La grande enquête initiée par Bagira nous montre les orientations prioritaires que les 1.500 répondants souhaitent prendre. La reprise d’une dynamique militante en direction d’une nouvelle étape institutionnelle constitue l’élément fort ; mais aussi la volonté d’avancer sur cinq grandes thématiques : l’euskara, le logement, le climat, le social et l’agriculture paysanne.
Pour la première fois, l’enquête initiée par le processus Bagira(1) permet d’avoir une cartographie précise du mouvement abertzale du Pays Basque Nord(2). Malgré leur diversité, les répondant·e·s partagent des consensus clairs sur les questions majeures. Le sentiment de cohésion du Mouvement saute aux yeux lorsque l’on regarde les résultats de ce questionnaire. On constate naturellement des positions différenciées sur certains sujets, selon les profils. Sur plusieurs thématiques, de très légères variations apparaissent à plusieurs reprises. Les plus jeunes (16-24 ans), les femmes, les habitant·e·s du BAB et les personnes les plus engagées soutiennent davantage les propositions liées aux questions écologistes, féministes, socialistes ou encore la solidarité avec les migrant·e·s. Pour leur part, les hommes, les plus ancien·ne·s, les élu·e·s, les habitant·e·s de l’intérieur sont plus sensibles aux questions socio-économiques et institutionnelles.
Le déchirement des gauches françaises
Ces variations sont légères, mais elles font écho à l’actualité des gauches européennes et particulièrement françaises qui connaissent des fractures beaucoup plus sérieuses. La NUPES ne cesse de se déchirer sur ces questions, que l’espace médiatique a tendance à résumer caricaturalement dans le clivage Roussel-Rousseau.
Le travail monumental mené par Julia Cagé et Thomas Piketty dans « Une histoire du conflit politique » montre plusieurs profils au sein de l’électorat de la gauche française. L’électorat des milieux urbains, plus jeune et féminisé, issu des catégories socio-professionnelles supérieures, est plus sensible aux questions écologiques, féministes et antiracistes. Les ouvriers et employés, résidant dans les périphéries urbaines et milieux ruraux, sont davantage en quête de réponses sur leurs besoins de pouvoir d’achat ou d’accès aux services publics. Cagé et Piketty montrent que ce sont eux qui viennent fournir le nouvel électorat de l’extrême droite alors que le facteur migratoire n’explique que très peu ce choix. François Ruffin s’est aussi saisi du sujet, après avoir observé le fait que la population est favorable aux mesures portées par la gauche (écologie, questions sociales) mais que c’est l’extrême-droite qui attire les classes populaires ; y compris lors de l’énorme séquence de mobilisation syndicale contre la réforme des retraites. Il appelle à un changement de logiciel au sein de LFI pour faire bloc entre ces majorités populaires des « bourgs et des tours » et ouvrir la voie à une alternance politique à gauche. De son côté, Die Linke, le partenaire allemand de LFI vit aussi des moments difficiles sur les mêmes lignes. Les gauches européennes sont à un carrefour stratégique face à l’arrivée de l’extrême droite aux positions d’alternance politique.
Faire Mouvement
Ce qui se joue dans ce débat est la capacité des masses populaires à trouver des facteurs d’union pour composer un sujet historique suffisamment fort pour prendre les pouvoirs occupés par les dominants. Comment faire émerger des mouvements progressistes qui parviennent à l’union des masses populaires autour de lignes qui incluent à la fois les questions socio-économiques matérielles (qui questionnent la répartition du gâteau) et les aspirations à un changement de société vers le féminisme, l’écologie, etc. (qui questionnent la recette même) ?
Pour sa part, le mouvement abertzale connaît des connexions fortes entre ses dynamiques. Quelles que soient leurs trajectoires, les membres du mouvement abertzale partagent des outils, des dynamiques et des événements qui créent des expériences communes où les militant·e·s et les sujets qu’ils portent se croisent, infusent et maintiennent le tout dans un ensemble cohérent. L’édition particulièrement réussie de Lurrama de cette année, avec la mise en avant des femmes paysannes, en est le cas récent le plus emblématique. L’événement organisé en plein milieu urbain nécessite l’implication de centaines de bénévoles d’autres secteurs ! C’est aussi le cas du syndicalisme abertzale qui mène conjointement un travail de défense des salarié·e·s et une participation active aux actions de solidarité avec les migrant·e·s et à la dynamisation des mobilisations féministes – dont le lien avec la grève féministe générale du Pays Basque Sud ce 30 novembre.
Le mouvement abertzale de gauche du Pays Basque Nord vit avec son temps et c’est une de ses grandes caractéristiques. Il a réussi à traverser les âges en incorporant les questions contemporaines.
Le mouvement abertzale de gauche du Pays Basque nord vit avec son temps et c’est une de ses grandes caractéristiques. Il a réussi à traverser les âges en incorporant les questions contemporaines.
L’union de la question sociale à la question nationale fut un grand moment d’inflexion. Le mouvement abertzale prend aujourd’hui une nouvelle tournure pour épouser également d’autres combats actuels qui traversent nos sociétés, dont le féminisme et l’écologie.
(1) Les résultats et interprétations du comité de pilotage sont disponibles sur le lien suivant : www.bagira.eus/eu/inkesta/emaitzak
(2) Une enquête similaire avait été lancée en 2011, mais elle ne comportait que très peu de questions sur les profils des répondant·e·s (sexe, âge, province, adhésion à une organisation).