Agriculture industrielle pour produire des matières premières alimentaires à bas coût d’un côté, petite agriculture familiale pour nourrir le monde, notamment les plus pauvres, de l’autre. A une époque où la population mondiale ne cesse d’augmenter, la FAO prend position. Mixel Berhocoirigoin, en militant et expert de l’agriculture paysanne, nous livre son analyse.
La FAO, organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, a proclamé 2014, année internationale de l’agriculture familiale. L’objectif affiché est “de rehausser l’image de l’agriculture familiale et de la petite agriculture en focalisant l’attention du monde entier sur leur contribution significative à l’éradication de la faim et de la pauvreté, à la gestion des ressources naturelles, à la protection de l’environnement et au développement durable, en particulier dans les zones rurales. L’objectif est de remettre l’agriculture familiale au centre des politiques agricoles, environnementales et sociales dans les programmes d’action nationaux…”. Il n’y a rien à rajouter à ce plaidoyer de la FAO. C’est la confirmation de la contribution essentielle de l’agriculture familiale dans tous les grands enjeux planétaires.
Agriculture locale pour alimentation locale
L’agriculture familiale est une agriculture basée sur la main d’œuvre familiale et la gestion familiale des moyens de production. Elle est caractérisée par un lien fort entre la famille et l’unité de production, entre le capital productif et le patrimoine familial. C’est cette agriculture qui assure 75% de la production alimentaire mondiale. Elle est très majoritairement composée de petites exploitations et représente quelque 1,5 à 2 milliards de personnes qui travaillent la terre à leur compte.
Les agricultures familiales sont variées à l’image des milieux naturels qu’elles exploitent : elles sont l’expression de l’histoire agraire, culturelle et sociale de chaque territoire. Elles sont reconnues comme les plus efficaces pour nourrir le monde tout en préservant les ressources naturelles. Elles sont l’agriculture locale pour l’alimentation locale! L’agriculture familiale, pour pouvoir se maintenir et se développer doit disposer d’outils politiques correspondant à la réalité et aux besoins des petites et moyennes exploitations.
Ces outils, identifiés depuis longtemps par tous les experts, ont fait leurs preuves là où ils ont été mis en place : il s’agit de l’accès à la terre, à l’eau, aux crédits, au marché, à la logistique qui permet l’amélioration de la productivité dans les pays du Sud ; il y a aussi la nécessité d’un cadre politique qui préserve les agricultures locales contre les importations à bas prix, la détermination de prix “justes”, la reconnaissance des organisations paysannes représentatives de l’agriculture familiale, la réduction de la pénibilité du travail, la formation, la protection sociale…
Pour que l’initiative de la FAO ne se limite pas à une déclaration généreuse, et, comme elle l’affirme elle-même, si l’objectif est de “remettre l’agriculture familiale au centre des politiques agricoles”, il faut que cela se traduise concrètement sur le terrain des politiques agricoles.
L’agriculture familiale assure
75% de la production alimentaire mondiale.
Elle est très majoritairement composée
de petites exploitations et représente
quelque 1,5 à 2 milliards de personnes
qui travaillent la terre à leur compte.
Menaces tous azimuts
L’agriculture familiale est aujourd’hui menacée de toutes parts. L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), créée voici 20 ans, a toujours comme finalité la libéralisation des échanges agricoles au niveau planétaire, et la localisation des productions dans les régions du monde où les coûts de production sont les plus bas.
Ce principe est en contradiction totale avec celui de la souveraineté alimentaire qui vise à protéger les agricultures locales, leur diversité et leurs débouchés sur les marchés locaux. Il en est de même pour les accords ou négociations bilatérales, comme celle actuellement engagées entre l’Europe et les Etats-Unis et inspirées par la même volonté de libéralisation des échanges.
L’accaparement des terres à travers le monde, par des Etats ou des sociétés agro-industrielles pour y développer des monocultures ou des élevages industriels à très grande échelle représente l’autre grande menace face à laquelle des initiatives politiques fortes s’imposent.
Enfin, les enjeux de l’agriculture familiale ne concernent pas que les pays du Sud. La France ne doit pas se satisfaire de donner les leçons aux autres. Elle doit mettre ses décisions en cohérence avec la promotion de l’agriculture familiale : le fait qu’elle s’apprête à instaurer un plancher de 10 vaches comme seuil d’accès aux aides bovines, le fait qu’il faille tellement batailler pour que les politiques de financement de l’agriculture soient mieux adaptées aux petites fermes, le fait que l’objectif assigné à l’agriculture française, soit “la double performance” (économique et environnementale) en oubliant la performance sociale, ou encore les incitations fiscales à la capitalisation au détriment de l’emploi, sont autant d’éléments à reconsidérer, si les discours qu’elle affichera en cette année de l’agriculture familiale doivent aller au-delà de la simple communication.