Patxi Noblia fondateur de Sokoa et co-fondateur d’Herrikoa
ENBATAk 60 urte
Quand surgit la naissance du journal Embata en 1960 (modifié en Enbata après la colère des étudiants basques de Bordeaux), quel était le visage de l’économie du Pays Basque français ? (Iparralde était un concept inconnu à l’époque). Pour demain, certes, notre Zazpiak Bat semble toujours aussi loin au fur et à mesure qu’on avance, mais on a déjà l’Agglo Pays Basque, alors peut-être dans soixante ans…
A ce moment-là, des milliers de jeunes basques faisaient la guerre en Algérie, avec un service militaire de plus de deux ans ; les charters de bergers –avec photos dans Sud-Ouest– partaient régulièrement aux U.S.A ; des foules de jeunes s’exilaient à Paris pour faire garçons de café, bedeaux, ou employées de maison ; et pourtant le chômage local dépassait de 25% celui de l’Hexagone. Des pans entiers de notre économie traditionnelle déclinaient ou allaient disparaître avec la fermeture des Forges de l’Adour, l’essentiel des bateaux de pêcheurs de Saint-Jean-de-Luz et la flopée des conserveries adjacentes, les industries de la chaussure d’Hasparren, les espadrilles et autres Pataugas à Mauléon. L’immense majorité de nos éleveurs et bergers étaient sous le joug et à la merci de Roquefort. Les discours et les visions de nos politiques allaient vers le “tout tourisme”, alimentés entre autres, par des projets d’aménagements pharaoniques concoctés par la Miaca.
Le message d’Enbata
Dans ce contexte, le cri du journal, puis du mouvement Enbata, aura été d’abord d’exister en tant qu’Iparralde, alors que nous risquions de disparaître. Il fallait donc croire que nous pouvions changer ? Ou au moins, faire évoluer notre petit territoire y compris en économie. Pendant les cinq années de vie active du mouvement Enbata (1963-1968) –avant de s’effilocher sous les utopies “soixante huitardes”— cette volonté d’exister et de secouer le cocotier ambiant (souvent un peu trop fort ou de façon maladroite) aura sous-tendu nos messages, y compris économiques. Les combats de l’époque seront d’abord centrés sur la promotion du Pays Basque Sud et de sa puissance économique, bien plus proche et plus susceptible d’aider notre développement économique, plutôt que les lointains indifférents et centralisés qu’étaient Bordeaux et Paris. Nous pousserons, en particulier à la connaissance de Mondragon avec de nombreux voyages organisés et divers articles. Cela donnera naissance plus tard à l’association Partzuer. Des combats furent ainsi menés contre cette vision (ou myopie), contre la gestion des patrons haspandars de la chaussure, ou contre le projet de fermeture programmée du train Garazi/Bayonne. Déjà à l’époque, Jean Pitrau (prématurément disparu) commençait à réveiller les paysans souletins. Au final, le message principal qui en sortira sera de se prendre en charge nousmêmes (si possible en s’appuyant sur les frères du sud) y compris sur le plan économique sans attendre que les solutions viennent de l’extérieur ; les inscriptions “Bizi eta lana gure Herrian” commençaient à poindre.
Les fruits du message
Dès 1969 démarrait la formidable aventure des ikastola et aujourd’hui un bon millier de personnes vivent par et pour l’euskara (Seaska, enseignement bilingue, AEK, Euskal Irratiak etc …).
En 1971 naîtra le projet Sokoa, en s’appuyant sur l’économie d’Hegoalde. Assez vite se lanceront les SCOP avec Copelec, SEI, Alkar, Denek/Alki.
En 1980 naîtra Herrikoa et coagulera davantage l’équation épargne populaire et emploi, qui sera dupliquée avec le GFA pour les terres agricoles. Des structures significatives seront lancées et construites pour traiter le lait de brebis et améliorer les revenus d’un bon millier d’éleveurs, avec Berria, Agour etc.
De même, sera organisé le syndicat agricole ELB (1982) pour culminer avec la création de Laborantza Ganbara (2005), sans oublier l’émergence des appellations contrôlées, d’Arrapitz ainsi que celle d’Idoki. Tout cela et bien d’autres choses, restent les enfants directs ou indirects de ce cri surgi dans le ciel du Pays Basque nord en 1960.
Le message principal
sera de se prendre en charge nous-mêmes
(si possible en s’appuyant sur les frères du sud)
y compris sur le plan économique
sans attendre les solutions de l’extérieur
Aujourd’hui, on peut constater que notre population a augmenté de 50%, cette augmentation provenant pour trois quarts de l’extérieur. Ce n’est pas trop grave pour notre cohérence, puisque on est baptisé basque par le journal Sud-Ouest au bout de deux ou trois ans. Le chômage en Iparralde reste trop fort mais inférieur de 12% à celui de l’Hexagone. Nos jeunes –exceptés une part significative d’étudiants– n’ont plus la contrainte systématique de l’exil.
Près de 7.000 personnes ont investi une partie de leur épargne dans la création d’outils économiques ou d’entreprises. Plus de 4.000 emplois (hors euskara) vivent en Iparralde dans de multiples entreprises, malgré quelques échecs toujours douloureux. Pour demain, certes, notre Zazpiak Bat semble toujours aussi lointain au fur et à mesure qu’on avance, mais on a déjà l’Agglo Pays Basque, alors peut-être dans soixante ans…