Mai 1883 : C’est l’allumage du premier haut fourneau des forges de l’Adour dans la ville du Boucau. Dès lors, l’usine possédera sa cité, sa chapelle, ses écoles et même le Boucau stade. Citadelle ouvrière dans une région restée largement rurale. On s’imagine mal aujourd’hui la dureté du travail de métallurgiste. (1) Printemps 1917 : Le premier syndicat voit le jour sous l’impulsion de Joseph Désarménien. Mai 1918: En pleine grève, la CGT revendique 1.100 adhérents sur près de 2.000 ouvriers. Octobre 1920 : Un second conflit de 60 jours est soutenu par des métayers du Bas Adour, également en lutte contre les propriétaires. 2.135 ouvriers demandent des augmentations de salaires. La grève est brisée et aucune revendication n’est satisfaite. Pire, 300 d’entre eux sont licenciés dont tous les dirigeants syndicaux. Mai/juin 1930 : Rebelote. Une puissante et spectaculaire grève paralyse les Forges pendant plus d’un mois : occupation, sabotages, coupures de courant, bagarres avec les gardes mobiles… A nouveau l’échec avec une centaine de licenciements, prison pour 12 travailleurs et révocation des maires du Boucau et de Tarnos. Puis c’est l’état de siège. Les deux cités sont occupées par 800 gardes mobiles et gendarmes. Il faudra attendre 1936 et le Front populaire pour que se reconstitue un syndicat.
Le temps de l’exode
Dans les années 1930, la communauté des Forges est constituée de populations d’origine diverses, qui par vagues successives ont rejoint Tarnos. Les premières arrivées à la fin du XIXe siècle, lors de l’ouverture de l’usine, sont bien sûr originaires des Landes, mais aussi du Pays Basque et du Béarn. Beaucoup sont paysans et participent à l’exode rural. À ces premiers arrivants s’ajoutent rapidement des familles alsaciennes, réfugiées dans la région après l’annexion de l’Alsace-Lorraine par l’Allemagne. Plus tard, pendant la première guerre mondiale, une importante population issue du territoire espagnol se joint à cet ensemble déjà hétérogène.
Le temps des cerises
Ce fut, durant le siècle dernier, des films, des pièces de théâtre, puis un roman, une maison d’édition et même une marque de vêtement… Au tout début, ce fut surtout une chanson écrite par Jean Baptiste Clément en 1866 et mise en notes musicales par Antoine Renard deux années plus tard. Le plus drôle, c’est qu’on rattache ce texte, et cette musique renforçant notre mélancolie, à la commune de Paris qui eut lieu… cinq ans plus tard. On peut y voir aussi une simple évocation du printemps et comme l’indique la dernière strophe, un chagrin d’amour… Sauf que après 1871, le parolier la dédicacera à la vaillante citoyenne Louise, l’ambulancière de la rue Fontaine-au-Roi. “Puisque cette chanson a couru les rues, j’ai tenu à la dédier, à titre de souvenir et de sympathie, à une vaillante fille qui, elle aussi, a couru les rues à une époque où il fallait un grand dévouement et un fier courage ! Nous sûmes seulement qu’elle s’appelait Louise et qu’elle était ouvrière. Naturellement, elle devait être avec les révoltés et les las-de-vivre. Qu’est-elle devenue? A-t-elle été, avec tant d’autres, fusillée par les Versaillais? N’était-ce pas à cette héroïne obscure que je devais dédier la chanson la plus populaire de toutes celles que contient ce volume ?” (2)
Le temps des fleurs
Le temps des cerises c’est aussi le temps des printemps : de la création et de la fin des Forges de l’Adour (mai 1883 à juin 1965) comme celles des luttes syndicales de mai 1918 ou mai 1930. Grâce au talent de l’auteure de la pastorale “Gerezien denbora”, Itxaro Borda, et à celui conjugué de la famille Achiary (Maite, Beñat et Julen) et des bénévoles de l’association Ezkandrai organisatrice aussi des Ethiopiques et d’Errobiko festibala, c’est sans nul doute l’événement culturel et social de l’année 2014 qu’il faut encenser. Les 2.300 spectateurs à Bayonne fin juin et les 1.700 d’Itxassou le 20 juillet malgré un temps défavorable, ont aussi offert un standing ovation aux acteurs, chanteurs, musiciens, techniciens, maquilleuses, coiffeurs, couturières, traducteurs, aux concepteurs de l’affiche et du livret, aux institutions, financeurs, entreprises, associations… Car loin de faire l’autruche sur la dureté de la vie de ces travailleurs du fer et de l’acier, cette pastorale urbaine nous émeut. Le tour de force des Achiary aura été de déplacer aux deux représentations une majorité de personnes, souvent non bascophones, assistant pour la première fois à une pastorale. Et, in fine, de réunir des générations, une diversité politique, conciliant la question culturelle et identitaire à l’engagement social. A la marge, le plus cocasse, justement, pour une pastorale si populaire et engagée, c’est de reprendre les codes de la pastorale traditionnelle en classant les ouvriers, paysans, bergers et métayers chez “les Bleus” (les bons) et les patrons, contremaîtres, “satans” et autres gendarmes chez “les rouges” !
Pour celles et ceux qui souhaitent voir ou revoir la (sûrement) dernière séance de Gerezien denbora, rendez vous à Bilbao le samedi 18 octobre…
(1) A lire à ce sujet le 2ème roman d’Eric Mailharrancin, Les oubliés du Chemin des Dames-2008-Elkarlanean.
(2) Jean Baptiste Clément dans Chansons (5ème édition)
Petite précision : La représentation de « Gerezien denbora » à Bilbao a été décalée du samedi 18 octobre au samedi 8 novembre…