Responsable historique du FLNC de 1977 à 1989, élu de l’assemblée corse de 1984 à 1998, Pierre Poggioli fut secrétaire général de l’ANC. Docteur en sciences politiques, il est l’auteur de nombreux ouvrages. Il analyse ici point par point et sans langue de bois le discours présidentiel du 28 septembre à l’assemblée de Corse et il évoque certains travers du camp abertzale.
Nous entrons dans un nouveau cycle et des perspectives sont ouvertes. Mais après des années durant lesquelles la Corse avait disparu des radars gouvernementaux, depuis le rejet du référendum de Nicolas Sarkozy par notre faute(1) , et après la visite humiliante de février 2018, il y a un changement d’approche. Dont acte. Il est certain que demain, on ne rasera pas gratis.
L’autonomie vide de tout contenu, ce n’est pas l’autonomie interne. J’ai toujours refusé de me définir comme indépendantiste. En 1984, j’ai œuvré au premier rapprochement avec les autonomistes de l’UPC, via une liste commune. L’autodétermination étant la formule qui permet de relier les démarches autonomiste et indépendantiste dans une stratégie commune. Mais l’autodétermination était conçue non pas comme un simple vote, mais d’abord une démarche de désaliénation, de réappropriation de nos moyens de production et d’échanges, et de construction d’outils permettant à la société corse d’évoluer et de maîtriser son destin, l’indépendance ou toute autre formule institutionnelle que le peuple choisirait. En 2008, j’ai œuvré en ce sens à la création de Corsica Libera qui par la suite, devenant un parti indépendantiste, a squeezé les raisons de ma participation à ce mouvement. Ce fut entre autres une des raisons de mon éloignement, puis de mon départ. Dans cette perspective, je me définis comme un étapiste dans le long chemin de l’émancipation du peuple corse et de la maîtrise de son destin, d’où mon choix actuel de l’autonomie interne.
Entre nationalistes, les positions vont se durcir
Entrant dans un nouveau cycle, les positions vont se durcir. Pas celles venant de la droite ou de la gauche. Ces forces politiques – ou ce qu’il en reste – se sont toujours opposées à toute évolution spécifique de la Corse et aux droits du peuple corse sur sa terre. Ce qui m’inquiète, ce sont les positions entre nationalistes, les postures, les antagonismes, les divisions, souvent hélas plus politiciennes que réellement politiques, surtout depuis notre prise de responsabilités. Elles conduisent à oublier l’État, ses services et ses relais dans l’île, la gauche et la droite, à quelques rares exceptions, pour concentrer les haines entre nous. Elles permettent à nos ennemis et adversaires de boire du petit lait et de nous utiliser, dans certaines institutions ou de façon générale. Le tout amplifié par les réseaux sociaux, permettant à certains opposants depuis toujours à nos idées, d’intervenir dans nos débats internes, sous pseudos ou en tant que nouveaux nationalistes. J’en connais pas mal, j’ai toujours bonne mémoire.
« La Corse dans la Constitution » : en 1992, nous proposions dans une lettre à François Mitterrand qu’à l’occasion de la réforme constitutionnelle envisagée, le peuple corse soit reconnu. Alors « la Corse dans la Constitution » est aujourd’hui une avancée, mais comment sera-t-elle définie ? Un article sur la Corse n’est pas un titre. Quelle place et quel contenu seront proposés dans la loi fondamentale ?
Communauté ou peuple corse
« Une communauté ». Encore une avancée, mais appelons un chat, un chat : il s’agit de la communauté du peuple corse, encore faut-il le préciser.
Des moyens et des compétences supplémentaires pour la langue, mais pas de coofficialité, un long combat. C’est un peu le nœud gordien, l’ADN de la fameuse République française une et indivisible.
Pas de statut de résident, mais cette notion, surtout du point de vue du temps de séjour accepté, est problématique. Le temps des réformes est long, et même en étant positifs, toutes celles et ceux qui débarquent sur l’île, y compris aujourd’hui, auront leur mot à dire. Et nous serons noyés, minorisés et remplacés.
Le foncier : nous touchons du doigt une réalité difficile à accepter. Les principaux spéculateurs qui vendent, achètent, font monter les prix et construisent n’importe où et n’importe comment, sont des Corses. En cheville souvent avec des gens de l‘extérieur qui financent. Peu de maires corses ont réellement une fibre nationaliste qui les conduirait à refuser de laisser vendre la terre corse.
Des élus locaux nationalistes qui font n’importe quoi
La Collectivité de Corse (CdC) est critiquée, à juste titre, quant à sa gestion et ses choix dans les domaines de compétences qui sont les siens. On oublie les institutions diverses et variées que des nationalistes gèrent et dirigent, souvent grâce aux subventions de la CdC. Mais ils ne se conduisent nullement en nationalistes dans leurs pratiques, faisant souvent n’importe quoi sans définir une réelle politique nustrale (NDLR : qui soit nôtre), au profit du peuple corse, dans leur action, comme dans la simple gestion.
Pour conclure, la Corse n’est pas une minorité nationale, c’est une île-nation qui était reconnue en tant que telle bien avant que soit instituée la République française. Elle a été vaincue par les armes et annexée politiquement, économiquement et culturellement. Dire ce qu’elle deviendra demain, seul le peuple corse le dira et de simples institutions ne peuvent enfermer une nation dans un carcan quel qu’il soit, ad vitam aeternam.
(1) NDLR : le référendum du 6 juillet 2003 en Corse fut une consultation non contraignante afin de proposer à la population la modification du statut territorial de l’île. Le projet prévoyait de fusionner les deux conseils généraux de Haute-Corse et de Corse du Sud au sein d’une collectivité territoriale unique. La proposition a été rejetée par 51 % des votants.