Noël Mamère et Patrick Farbiaz publient en ce mois de septembre le livre Changer le système, pas le climat aux éditions Flammarion. A la veille de la publication de cet ouvrage et à quelques semaines d’Alternatiba Garazi, où Noël Mamère sera présent comme conférencier, les auteurs de ce Manifeste pour un autre monde répondent aux questions d’Alda !
L’influence de plus en plus importante de nos modes de vies sur l’accélération du changement climatique et les conséquences de ce changement sur nos éco-systèmes sont de mieux en mieux connus et de moins en moins contestés. Et pourtant, l’urgence climatique a encore du mal à être considérée comme la priorité des priorités face à un système économique dominant qui arrive encore à séduire avec des formules du type “travailler plus pour gagner plus”. Le défi qui est devant nous est donc de faire comprendre à l’opinion publique que le système monde se heurte aux limites de l’écosystème planétaire et qu’il est donc nécessaire de traiter ensemble l’urgence climatique et la justice sociale ?
Le système productiviste colonise le temps humain par le marché ; il organise une société de démesure gérée par le despotisme de la technoscience et crée une société d’apartheid qui exclut des populations entières devenues des parias dans leur propre pays. Mais la principale crise, la crise climatique et écologique, avance inexorablement, mettant plus en danger l’humanité elle-même que la planète. Ce danger est masqué par l’hégémonie du discours sur la croissance qui, dans les pays développés ou émergents, domine encore dans les classes dirigeantes.
Notre livre souligne la nécessité de définir un nouvel horizon : l’écologie de libération, pour rompre avec ce récit toxique et mobiliser l’opinion publique au travers d’un imaginaire collectif et d’un contre-récit qui puissent rassembler classes moyennes et classes populaires.
Cette libération doit prendre en compte les trois écologies, telles que définies par Félix Guattari : l’écologie sociale, l’écologie mentale et l’écologie environnementale (*). La prise de conscience de l’urgence écologique et sociale n’est possible qu’à ces trois niveaux.
L’écologie de libération est d’abord une écologie de la survie, car ce sont les pauvres, les déshérités, les invisibles du monde entier, qui peuvent remettre en cause ce système reposant sur l’exploitation, le pillage des ressources naturelles et les pollutions industrielles.
Parce qu’ils sont en première ligne, là où les inégalités écologiques et sociales s’agrègent.
Quelle transition devra être mise en place entre le modèle économique dominant et celui qui s’imagine et s’expérimente ici et là? Bref, comment s’y prendre pour faire du “vivre et travailler au pays” une alternative crédible, compte-tenu des obstacles “insurmontables” qui démotivent le “citoyen lambda” soumis “à la concurrence internationale, à la crise, au manque de débouchés, aux “habitudes/dépendances” d’achat …” ?
Les trois piliers de la transition sont connus, mais ils tardent à venir alors que chaque minute compte. Il y a d’abord la relocalisation des activités économiques est le premier axe de la transition. Alors qu’une concurrence mortelle fait rage sur le marché du travail mondialisé, la désertification sociale de régions entières n’est plus une option.
Le second pilier c’est un moratoire international sur toute nouvelle exploitation d’énergies fossiles et, en particulier, la fin des subventions et des prêts bancaires versés aux acteurs de ce secteur.
Le troisième pivot est la fin des grands projets inutiles, que ce soit ceux liés à l’extractivisme ou ceux qui, comme l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, amplifient la préemption des terres cultivables. Cela ne pourra se faire sans repenser les modes de vie et de consommation, notamment la fin de l’obsolescence programmée et la réduction significative de la publicité dans les coûts des produits finis.
Nous devons construire un nouveau consensus, non pas autour de la décroissance mais de l’objection de croissance, en construisant partout, du local au global, des politiques de résilience qui nous permettent d’anticiper les menaces créées par l’homme.
Comment le citoyen peut-il y voir plus clair pour ne pas tomber sous le coup de la sidération liée au TINA – “There is no alternative” où il n’y a pas d’alternative ?
Il y a trois conditions, que nous décrivons dans notre livre (Changer le système, pas le climat; Manifeste pour un autre monde, éditions Flammarion.) pour refuser le piège tendu depuis le début des années 80 par les tenants de la révolution néoconservatrice et du social libéralisme. D’abord, comprendre la société issue de la mondialisation, le chaos et la mutation qu’elle a engendrés. Le capitalisme a fait sa mue, le mouvement de la société n’en est qu’à son début. L’horreur économique s’est transformée en horreur écologique. Avec l’accélération du temps, la révolution numérique engendre l’“ubérisation” de la société et du travail, le productivisme et le chaos géopolitique et ses fractures identitaires…
Le tout sur fond de crise climatique et de la sixième extinction de la biodiversité. Face à ces menaces, une contre-société plébéienne s’est levée, qui cherche sa voie en se retirant sur son Aventin faute d’une auto représentation dans un champ politique traditionnel soumis au gouvernement invisible des multinationales.
Comme nous le montrons dans une troisième partie, il s’agit de développer une stratégie qui renforce l’autonomie de cette contre-société, en s’appuyant sur ce que nous appelons le “cosmopolitisme insurgé”, le “commun” et la construction d’un parti de la plèbe autour de l’écologie de libération. L’idée centrale est de renouer avec la société en mouvement et de ne plus se lier à une société politique totalement hors-sol.
En quoi un évènement comme Alternatiba vous semble-t-il important?
Alternatiba est l’expression la plus avancée du mouvement pour la justice climatique. Initiée par des citoyens et des associations engagées, ce mouvement considère comme nous que pour lutter contre le dérèglement climatique, il faut changer le système et lier la lutte contre les inégalités écologiques à la justice sociale. Dans le village organisé par Alternatiba, l’ensemble des composantes de la contre société plébéienne que nous décrivons dans ce livre, sera représenté, que ce soient les zadistes, les lanceurs d’alerte, les “sans”, les expérimentateurs sociaux, les entreprises de l’économie solidaire ou du commerce équitable, le mouvement des villes en transition…
Nous souhaiterions que le village soit aussi l’occasion pour tous ces mouvements de se rencontrer transversalement afin de débattre d’une alternative pour un autre monde. Si nous ne voulons plus que les partis hors-sol récupèrent l’indignation et la révolte, c’est à ceux qui sont sur le terrain de prendre leurs affaires en main. Nous vous invitons à rejoindre le village d’Alternatiba pour faire de cette occasion unique le forum de tous les possibles.
(*) Les trois écologies, telles que définies par Félix Guattari : l’écologie environnementale pour les rapports à la nature et à l’environnement, l’écologie sociale pour les rapports au “socius”, aux réalités économiques et sociales, l’écologie mentale pour les rapports à la psyché, la question de la production de la subjectivité humaine.
Mobilisation citoyenne sur le changement climatique : déjà plus de 110 Alternatiba !
Ces villages des alternatives au changement climatique sont aujourd’hui en cours d’organisation, ou se sont déjà tenus, partout dans l’Hexagone mais également dans quelques autres Etats européens.
Le premier d’entre eux a eu lieu il y a moins de deux ans à Bayonne, où il a réuni plus de 12 000 personnes le 6 octobre 2013, quelques jours après la publication du cinquième rapport du GIEC.
Depuis une cinquantaine ont déjà eu lieu et entre septembre et octobre plus d’une cinquantaine auront lieu. Deux Alternatiba auront lieu en Pays Basque, les 10 et 11 octobre à Saint-Jean-Pied-de- Port et le 24 octobre à Bilbao.