Il y a quelques mois, une fondation catalane m’interrogeait pour que je lui transmette un texte significatif de l’évolution de la question corse dans la période moderne. Je lui ai transmis la délibération de 1988, car rien n’a plus de sens que le vote d’une assemblée élue qui exprime la volonté d’un peuple. Je vais m’empresser de lui transmettre cette nouvelle délibération prise le 17 mai 2013, car elle est tout aussi importante.
Elle est importante sur le fond. «Una terra, un populu, una lingua» proclamait la revendication corse à son commencement, au début des années 70. Ce qui n’était qu’un cri militant est devenu désormais la volonté d’un peuple exprimé par sa représentation élue.
L’enthousiasme qui a parcouru les bancs de l’Assemblée à l’issue du vote du 17 mai s’est aussitôt propagé dans toute l’île. Désormais, une large majorité du peuple corse s’est appropriée la revendication du premier noyau militant et cette affirmation démocratique prévaut sur toute autre considération. Lui opposer la constitution française et ses archaïsmes jacobins est toujours possible et, sans doute, on ne se privera pas de le faire dans certaines sphères. Mais cette répression aura perdu toute légitimité, elle sera clairement ressentie comme anti-démocratique. C’est un basculement de légitimité que ce vote amène.
La distance de temps qui sépare les deux délibérations historiques de l’Assemblée de Corse est également importante. Certains s’en désespéreront: tant d’années séparent les deux votes ! Mais, avec le recul de l’Histoire, on retiendra aussi qu’une génération plus tard, la revendication nationale corse ne s’est en rien démentie. Elle est toujours aussi présente au sein du peuple corse et son inscription dans la durée vaut validation face à ses détracteurs qui voulaient qu’elle ne soit que la mode d’un instant. Il n’y a pas de problème corse, mais des problèmes en Corse à cause du retard économique: tel était le propos de Giscard dans les années 70. C’était aussi le credo de la première Assemblée de Corse et, après la parenthèse Rocard/Joxe, celui des gouvernements qui ont suivi, jusqu’à Lionel Jospin qui avait fait du PEI, le Plan exceptionnel d’investissement, la pièce maîtresse de son dispositif en 2002. Cette approche économiste fuit la question politique. L’assemblée de Corse vient de la mettre au centre et l’Etat est désormais bel et bien obligé de parler de la co-officialité, quoi qu’il lui en coûte, même pour la rejeter. La réforme constitutionnelle, abordée avec dédain jusque-là, revient avec force sur le tapis.
Cette relance politique de la question corse est le fruit de plusieurs facteurs. La force du vote nationaliste de 2010, 36% des voix au second tour, en est la première cause. Il pèse à la fois en nombre d’élus dans l’Assemblée et en pression sur la classe politique face aux prochaines échéances. La droite a fait de la politique de la chaise vide et a refusé, à une exception près, de contribuer à ce vote si important pour nous. Il faudra s’en souvenir. De même, il faut souligner la détermination dont Paul Giacobbi a fait preuve dans le débat, face aux tentatives venues des rangs mêmes de sa majorité pour affadir le texte final. Pour l’essentiel, celui-ci a conservé toute sa force et il a rassemblé la majorité qualifiée nécessaire.
La démarche politique initiée en juillet dernier avec le vote des orientations générales du Padduc peut continuer. Le bras de fer pour déverrouiller les blocages constitutionnels est engagé. Après ce vote de mai 2013, viendront ceux des questions essentielles du rapport Chaubon (réforme constitutionnelle, fiscalité) et du Padduc et, notamment, sa fiche 27, approuvant un statut de résident face à la spéculation foncière.
D’ici mars 2015 et les futures élections territoriales, le calendrier est serré. Mais l’élan qui a été donné grâce au vote sur la co-officialité laisse espérer que la mandature actuelle portera à son terme cet agenda politique si important pour l’avenir de la Corse.