Dans ses numéros post « affaire Enargia » de juin et juillet dernier, Enbata consacrait deux dossiers à l’accaparation de Herrikoa-Herkide et de Sokoa-Sokide par Txistu Bergara et Timothée Acheritogaray, respectivement président et directeur général de Herkide et de Sokoa. Vendredi prochain 13 décembre, malgré les enjeux, Herrikoa déroulera son assemblée générale annuelle, prévisiblement aussi clairsemée et apathique que d’ordinaire.
A la suite de la publication des articles d’Enbata, les retours de ses lectrices et lecteurs ont été nettement marqués par leur adhésion à voir (enfin) posée sur la table la mainmise du tandem Bergara-Acheritogaray sur nos outils collectifs de développement local. Et en leur sein ou dans leur périphérie proche, on n’a pu faire autrement que de reconnaître l’ampleur du sinistre. Pour les plus optimistes, restaient deux incertitudes de taille : la volonté des actionnaires de Herrikoa-Herkide à se mobiliser pour redonner vie et sens au collectif, en s’appuyant notamment sur les valeurs originelles de la société de capital-investissement, faites de gouvernance partagée, de diversité d’expressions, de transparence, … Et côté Sokoa-Sokide, l’aspiration et/ou la capacité de leurs actionnaires et instances dirigeantes à remettre en cause la captation des pouvoirs par ses président et directeur général. Ainsi qu’à questionner deux constituants fondamentaux d’une entreprise : l’évolution de la propriété des actions et l’adaptation de ses garde-fous pour se protéger d’une prise de contrôle par quelques-uns.
Silence et dos rond chez Sokoa et Sokide…
Malgré les nombreuses questions posées dans notre dossier de juillet sur Sokoa et sa holding Sokide, et au-delà du temps de quelques réactions à chaud dans un entre-soi de confiance, les interpellations franches faites à Txistu Bergara et/ou Timothée Acheritogaray auraient été rarissimes, à notre connaissance, … et leurs auteurs envoyés rudement dans les cordes (!), comme cela aurait été le cas pour cet associé de Sokide demandant communication de la liste actualisée des actionnaires. Ainsi, l’AG annuelle de la holding de Sokoa s’est-elle agréablement déroulée le 28 septembre, dans le cadre appétissant du restaurant Briketenia des père et fils Ibarboure, à Guéthary.
Chez Sokoa non plus, pas de réactions à vive voix autour de la table de son conseil d’administration de septembre, si l’on excepte celle de l’un des représentant.e.s des salarié.e.s. à propos de la démission de Sokoa du CA de Enargia et de sa sortie du capital de la coopérative d’électricité verte. Autre opportunité manquée d’interroger sur la concentration des pouvoirs des président et directeur général de Sokoa, c’est lorsque, durant cette même séance, Timothée Acheritogaray a déploré les informations publiées dans la presse. Silence et dos rond… Certes, on a bien conscience que le moindre questionnement est perçu par les deux dirigeants de Sokoa comme une contestation intolérable. Pour autant, la passivité des membres de leur conseil d’administration ne laisse guère d’illusions sur le devenir de la conduite de l’entreprise hendayaise.
… Un maigre mieux, sans effet, côté Herrikoa et Herkide
Chez Herkide et Herrikoa, on a été un chouïa plus expressif à la faveur de diverses réunions convoquées par Txistu Bergara et/ou Timothée Acheritogaray pour tenter de justifier leur implication et leur parti pris dans « l’affaire Enargia ». Et ce, rappelons-le, sans information et consultation en amont des instances « de gouvernance » qui se sont de la sorte dévoilées dans le plus grand dénuement de tout capacité d’action et de décision.
Au regard de la mise en coupes réglées de Herrikoa et de Herkide, d’aucuns dans leurs cercles rapprochés ont néanmoins considéré les réactions des membres du Conseil de surveillance de la première et celles des associés de la seconde, bien trop timorées. Ce dépit à l’égard des deux instances s’est un peu plus renforcé à la réception des documents préparatoires joints à la convocation de l’assemblée générale de Herrikoa. A leur lecture, plus aucun doute en effet sur le laisser-faire et l’inertie de son Conseil de surveillance et des associés de Herkide face à la situation. Entre les lignes, on discerne aussi clairement leur renoncement à impulser un renouveau démocratique de la conduite de leur organisation respective, sur fond d’une large réflexion indispensable à l’évolution du positionnement et de la vocation de Herrikoa après plus de 40 ans de profondes mutations économiques autour d’elle. Vendredi, à l’ESTIA de Bidart, l’assemblée générale des actionnaires reflétera un même état léthargique d’abandon.
En préalable…
Une remarque tout d’abord : la convocation à une assemblée générale est traditionnellement accompagnée de la copie intégrale des comptes annuels, de leurs annexes, et des rapports du commissaire aux comptes sur l’exercice écoulé. Rien de tel cette année chez Herrikoa, le duo Bergara-Acheritogaray s’autorise quelques libertés : pas de bilan joint, ni de compte de résultat, pas plus que de rapports du commissaire aux comptes. Certes, le « rapport de la gérance » énonce l’essentiel des éléments chiffrés. Mais l’essentiel n’est pas l’intégralité des données… A défaut de leur présence aux côtés de la convocation à l’assemblée générale, ces éléments ont-ils été mis à disposition des actionnaires, un peu plus tard sur leur espace réservé du site de Herrikoa ? Toujours rien, le 6 décembre, à l’heure du bouclage de notre article… Oubli volontaire ou omission fort à propos ? Que contient le rapport général et celui sur les conventions réglementées du Commissaire aux comptes ? Comment les actionnaires – dont ceux votant en ligne – pourront-ils se prononcer sur l’approbation des comptes annuels et des rapports qui énoncera qu’ils ont bien pris connaissance de ces différents documents ?
Txistu Bergara : dernières (?) manœuvres
Des différentes résolutions soumises au vote des actionnaires, il en est une remarquable. C’est celle qui acte de la démission de Herkide de ses fonctions de gérant(1) pour nommer illico Timothée Acheritogaray en qualité de nouveau gérant !
Petit rappel, si besoin : fin 2023, Txistu Bergara a unilatéralement nommé Timothée Acheritogaray directeur général de Herkide ; à ce titre, celui-ci devenait aussi gérant opérationnel de Herrikoa. Un an plus tard, Timothée Acheritogaray est donc promu gérant, à titre personnel. En roue libre donc, sans plus de compte à rendre aux associés de Herkide… si tant est que l’un ou l’autre d’entre eux aurait eu un jour l’intention de lui en demander.
Dès lors, les principales modifications statutaires que les actionnaires de Herrikoa s’apprêtent à voter ce vendredi ont une double visée : conforter les pleins-pouvoirs de Timothée Acheritogaray en même temps qu’elles essaient de ripoliner les fonctions du Conseil de surveillance, tout en le maintenant dans son rôle de simple figurant.
1. A propos de l’article 19 (ou la gérance de Herrikoa)
Jusqu’ici, possiblement administrée par un ou plusieurs gérants, personnes physiques ou morales, la société devra l’être désormais par un gérant unique, qui de plus obligatoirement personne physique… D’où la démission de Herkide – personne morale – et la nomination instantanée de Timothée Acheritogaray, personne physique…
2. Concernant l’article 21 (ou la cessation des fonctions du gérant)
Jusqu’à présent, cet article 21 énonçait que l’AG de Herrikoa devait être immédiatement convoquée pour nommer un successeur. Et que d’ici à sa désignation, l’associée commanditée (Herkide) assurerait l’intérim. La modification statutaire retouche le temps de convocation de l’AG en cas de départ du gérant, « pour quelque motif que ce soit »… sans plus fixer de délai particulier…
Autre curiosité dans les changements de cet article 21 : désormais, il précise qu’une fois le nouveau gérant nommé, Herkide cessera « ses fonctions intérimaires », poursuivant l’exercice de ses prérogatives « à l’exclusion de tout acte de gestion de la société ». Or, depuis la création de Herkide en 2013, c’est Txistu Bergara qui, à titre personnel (?!), assure la gestion comptable de Herrikoa et présente son bilan au Conseil de surveillance puis à l’assemblée générale des actionnaires. S’apprête-t-il ici à se désengager véritablement de cette tâche ou Timothée Acheritogaray le maintiendra comme comptable officieux ?
4. A propos de l’article 23 :
La future version de cet article demeure inchangée quant aux pouvoirs du gérant, « les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société ». Txistu Bergara a néanmoins introduit ici la nécessité d’une autorisation préalable du Conseil de surveillance pour cinq opérations. Quatre d’entre elles relèvent de cas de figures si exceptionnels – l’achat de biens immobiliers par exemple ou la cotation en bourse des titres de Herrikoa (?!) – qu’on les présume inspirées par le sens de l’humour du président de Herkide. Quant à la dernière opération, elle concerne le feu-vert en amont du Conseil de surveillance pour une participation conséquente de Herrikoa dans une entreprise. Or, cette approbation est déjà requise aujourd’hui pour tout engagement supérieur à 50 000 euros.
Sauf à douter de leurs capacités de compréhension, les membres du Conseil de surveillance n’ont pas pu ne pas percevoir que les changements statutaires seraient sans effet sur leur rôle actuel de figuration. Et que, lorsque Txistu Bergara semble faire une concession à leurs quelques velléités, elle relève de la poudre de perlimpinpin. Ainsi, la modification de l’article 29 énonce que, désormais, lors de chaque réunion du Conseil de surveillance (deux fois par an, au moins), le gérant devra lui présenter « un rapport sur la marche des affaires », et que, « dans les quatre mois de la clôture de chaque exercice, le gérant présente[ra] au conseil de surveillance, aux fins de vérifications et de contrôles, les documents comptables qui doivent être soumis à l’assemblée annuelle ». Or, l’actuel article 30 (qui demeure inchangé) stipule déjà : « le Conseil de surveillance exerce, conformément à la loi, le contrôle permanent de la gestion (…) » et « peut à tout moment procéder aux vérifications et contrôles qu’il estime nécessaires ou demander communication de tout document utile à l’exercice de ses missions ».
5. L’article 24 ou la composition du Conseil de surveillance
Le duo Bergara-Acheritogaray grave dans le marbre son idéal d’équilibre de façade du Conseil de surveillance : entre hommes et femmes, entre les trois provinces du Pays Basque nord… et avec une représentation majoritaire de personnes physiques. Sachant que sur les treize membres actuels, six d’entre eux représentent des personnes morales, la modification statutaire réduit sensiblement le risque de candidatures de la part d’associations et autres collectifs, bêtes noires de Txistu Bergara et Timothée Acheritogaray.
Les rapports hors-sol de la gérance et du Conseil de surveillance
On peut s’en douter, notre lecture des modifications statutaires diffère fortement de leurs traductions dans le rapport de la gérance et dans celui du Conseil de surveillance. Etabli par le duo Bergara-Acheritogaray, le premier présente joliment ces changements comme visant à « conforter le fonctionnement collaboratif de Herrikoa et un meilleur équilibre des pouvoirs entre les différentes instances de la gouvernance » (sic !).
Le rapport du Conseil de Surveillance est à l’unisson, avec une seule variante dans sa narration, pour mieux souligner son influence supposée sur l’origine des changements statutaires. Txistu Bergara et Timothée Acheritogaray peuvent être satisfaits, le Conseil de surveillance les dédouane de toute responsabilité ! « Au cours des échanges de l’année, il est également apparu une volonté manifeste et unanime de votre Conseil de Surveillance quant à un rééquilibrage des pouvoirs entres les différentes instances de gouvernance de la société Herrikoa. Et plus particulièrement entre la gérance et le Conseil de surveillance. Il a été également souhaité une dissociation, sauf exception temporaire, entre la gérance et l’associé commandité et que le gérant soit une personne physique. (…) L’objectif clairement recherché par votre Conseil de Surveillance est ainsi de remettre les associés commanditaires et leurs représentants – émanation directe de l’actionnariat populaire, pluriel et de proximité de notre territoire – plus au centre de la gouvernance ».
Peut-on imaginer un écart plus grand entre les dires et les faits ? Et quelle peut être la part de croyance sincère dans cette narration chez les membres du Conseil de surveillance ? Quoiqu’il en soit, il resterait, selon son rapport, un seul sujet à traiter : « il conviendra (…) que le Conseil de surveillance de Herrikoa ait un(e) Président(e) ». Vacant depuis quatre ans, le poste n’a suscité aucune vocation pour remplacer Peio Bellan, démissionnaire en octobre 2020 !
Le maintien de la présence contestable de Sokoa au Conseil de surveillance de Herrikoa…
Depuis la rédaction des statuts de Herrikoa lors de sa refonte juridique de 2013, l’article 24 énonce que les membres du Conseil de surveillance doivent être « choisis exclusivement parmi les associés commanditaires n’ayant pas la qualité d’associés commandités, et autre que le représentant personne morale d’un associé commandité (…) ». Le Code du commerce et son article L-226-4 n’entretiennent aucun flou sur ce point : « A peine de nullité de sa nomination, un associé commandité ne peut être membre du conseil de surveillance ». D’où notre question : Sokoa qui est partie prenante de l’associée commanditée Herkide peut-elle siéger en même temps au Conseil de surveillance de Herrikoa, l’associée commanditaire ? Autrement dit, cette double appartenance est-elle conforme ou seulement scabreuse ? Un.e téméraire pour interpeler le duo Bergara-Acheritogaray lors du vote du renouvellement du mandat de Sokoa au Conseil de surveillance ?
Herrikoa : activité en net recul… vs… santé financière insolente
Passons à présent au volet financier de l’AG de Herrikoa, du moins à ses éléments chiffrés communiqués. Ce chapitre suscite son lot de questionnements.
1. Dans le bilan (clos au 30 juin 2024)
– La ligne « Immobilisations financières » liée au métier de Herrikoa est dans le rouge avec une baisse globale de 17% (cinq entreprises seulement soutenues durant l’exercice contre neuf précédemment, ce qui n’était déjà pas folichon). Sans surprise, le rapport de la gérance se garde bien de pointer cette chute d’activité et donc de l’expliquer… Est-elle due au contexte économique ? Au positionnement de Herrikoa dans l’incapacité de se renouveler ? A un Txistu Bergara et un Timothée Acheritogray bien davantage occupés par l’affaire Enargia, le groupe Sokoa ou encore le limogeage de l’indocile nouvelle directrice de Herrikoa ?
– Côté trésorerie par contre, on frôle une augmentation de 25% avec un niveau record historique de près de 6,6 millions d’euros ! Ici encore, pas trace d’un commentaire dans le rapport de la gérance… Aux actionnaires d’apprécier ce montant incroyable ! Qui, rappelons-le au passage abrite les trois millions d’avances (!) faites à Sokoa et à sa filiale Sofikoa (cf. notre dossier de juillet). Il se dit que, si, comme lors de l’AG 2023, un participant indélicat revenait sur le sujet le 13 décembre, Txistu Bergara annoncerait alors un remboursement imminent de ces placements brumeux… Mais, quid des près de 950 000 euros de participation de Herrikoa chez Sokide, la filiale du noyau dur des actionnaires de Sokoa ?
2. Dans le compte de résultat…
– Le résultat net affiche une baisse de 38% par rapport à l’exercice précédent… tout en revendiquant un peu plus de 275 000 euros de bénéfices (!).
– Signe de l’essoufflement de l’activité de Herrikoa, c’est le résultat des « revenus courants » : 36% en moins… alors que celui sur « cessions de titres de participation »(2), signale un 17% de mieux que l’exercice antérieur.
– Un autre chiffre peut aussi interpeler, c’est celui relatif à la « dépréciation du portefeuille ». Autrement dit, les provisions faites par Herrikoa pour compenser les éventuelles défaillances des entreprises qu’elle soutient. L’exercice clos au 30 juin 2024 indique une envolée de 178% de ces provisions (ou près de 382 000 euros) ! Dans le contexte économique actuel, on peut bien sûr comprendre un niveau appuyé de dépréciation… Cependant, dans ce sacré bond, quelle est la part prise pour affaiblir un résultat qui, sans cette écriture comptable, aurait arboré un montant plus éclatant encore ?
– Signalons enfin une dernière curiosité dans les coûts de fonctionnement avec leur augmentation de 10% (35 000 euros), « en raison des charges liées à la refonte du site web et à l’élaboration d’un plan de communication », lit-on dans le rapport de la gérance. Cela fait cher du prestataire… d’autant que ni l’un, ni l’autre de ces travaux n’a été perceptible.
3. Les perspectives ?…
Dans un court passage intitulé « point sur le nouvel exercice et perspectives », si le rapport de la gérance évoque rapidement « le ralentissement de l’activité déjà observé l’an dernier », c’est pour mieux introduire ce qui sera probablement l’axe majeur du nouveau gérant : « il est impératif que nous réactivions notre plan de communication (…) afin de renforcer notre présence (…) ». Ce qui impliquera le recrutement d’un.e communicant.e ? Vraisemblablement. Proche de Timothée Acheritogaray, membre du CA de Sokoa, actionnaire de la très sélective Sokide, et ancienne chargée de communication de Enargia, Laura Dubernet coche la plupart des cases de la candidate idéale pour assister le nouveau gérant de Herrikoa.
Malgré les remous de l’affaire Enargia et les dossiers de Enbata, aucun signe ne permet d’augurer une assemblée générale des actionnaires de Herrikoa qui ferait entrevoir ne serait-ce qu’une lueur d’espoir pour lui redonner sens.
Aujourd’hui, la société de capital-investissement évolue, comme hors sol, largement déconnectée de son environnement et de sa vocation, engrangeant et savourant tel un rentier insipide les bénéfices de ses placements comme ceux procurés par le groupe Sokoa. L’outil emblématique du développement local en Pays Basque nord n’est plus que l’ombre de lui-même. Ite missa est.
(1) Cette démission a-t-elle été abordée et votée en réunion des associés de Herkide, ou s’agit-il une nouvelle fois d’une décision unilatérale de Txistu Bergara ?
(2) Lorsque Herrikoa entre au capital d’une entreprise, elle n’a pas vocation à y rester indéfiniment et récupère donc ses billes un jour ou l’autre.