Epuisé par 15 années de combats incessants pour l’indépendance de l’Algérie, finalement pris en tenailles entre l’armée française et celle du sultan du Maroc avec les restes de sa troupe, l’ultime carré de ses fidèles et sa famille, le 21 décembre 1847 Abdelkader réunit pour la dernière fois son conseil de guerre et lui dit : “J’ai tenu à ce que, à aucun moment, aucun musulman ne puisse m’accuser de n’avoir pas tout fait pour que triomphe la cause que nous avons défendue ensemble. Si vous estimez qu’il y a encore quelque chose à tenter, pour le triomphe de cette cause, dites-le. Si, au contraire, rien ne vous semble digne d’être tenté, je vous demande de me dégager du serment que je vous ai tenu le jour où je vous ai demandé le vôtre.” A l’unanimité, le conseil approuve la position de l’émir, et celui-ci de conclure : “La lutte est finie. Dieu en a décidé ainsi. Nous devons nous rendre à l’évidence : nous avons combattu quinze années durant, pour sauver notre peuple de la domination chrétienne, que puis-je faire encore dans ce pays alors que la cause est perdue ? Que peuvent les tribus elles-mêmes en face d’une armée puissante qui n’hésite pas à employer tous les moyens pour les anéantir ?” Il ajoute : “Jamais ce peuple ne se soumettra à l’infidèle. Cette terre n’acceptera pas le joug de l’étranger. Un jour viendra, où sous la dictée des événements, un homme surgira qui guidera la lutte sous son étendard, comme je l’ai fait moi-même.” Plus tard il dira : “Tu as atteint ton but, Abdelkader, sois tranquille, ta nation revivra et le rameau de la guerre libératrice ressuscitera.” Certes il promettra de ne plus se mêler des affaires politiques de l’Algérie, mais il ajoutera : “Je n’abandonnerai pas mon peuple !” Et pour conclure : “Je n’ignorais pas quelle serait l’issue plus ou moins tardive de la lutte… La conscience apaisée, je sais que le temps à l’échelle de l’histoire d’un peuple ne peut être que celui du rétablissement de la justice.”
C’était bien vu : l’émir disait à sa façon que l’Algérie avait perdu la première bataille, mais que la lutte de libération nationale ne faisait que commencer.
Trop dispersée, l’Algérie des tribus n’était pas prête pour l’indépendance. La colonisation provoquera le développement de la conscience nationale, et l’Algérie se réalisera comme nation à travers sa Révolution.
Abdelkader a semé l’idée nationale par sa résistance à la conquête coloniale et par la création d’un premier Etat libre. La récolte a beaucoup tardé, mais d’autres ont fini par moissonner. Ils savent tout ce qu’ils doivent au semeur précoce et malheureux.
Mais après avoir lutté pendant 15 ans pour l’indépendance de l’Algérie, Abdelkader mènera pendant 35 ans une vie de recherche intellectuelle et spirituelle qui le mènera à un haut degré de philosophie et de sainteté. Il est un penseur universel et un saint oecuménique, et d’abord un érudit, un auteur important de la littérature arabe en philosophie, dans la poésie mystique et la théologie, un penseur éclairé de l’islam. Il est regrettable que l’historiograhie tant française qu’algérienne ignore ce côté universel du personnage en se limitant à sa figure guerrière et politique. Abdelkader est allé plus loin qu’aucun homme de foi ou de religion dans l’ouverture d’esprit et la tolérance : toute prière, même idolâtre, s’adresse en fait au Dieu unique ; seule la forme diverge, car chaque peuple a reçu la parole divine selon le mode spécifique qui lui correspondait : “Pour qui le veut le Coran (…), pour qui le veut la Torah (Premier Testament de la Bible), pour qui le veut l’Evangile (…), pour qui le veut idoles, pour qui le veut retraite ou vie solitaire, pour qui le veut guinguette où lutiner la biche.” Sa pensée essentielle : concilier les contraires, rechercher l’harmonie des contraires. Poète et saint mystique comme Saint Jean de la Croix, Abdelkader est comparable aussi à Gandhi, mais il nous est plus proche par la géographie, par l’histoire, par la culture grecque à la base, par la foi d’Abraham, Moise, et Jésus —Sidna Aïssa— qui tient une grande place dans le Coran.
A mon avis il le dépasse nettement pour le niveau intellectuel et j’assume clairement ce point de vue personnel avec de solides arguments à l’appui, car Abdelkader ne s’arrête pas comme Gandhi à la foi et au sentiment, il y joint la raison, la recherche philosophique et l’oeuvre littéraire.
Torre bizkien atentatu izigarriaz geroztik, eta orain Parisen Bataclan salako atentatuaren egileak epaitzen den egun haietan islamofobia gero eta zabalagoa da munduan. Baina islamofobo horiek Abd El Kader bezalako gizon zuhur ta jakintsuak hobekiago ezagutu beharko lituzkete.