Arnaldo Otegi face à plusieurs défis

OtegiLes élections générales et surtout autonomiques de fin 2016 approchent. Le leader à peine sorti de prison, doit trouver des solutions pour rassembler son camp et récupérer les électeurs partis vers Podemos.

La libération d’Arnaldo Otegi le 1er mars après six ans et demi derrière les barreaux, a été l’occasion pour la gauche abertzale de remettre en selle son joker. Sortie le poing levé à l’image d’un Nelson Mandela et meeting géant, ont permis au leader basque de confirmer les analyses et les mises en garde qu’il avait dispensées clairement du fond de sa cellule espagnole. Car il y a urgence. La réalité est inquiétante pour la gauche abertzale. Au coude à coude avec le PNV il y a quelques années, elle caressait l’espoir de devenir la première force politique en Pays Basque. Mais depuis, deux scrutins lui ont fait perdre plusieurs de ses fiefs historiques. L’émergence du nouveau parti anti-austérité Podemos lui ôte une bonne partie de son électorat, en particulier parmi les jeunes générations. La voici reléguée à la troisième place. Otegi lui-même n’est pas sûr de pouvoir être candidat aux prochaines élections. L’audiencia nacional maintient son inéligibilité jusqu’au 28 février 2021. Mais la procédure n’est pas close et il espère une levée de la sanction le moment venu, sur décision de la junte électorale.

La remise des armes à régler

Un malheur n’arrivant jamais seul, l’affaiblissement de Sortu s’accompagne de dissensions internes déjà évoquées dans ces colonnes. Preso et ex-preso manifestent leur scepticisme. Malgré les concessions et les sacrifices consentis, ils ne voient rien venir d’un processus de paix mis en scène à Aiete et d’une justice transitionnelle de plus en plus hypothétique. Faire le deuil d’une négociation dans l’honneur et de résultats politiques tangibles est terriblement dur. Il y a moins de dix ans, pour ETA, l’arrêt de sa violence était suspendu à la reconnaissance du droit à l’autodétermination et à la réunification. Aujourd’hui, la gauche abertzale considère que “la lutte armée est de trop, elle est devenue un obstacle”, “la violence d’ETA, au lieu de résoudre les problèmes, ne fait que les rendre plus insolubles”. Tel est le nouveau paradigme si difficile à admettre par les vieux soldats. 400 preso demeurent toujours en prison, Rafa Diez, ex-secrétaire général du syndicat LAB ne sera libéré qu’en septembre 2017. Et de négociation avec l’adversaire, il n’y en aura pas.

La question de la remise ou de la neutralisation des armes est toujours en suspens. Est évoquée une formule hier rejetée par ETA et proposée fin janvier par le Forum social: la procédure de désarmement n’impliquerait pas le gouvernement espagnol qui refuse de reconnaître ainsi son adversaire historique, mais elle serait le fait d’une Commission de vérification cautionnée par les institutions régionales basques, la société civile et la communauté internationale. Les parlements de Gasteiz et d’Iruñea seraient associés à cette procédure.

Tenir les deux bouts de la chaîne

La tâche d’Arnaldo Otegi n’est pas simple. Il doit parvenir à donner corps à une démarche nouvelle, inspirée des exemples catalans ou écossais, elle passe par l’ouverture d’un “deuxième front indépendantiste” qu’il annonce dans ses discours. La gauche abertzale a beaucoup trop tardé à tourner la page, cela  aussi, le leader abertzale ne se prive pas de le clamer dans ses discours. Pour avancer, il lui faut d’abord rassembler son camp, faire taire les dissensions et arrêter l’hémorragie de ses électeurs vers Podemos.

EH Bildu est une coalition de quatre partis: Sortu, EA, Aralar et Alternatiba. Avec l’irruption de Podemos, ce rassemblement se trouve réduit aujourd’hui à l’étiage de la gauche abertzale il y a quinze ou vingt ans. Arnaldo Otegi doit récupérer des électeurs séduits par le discours social, anti-austérité, alternatif, d’un mouvement issu des Indignés. Il lui faut tenir les deux bouts de la chaîne: être à la fois plus indépendantiste et pro-preso que jamais, mais aussi soucieux de rénover son nationalisme, en étant plus sensible aux questions socio-économiques qui séduisent une partie de son électorat jeune et urbain qui a basculé vers une formation espagnole de gauche porteuse d’espérance.

Par chance, Podemos est un mouvement récent, dépourvu de cadres et d’appareil, traversé par de fortes dissensions. En Pays Basque comme dans d’autres régions et même au sein de sa direction madrilène, on ne compte plus les crises et les démissions. Les pactes de gouvernement passés avec des groupes locaux en Galice, en Catalogne et à Valence demeurent fragiles. Pablo Iglesias, leader de Podemos, a limogé le 15 mars le n° 3 du parti et les sondages virent à la baisse, au profit d’IU (communistes) et du PSOE.

Le refus de Podemos de s’allier avec les socialistes pour donner à l’Espagne une majorité de gauche déçoit une partie de son électorat. L’Etat espagnol apparaît pour l’instant ingouvernable et on s’achemine vers de nouvelles élections législatives en juin. Podemos demeure l’expression d’une situation de crise et risque de décevoir, tant ses électeurs placent en lui des espoirs démesurés. Il n’a guère fait ses preuves en termes d’exercice du pouvoir.

D’autres forces issues de l’extrême gauche, en Grèce ou au Brésil sont arrivées aux commandes ces dernières années. Au mieux, cela a fini dans le giron social-démocrate, au pire, dans la fange : hurruneko eltzea, urrez ; harat orduko, lurrez !

Quelles alliances pour gouverner

Pour la gauche abertzale, comme pour tous les partis en Pays Basque ou en Espagne, la grande question est la suivante: au regard de la fragmentation de la carte politique, avec qui s’allier au soir de chaque scrutin, pour obtenir une majorité au moins relative et suffisamment stable ?

Le PNV arrivé en tête, mais loin de la majorité absolue, gouverne actuellement la Communauté autonome basque grâce au soutien du PSOE qui ne participe pas au gouvernement. La Communauté forale de Navarre est dirigée par une coalition de partis abertzale et de Podemos.

Le PNV peut tenter demain de reconduire la formule actuelle. Changer de partenaire pour une alliance avec un EH Bildu new look est peu probable. Le vieux parti demeure fidèle au rêve d’un nouveau statut certes plus souverainiste, mais dont le contenu doit être négocié avec l’Espagne. Le projet Ibarretxe de souveraineté-association a laissé des traces, donc pas question d’un processus rupturiste et unilatéral à la catalane, auquel pensent les indépendantistes.

Cela conditionne largement
les possibilités d’alliance
avec la seule force
avec laquelle EH Bildu
peut éventuellement s’allier
pour gouverner :
Podemos qui ne verrouille pas
l’hypothèse référendaire
et partage ses idéaux de gauche.

Le pari d’Arnaldo Otegi est bien de tenter de gouverner la Communauté autonome basque en alliance avec Podemos. Tous les regards scrutent les sondages et échafaudent des scenarii. Voici le résultat du dernier: PNV 24 députés (27 en 2012), Podemos 18, EH Bildu 15 députés (21 auparavant), PSOE 9 élus (16), PP 8 (10) et Ciudadanos 1 (UPyD 1). L’addition des députés Podemos et EH Bildu atteint le même nombre d’élus que le total PNV-PSOE. C’est dire combien le jeu sera serré sur une carte politique qui voit le PP et le PSOE poussés vers les marges. La réussite de la mutation que veut poursuivre et accélérer Arnaldo Otegi est donc assortie d’un gros enjeu. Clore le chapitre ETA avec l’opération de la remise des armes doit impérativement avoir lieu avant les élections autonomiques de fin 2016. Cela conditionne largement les possibilités d’alliance avec la seule force avec laquelle EH Bildu peut éventuellement s’allier pour gouverner: Podemos qui ne verrouille pas l’hypothèse référendaire et partage ses idéaux de gauche. Mais son leader, Pablo Iglesias, est pour le moment réticent à ce type d’alliance.

Fragmentation et opportunités

Les prochains mois seront donc marqués par d’importantes évolutions. L’arrivée inopinée de nouveaux partis, Ciudadanos à droite, Podemos à gauche sera-t-elle confirmée ? Pour l’instant, elle affaiblit les formations classiques et leurs logiques d’alternance. Une des principales lignes de fracture pour les deux nouveaux partis porte sur la question nationale: Ciudadanos est ultra-jacobin, né en réaction à la montée en puissance de l’indépendantisme catalan. Podemos au contraire est d’accord pour l’organisation de référendums concernant le devenir des nations qui le demandent, mais s’oppose à la sécession(1). Le pouvoir central en sort destabilisé, comme est remise en cause pour d’autres raisons la monarchie, garante de l’indivisibilité de l’Espagne.

Lorsque les sociétés et leurs équilibres traditionnels sont en crise, alors les jeux politiques sont plus ouverts. De là, naissent des opportunités pour les petits peuples minoritaires. Ils subissent habituellement un cadre et des règles du jeu par essence destinés à les maintenir sous le boisseau, ils peuvent alors faire sauter quelques verrous. Reconnaissons au Catalan Artur Mas le mérite d’avoir eu cette intuition. Il n’a pas hésité à rebondir sur la crise économique mondiale qui aggravait les tensions entre centre et périphérie, pour relancer l’indépendantisme catalan. Au sein de son propre camp et chez d’autres nationalités, ils étaient nombreux à prôner exactement le contraire, en voulant attendre des jours meilleurs… Pour celui qui ne veut pas agir, ce n’est jamais le bon moment !

Il est toujours ridicule de refaire l’histoire après coup et avec des si, mais la situation critique que vit la gauche abertzale aujourd’hui, comme les perspectives qui s’ouvrent à elle, démontrent à l’envi, tout ce qu’il fallait faire beaucoup plus tôt. Mais rien n’est perdu. C’est toute la force d’Arnaldo Otegi d’offrir un projet de relance, une transition, un espoir. Les 12 Travaux d’H… Otegi vont commencer.

(1) Lors de son meeting d’accueil au vélodrome d’Anoeta le 5 mars, Arnaldo Otegi a appelé “les secteurs émergents de la nouvelle gauche espagnole” à soutenir “les processus constituants des nations sans Etat”.

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