Aльтернатива (2/2)

Les événements du territoire ont permis d’adapter le projet à un changement d’échelle inédit.
Les événements du territoire ont permis d’adapter le projet à un changement d’échelle inédit.

Suite de la partie 1/2 à  lire en cliquant ici.

La crise mondiale provoquée par la guerre en Ukraine et notamment l’augmentation du prix des énergies fossiles, rappelle un précédent lors de l’invasion de l’Irak qui, sur notre territoire, a été le déclencheur d’une aventure militante pour une bande de jeunes abertzale engagés dans les dynamiques altermondialistes qui ont notamment inventé le Baso berri.

A lors que l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie s’installe désormais dans le temps, les peuples du monde sont les témoins impuissants des atrocités humaines découvertes jour après jour dans les villes ukrainiennes.

Ni les rassemblements de soutien, ni les mesures gouvernementales, ni les boycotts n’ont permis de porter un coup décisif sur le déroulement des choses. La dépendance des citoyens européens aux énergies fossiles russes plafonne toujours le niveau des sanctions adoptées par les gouvernements qui s’affairent davantage à diminuer les prix de l’or noir qu’à désincarcérer l’Europe du tout-voiture.

Cette situation rappelle celle de l’invasion de l’Irak il y a presque 20 ans par les États-Unis d’Amérique, alors présidés par George W. Bush. On y retrouve certaines similarités frappantes comme l’élan impérialiste d’une puissance mondiale ; la centralité de la question des énergies fossiles ; l’interventionnisme tout relatif des gouvernements des moyennes puissances qui veillent avant tout sur leurs propres intérêts ; mais surtout l’impasse des citoyens à influer sur des événements géopolitiques de cette ampleur.

Pour autant, cette invasion de l’Irak a été le déclencheur d’une aventure militante singulière au Pays Basque Nord pour une bande de jeunes abertzale engagés dans les dynamiques altermondialistes, participants au Forum social Pays Basque, impliqués dans le développement du commerce équitable ou encore sensibles à la création d’emplois en Pays Basque intérieur.

Sortir de la servitude volontaire

De manière identique au cas ukrainien, ils constatèrent l’échec des rassemblements des premiers instants appelant à stopper la guerre. Alors que faire ? La lecture du Discours de la servitude volontaire par certains de ces jeunes leur inspira une première réorientation stratégique fidèle aux recommandations d’Étienne de la Boétie :“Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. Je ne vous demande pas de le pousser, de l’ébranler, mais seulement de ne plus le soutenir, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la base, fondre sous son poids et se rompre.

Sortir de la servitude volontaire qui fait de chacun un des piliers du colosse impérialiste états-unien et, par extension, un soutien à la guerre en Irak, supposait principalement de sortir du modèle consumériste de l’American Dream, d’impacter le “nerf de la guerre”. Mais il s’agissait aussi de limiter la dépendance au pétrole – dont la mainmise sur les réserves irakiennes constituait le véritable casus belli de l’administration Bush. Germe alors l’idée de boycotter les produits incarnant l’impérialisme états-unien, en commençant par le plus emblématique d’entre tous : le Coca Cola. Mais l’opération se solda par un échec quasi-immédiat tant la société d’Iparralde en était dépendante, perfusée au breuvage de l’oncle Sam qui coulait dans les gorgées des amateurs de Kalimotxo, de Cuba Libre et autres.

On peut ici de nouveau observer la proximité avec les réactions actuelles appelant au boycott des biens et services rus- ses (notamment des énergies fossiles) ainsi que des entreprises étrangères qui y maintiennent leurs activités.

Alternatiba

Là où l’histoire prend une tournure essentielle, c’est dans la persévérance de ces jeunes à trouver une alternative face à l’impuissance des modes d’action précédents. Ils opèrent un second revirement stratégique décisif : puisque les habitants d’Iparralde ne peuvent se passer de la célèbre boisson américaine, qu’à cela ne tienne, ils se lancent dans la création de leur propre cola : Euskal Herriko Kola Alternatiboa (EHKA).

Les jeunes créent alors une association en 2003 à Makea qu’ils nommeront à juste titre Alternatiba. Il s’agira de la première organisation “Alternatiba” du Pays Basque Nord ; en quelque sorte l’aînée de l’association homonyme plus connue pour l’organisation des villages et du tour des alternatives qui auront lieu une décennie plus tard.

Débute alors une épopée marquée d’efforts et couronnée de succès pour ce Kola alternatif, conçu “autrement” avec des produits issus du commerce équitable. La quantité d’événements festifs, la densité du lien social et du réseau militant accélèrent la diffusion de l’alternative : plus de 50.000 litres sont écoulés. Devant l’ampleur de l’engouement, une coopérative est créée pour assurer la gestion de cette autre forme d’engagement qui développera ensuite toute une série de boissons : Xuka (limonade), Juka (jus d’orange), Pika (équivalent du Kas), etc.

La jeune association ne s’arrête pas en si bon chemin. Alternatiba crée un magazine Alternatibaz (14 numéros seront publiés) ainsi qu’un événement annuel Munduari So, l’ancêtre des villages des alternatives pour faire la connaissance et la promotion des initiatives existant ailleurs.

L’imaginaire foisonne, tous les secteurs sont étudiés (informatique, alimentation, énergie, habitat, transport…) le champ des possibles s’ouvre pour construire d’autres mondes “ici et maintenant”.

Sur la base de cette expérience, le collectif se lance sur d’autres terrains et monte des équipes de projets.

Le groupe “Landare erregaiak” s’attaque à la question de la dépendance du territoire aux énergies fossiles, source du dérèglement climatique planétaire et des conflits géopolitiques globaux. Les jeunes font un appel au financement populaire, achètent une presse et le matériel élémentaire pour se lancer dans l’essai de production de biocarburants. En parallèle à ces expérimentations, ils conduisent des actions de lobbying pour obtenir la reconnaissance légale de l’huile végétale pure comme biocarburant. Le développement du projet sera finalement confié à Euskal Herriko Laborantza Ganbara alors toute fraîchement créée, car seuls les agriculteurs, les pêcheurs et les collectivités territoriales peuvent être autorisés, sous certaines conditions, à utiliser les biocarburants.

Mais l’initiative portée par Alternatiba qui aura incontestablement le plus fonctionné et qui reste encore probablement l’alternative la plus massive d’Iparralde est celle du Baso Berri.

Car c’est aussi l’un des groupes de jeunes de l’association qui lancera les tout premiers verres en plastiques durs, à base de matériaux recyclés, consignés, lavables et donc réutilisables. La motivation initiale poursuit toujours la même ambition de réduction des consommations de dérivés du pétrole et d’une préservation de l’environnement en évitant la quantité incroyable de plastique qui tapissait auparavant les rues. Là aussi, les événements festifs structurants du territoire, comme Euskal Herria Zuzenean, donnèrent les conditions pour expérimenter et adapter le projet à un changement d’échelle inédit.

Un autre monde est possible ? Construisons-le !

Sur la base d’une indignation face à un événement géopolitique insaisissable et après avoir expérimenté plusieurs modes d’action infructueux, une poignée de jeunes détermi- nés et éclairés par l’idée du“penser global et agir local” a donné naissance aux alternatives territoriales parmi les plus répandues et normalisées que nous connaissons.

Au final, les initiatives créées par Alternatiba n’ont évidemment pas ébranlé le déroulement de la guerre en Irak. En revanche, elles ont permis de produire une transformation massive et bien tangible des pratiques qui, toutes modestes qu’elles soient, tendent néanmoins vers une augmentation réelle de la souveraineté locale et à un effritement de la servitude aux impérialismes colossaux.

En définitive, plutôt que d’agir sur les leviers immédiats des guerres ouvertes, elles permettent davantage d’agir en amont, en limitant les conditions qui peuvent favoriser l’ouverture de conflits ; et en aval, en développant une résilience des territoires face aux fluctuations des crises globales.

La force d’attraction de ce type de pratiques militantes alternatives, leur efficacité concrète ou leur pérennité, sont à considérer avec le plus grand intérêt si on les compare à celles que génèrent les rassemblements ponctuels ou les actions de boycotts —qui leur sont généralement complémentaires.

Alternatiba est aussi une des rares organisations à avoir fait de la création d’alternatives sa modalité principale d’action. Elle a ainsi contribué à diffuser un autre paradigme militant sur notre territoire qui permet de mettre en mouvement, grâce à ces modes d’engagements accessibles, des effectifs autrement plus importants et des profils bien plus diversifiés que ceux du landerneau militant.

Vers la souveraineté énergétique locale et renouvelable ?

Les conditions de création d’Alternatiba sont assez similaires à celles que nous connaissons aujourd’hui avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les premières réactions populaires semblent également suivre le même cheminement.

Cet événement devrait être pour nous l’occasion de questionner notre dépendance aux énergies fossiles et notre niveau de servitude à l’égard des colosses qui rythment la scène géopolitique internationale.

En prolongement, ce pourrait être le moment d’étudier l’opportunité d’accélérer dans la voie d’une souveraineté énergétique locale et renouvelable. Ces dernières années ont précisément vu l’arrivée de nouvelles initiatives citoyennes dans ce secteur.

C’est notamment le cas d’I-Ener(1) , fondée en 2014 suite à la prise de conscience de la faiblesse abyssale de notre autonomie énergétique ; puis d’Enargia (2) qui connaît un franc succès depuis sa création en 2018.

Ces initiatives offrent une possibilité de nous réapproprier les questions de souveraineté énergétique, de réorienter la production et la consommation du territoire vers les énergies renouvelables. Les expériences passées ont montré comment les événements globaux inattendus peuvent créer des accélérations de l’histoire et ouvrir des opportunités pour des actions locales. Au lendemain d’une élection présidentielle s’ouvrant sur un panorama plus qu’inquiétant, la ligne d’action floquée par Alternatiba sur son premier Baso Berri reste donc d’une actualité brulante : Beste mundu bat posible da ? Eraiki dezagun.

(1) https://i-ener.eus/eu/

(2) https://www.enargia.eus/eu/

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