Dix ans après Aiete, le processus peut permettre d’engranger les efforts déjà consentis. Les deux gouvernements doivent s’intégrer dans le processus de paix qui doit accélérer.
Nous sommes dans la dixième année après la conférence internationale d’Aiete. C’était le 17 octobre 2011. Cette journée historique était en même temps l’aboutissement d’un processus qui l’a rendue possible, et le début d’un autre, toujours en cours.
Après une confrontation violente qui avait trop duré, après plusieurs négociations et cessez-le-feu avortés, cette fois-ci l’arbre de l’espérance allait prendre racine sur une terre soigneusement préparée par des acteurs locaux et des “facilitateurs” internationaux. Des spécialistes en résolution de conflit étaient venus au chevet du Pays Basque pour aider au changement radical qu’allait constituer le passage d’une confrontation armée à une confrontation politique et démocratique.
Extraits de la Déclaration préalable aux cinq points du plan de paix : “Nous sommes venus au Pays Basque aujourd’hui car nous croyons qu’il est temps et aussi qu’il est possible de mettre un terme à la dernière confrontation armée d’Europe (…) Nous croyons que ce but peut maintenant être atteint, avec le soutien des citoyens et de leurs représentants politiques (…) La paix intervient lorsque le pouvoir de la réconciliation prend l’avantage sur une haine bien établie; lorsque le potentiel du présent et du futur l’emporte sur l’amertume du passé...”.
Que s’est-il passé en dix ans ?
Difficile d’avoir un avis clair quand ce qui reste à accomplir paraît plus important que ce qui a été réalisé.
Le premier point invitait ETA à cesser définitivement toute action armée. On peut penser que ce point était acquis avant la conférence, en tout cas, trois jours après, l’organisation annonçait l’arrêt définitif et irréversible de la lutte armée.
Le second point encourageait vivement les gouvernements espagnol et français à consentir à l’ouverture d’un dialogue traitant exclusivement des conséquences du conflit. Mais les États ne se sont pas sentis engagés par cette feuille de route. Ils ont préféré ignorer les causes politiques du conflit pour considérer qu’il n’y avait plus de conflit. Ainsi, s’il n’y a pas conflit, il n’y a pas besoin de processus de paix ! Ils faisaient semblant d’oublier que les différents gouvernements espagnols, quels qu’ils soient, avaient négocié avec ETA à plusieurs reprises… Mais reconnaître qu’il y a eu un conflit, oblige à prendre une part de responsabilité dans l’histoire passée, et surtout à s’engager dans le règlement du conflit.
Une “paix juste et durable” —pour reprendre l’expression de la Déclaration d’Aiete – nécessite un exercice exigeant. L’engagement sur ce second point aura été extrêmement laborieux, mais le mouvement est amorcé.
Reconnaître qu’il y a eu un conflit
oblige les gouvernements à prendre une part de responsabilité
dans l’histoire passée
et surtout à s’engager dans le règlement du conflit.
Une “paix juste et durable”
—pour reprendre l’expression de la Déclaration d’Aiete—
nécessite un exercice exigeant.
En France, après le désarmement, un dialogue a pu s’instaurer, officiellement assumé, mettant dans la boucle les trois maillons essentiels : le ministère, une délégation élargie du Pays Basque composée d’élus et de représentants des mouvements civils et le Collectif des prisonniers. Des avancées significatives ont eu lieu en matière de DPS et de rapprochements. La libération conditionnelle de Frédéric Haramboure aura été incontestablement la grande nouvelle positive de ces dernières années. Espérons qu’elle ne sera pas une exception à la règle !
En Espagne également, les choses bougent, notamment avec des rapprochements réguliers, mais encore insuffisants…
On peut penser que le bilan des dix dernières années est maigre. Dans l’absolu, il l’est, et c’est la suite qui donnera, ou pas, de la valeur à ce qui a été réalisé.
Nous venons de très loin, mais il y a aujourd’hui des raisons d’espérer.
Dix ans que la société basque, dans sa diversité et pleinement mobilisée, s’est emparée du processus avec la volonté d’avancer résolument. Au bout de dix ans, nous sommes en train de dépasser la stricte unilatéralité. Ce saut qualitatif, avec l’implication des États, permet d’avoir confiance en l’avenir. La société basque est prête à accompagner tous les pas vers la réconciliation. Elle veut que le règlement global et définitif de la question des prisonniers avance de façon beaucoup plus déterminée. La société basque souhaite aussi que la mémoire de toutes les victimes et la reconnaissance de toutes les souffrances soient au cœur du vivre ensemble à consolider, dans le droit fil du forum organisé 7 et 8 juin 2019, par Bake Bidea et les Artisans de la Paix. Lors de cet événement, la parole avait été donnée à deux victimes : Iñaki Garcia Arrizabalaga dont le père avait été tué par les commandos autonomes et Axun Lasa, sœur de Joxean Lasa torturé et tué par le GAL, et retrouvé avec Joxi Zabala recouverts de chaux vive dans une fosse. Les témoignages émouvants des deux victimes allaient dans le même sens : ils se disent sans aucune haine, mais ils veulent comprendre et connaître la vérité. L’obsession de Garcia Arrizabalaga est de savoir qui a tué son père et pourquoi, en se disant prêt à assumer des condamnations symboliques au nom du droit à la vérité. De même, Axun Lasa veut savoir la vérité : pourquoi et en échange de quoi, le général Enrique Rodriguez Galindo, reconnu coupable de plusieurs exactions du GAL, dont la mort de Joxean et Zabala, condamné à 75 ans de prison, a été libéré au bout de quatre ans et quatre mois ? Avec ces deux témoignages, nous sommes dans l’exigence de vérité et dans le domaine de la justice transitionnelle. Aujourd’hui, Iñaki et Axun vont d’écoles en écoles pour témoigner d’une histoire qui ne doit pas se renouveler.
Dix ans après Aiete “Les prisonniers maintenant !” doit se traduire en réalité concrète. Ce sera le juste retour pour tant de pas réalisés unilatéralement depuis dix ans. Ce sera également la possibilité d’aller plus loin dans la reconnaissance de toutes les victimes. 2021 : le processus doit accélérer, le paysage doit radicalement changer. C’est le pari, c’est le défi, c’est une obligation collective de réussite !