Michel Feltin-Palas (Infolettre, « Sur le bout des langues », L’Express)
Une majorité de Français souhaitent désormais sauver les langues de France. Voici quelques mesures que devraient prendre les candidats à la présidentielle et aux législatives s’ils veulent vraiment atteindre cet objectif.
C’est la période : comme les enseignants, les chefs d’entreprise ou les artistes, les amoureux des langues régionales profitent de la période électorale pour faire pression sur les candidats. Tout l’enjeu consiste à obtenir d’eux autre chose que des formules qui n’engagent à rien, du type : « J’adore ces belles langues qui font partie de notre patrimoine. » Car si l’on veut véritablement les sauver, l’objectif est simple : il faut former de nouveaux locuteurs aptes à remplacer les générations anciennes, ce qui suppose des mesures concrètes et efficaces.
Lesquelles ? Nul besoin de se creuser la cervelle bien longtemps. Il suffit de copier celles appliquées avec succès dans des pays comparables au nôtre, comme la Suisse, l’Autriche, le Royaume-Uni, le Luxembourg, l’Espagne, le Canada, la Finlande… J’en ai sélectionné quelques-unes ci-dessous, étant entendu que, sauf exception, elles ne s’appliqueraient que dans les régions où se parle une langue dite régionale.
– Créer sur fonds publics des crèches bilingues : alsacien-français en Alsace, basque-français au Pays basque, picard-français en Picardie, créole-français en Martinique, etc.
– Introduire dans la Constitution ce membre de phrase : « L’enseignement immersif est constitutionnel » afin de sécuriser cette méthode pédagogique consistant à faire baigner les enfants dans un bain linguistique. Dans la foulée, multiplier partout ce type d’enseignement, considéré comme le plus efficace pour l’apprentissage des langues dites régionales et ce, sans effets négatifs sur la maîtrise du français.
– A l’école, proposer à tous les élèves des heures d’initiation à la langue, à l’histoire et à la culture locales.
– Créer dans chaque région concernée des télévisions et des radios publiques émettant exclusivement en langue régionale.
– Imposer dans les médias audiovisuels nationaux un quota minimum de chansons en langue régionale.
– Augmenter significativement les subventions allouées aux acteurs culturels qui promeuvent les langues régionales, qu’il s’agisse des chanteurs, des acteurs, des éditeurs, des organisateurs de festivals, etc.
– Systématiser les signalétiques bilingues français-langue régionale dans l’espace public et les bâtiments publics. Aller plus loin encore pour les noms de commune : on remplacera par exemple Saint-Raphaël par Sant Rafèu.
– Créer un ministère spécifique chargé des langues de France de telle sorte qu’un membre du gouvernement s’occupe véritablement de ce dossier et soit tenu de rendre des comptes.
– Exiger de l’Insee un recensement annuel des locuteurs des langues régionales, afin de mesurer l’efficacité de la politique linguistique menée et, éventuellement, de la corriger.
– Modifier la Constitution afin de pouvoir ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
– Adopter la proposition de loi du député Christophe Euzet consistant à ajouter les accents régionaux parmi les discriminations réprimées par le Code pénal.
– Obliger les chaînes de télévision et les radios à respecter la diversité des accents dans leurs journaux et leurs émissions.
Oh, je sais bien qu’en France, défendre de telles idées suffit à vous faire passer pour un Che Guevara des langues minoritaires. Je vous assure pourtant qu’il s’agit là d’un programme on ne peut plus modéré et qu’en réalité, il faudrait aller bien plus loin. Savez-vous par exemple qu’au pays de Galles, l’étude du gallois est obligatoire dans toutes les écoles jusqu’à 16 ans et qu’un citoyen peut s’exprimer dans cette langue devant les tribunaux ? Que dans les universités de Finlande, la minorité suédoise peut suivre la moitié des cours en finlandais, et l’autre en suédois ? Qu’au Québec, les syndicats, les chefs d’entreprise et les assemblées locales ont l’obligation de communiquer en français ? La règle est simple : dans tous ces pays, les langues minoritaires sont utiles dans la société et ne sont pas cantonnées à la sphère privée – ce qui est le meilleur moyen, à terme, de les faire mourir.
On me rétorquera sans doute qu’au moment où la guerre revient en Europe, la France a mieux à faire que de se préoccuper de ses « dialectes« . Il est donc sans doute nécessaire de rappeler que le respect des droits linguistiques des minorités est tout simplement un droit de l’Homme, reconnu comme tel par les conventions internationales. Et qu’il s’agit donc simplement pour la France d’agir conformément aux principes qui font son honneur.
Une dernière information, peut-être, à l’intention des candidats et de leurs équipes. Ces mesures ne sont pas seulement indispensables et légitimes ; elles sont aussi populaires. 12 millions de Français les utilisent en effet au quotidien et 61% d’entre eux trouvent « dommage que la pratique des langues dites régionales ne soit pas plus encouragée » (1). Il n’est donc pas impossible que l’attention portée à cette question puisse influencer l’ordre d’arrivée, si ce n’est de la présidentielle, du moins des législatives qui suivront.
(1) Enquête TF1-Sociovision, décembre 2021, échantillon de 3 500 personnes de 18 à 74 ans.