc. Et moi, je dis que c’est très bien que chacun ait son chemin, pour venir à Ainiza à Laborantza Ganbara. Il ne faut surtout pas obliger tout le monde à venir par le même chemin ! Car si on doit faire avancer des choses en Pays Basque, c’est en respectant le chemin de chacun.»

Penser et agir dans un monde complexe

Quand je tente de comprendre divers mouvements et collectifs surgis ces dernières années en Euskal Herria, j’ai l’impression d’y retrouver une même caractéristique. Dans un monde de plus en plus déstabilisé et incertain, certains ont besoin de certitudes pour y faire face, de catéchismes rassurants, de vérités simples et absolues, de catégories bien tranchées. Mais à mes yeux, c’est au contraire la complexité qui offre les seules stratégies gagnantes et véritablement transformatrices, pour vraiment maîtriser notre destin commun.

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Une réflexion sur « Maîtriser notre destin… et la complexité des choses »

  1. Le côté binaire, les formes de pensée trop simplificatrice, n’ont à mon sens jamais été prodcutrices d’avancées fertiles. C’est de la complexité, des enrichissements nés de la diversité des chemins qui arrivent à converger, que viennent les avancées. Reprendre les paroles de Mixel Berhocoirigoin est bienvenu et fait du bien.

    Diversité…Rencontre… Quête de sens commun…Convergence…Cohérence… pour avancer ensemble.

    Un exemple type pour moi est la dynamique impulsée par Alda. Rien de plus diversifié à la base qu’aller chercher du côté des quartiers dits populaires, impulser des rencontres, dénoncer, créer du débat, faire causes communes bien au-delà des premières personnes les plus impactées et permettre des avancées pour tous et toutes, abertzale ou non.

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