Après 5 ans d’attente, Alternatiba est de retour à Bayonne les 6 et 7 octobre 2018. L’objectif de cette édition est à la fois de contribuer à la mobilisation internationale pour demander plus d’ambition dans la lutte contre le dérèglement climatique, et de promouvoir les alternatives quotidiennes permettant à chacun de le combattre concrètement. Cette année le village des alternatives mettra en lumière et soutiendra spécialement les projets territoriaux de sobriété et de transition énergétique, écologique et sociale. A cette occasion, Alda! publie en deux numéros le fruit provisoire de la réflexion collective Burujabe (en euskara, Buru (Tête, personnalité) Jabe (Maître, propriétaire) en cours au sein de Bizi. Cette réflexion aboutira à la publication à l’occasion d’Alternatiba 2018 d’un livret dessinant les chemins de transition pour avancer vers Euskal Herria Burujabe (souverain, soutenable et solidaire).
Les illusions de progrès que promettait la globalisation se sont envolées. Après quelques décennies d’industrialisation massive de nos sociétés, dont nous commençons à payer le prix humain et écologique, nous nous rendons compte que les nouvelles générations vivront moins bien que leurs parents : elles travailleront plus durement pour gagner moins, développent des cancers de plus en plus jeunes, ont de plus en plus de mal à se loger et à trouver leur place dans un système qui en laisse de moins en moins. L’économie les force à déménager au gré des emplois précaires, quand ils en trouvent. La pauvreté recommence à s’étendre tandis que s’accroissent la fortune des plus riches et les maladies liées à la pollution de l’air et de l’eau. Plus récemment nous avons commencé à voir le climat devenir plus chaotique, multipliant sécheresses, pluies torrentielles ou canicules. Et là où les conditions minimales d’une vie digne ont été détruites, des centaines de milliers de personnes fuient et tentent de s’exiler vers nos latitudes. Beaucoup d’entre elles perdent leur vie à nos portes dans ce périple injuste et inhumain, tandis qu’on entend plus souvent parler du coût supposé de leur accueil que de celui de l’évasion fiscale.
La tyrannie de la croissance
Cette globalisation n’a qu’un seul indicateur : la croissance. Y sont incluses l’extraction de carbone fossile et l’essentiel des activités dont les effets collatéraux, proches et lointains, sont la pollution, les maladies et la mort. Ce qui détruit la vie est comptabilisé comme positif. En revanche ce qui régénère la vie est ignoré, piétiné, pour la seule raison que ce qui régénère la vie n’est pas chiffrable : le soleil qui fournit toute l’énergie du vivant, la pluie qui irrigue, l’air sain qu’on respire, les forêts qui tempèrent le climat et fournissent de quoi construire et chauffer nos maisons, les plantes qui nous nourrissent et nous habillent, les insectes qui les aident à se reproduire, les animaux et champignons du sol qui en assurent la fertilité. Les limites des ressources naturelles présentes en quantité finie sur la planète, qu’il s’agisse des minerais ou des combustibles fossiles, du rythme de régénération des ressources renouvelables, ou de la capacité d’absorption de nos déchets par la biosphère, sont ignorées. On a oublié tous les écosystèmes qui, à travers des milliers d’années d’évolution, ont développé un fonctionnement résilient, utilisant au mieux l’énergie et l’eau, et ne produisant aucun déchet. On en vient à croire que la vie est une combinaison de machines qu’on peut sans cesse améliorer. Transgenèse, transhumanisme et géo-ingénierie dessinent un monde où tout ce qui ne répond pas à cet impératif de booster et de calibrer, tout ce qui est imprévu, imparfait, différent, n’a plus de place. Pendant que nous nous obstinons à ne pas comprendre que nous sommes une des espèces qui composent la biosphère et que notre survie en dépend, nous causons la 6ème grande extinction de la biodiversité, nos champs et nos forêts se vident peu à peu des insectes et oiseaux qui y survivent encore, les vers de terre –première biomasse animale terrestre et garants d’une production alimentaire durable– ont perdu en sept décennies 90% de leur biomasse dans les champs cultivés. Cette même attitude s’applique à nos vies, qui doivent être également calibrées et boostées, dès l’enfance : performance scolaire, comportement conforme, efficacité au travail, condition physique au top, succès relationnel et financier. Non seulement on finit par se traiter soimême comme un robot, mais on doit prouver aux autres qu’on réussit, qu’on mène une vie enviable. Là aussi, l’imparfait, le différent, le non-conforme, la faiblesse, la maladie, la vieillesse, la non-réussite, doivent être vite rectifiés, ou sinon cachés. On en vient à mépriser tous ceux qui ne sont pas productifs dans l’économie, et à craindre pour sa survie lorsqu’on n’est pas soi-même assez productif.
Une société déshumanisée
L’omniprésence de la rentabilité fait oublier de plus en plus qu’il existe des rapports humains qui ne sont pas basés sur la compétition, sur l’éviction du non-conforme, et qui ne se vendent pas. Élever et éduquer les enfants, s’entraider entre proches ou entre voisins, fournir des soins à ceux qui sont âgés ou malades… ces actes sont la base de ce qui fait que nous puissions vivre ensemble dignement et non comme adversaires. Ces actes nécessaires sont parmi les moins considérés. Pourtant, lorsqu’ils disparaissent, le système ne peut plus fonctionner. Ces rapports humains et sociaux sont également réticents à la marchandisation : là où ils disparaissent, des substituts payants ne parviennent pas à les remplacer. De même que là où existent des biens communs, la privatisation se fait toujours au détriment des usagers, qu’il s’agisse de l’eau, des terres communales, de logement collectif, d’énergie, ou de services publics.
On oublie aussi qu’on peut vivre et décider collectivement, autour de nous, dans notre quartier ou notre commune. Les organes de décision s’éloignent de plus en plus de nous, ils nous échappent. On ne sait plus pourquoi on vote. “L’opinion publique” ne sait plus quoi penser : elle est modelée par les médias, et l’on sait de moins en moins distinguer la vérité de la contrefaçon. Oubliant le débat démocratique, perdant le sens de la collectivité, et perdant notre mémoire collective, nous devenons des individus interchangeables, sans racines et sans horizon, perdant notre humanité en même temps que la faculté de comprendre l’humanité d’autrui.
L’impossible fuite en avant
Pendant que disparaissent les repères et les structures sociales qui nous permettaient de comprendre le monde, que se multiplient les sollicitations de la société de consommation et les injonctions à travailler toujours plus, les inégalités de richesse augmentent de façon effrayante. Une minorité s’enrichit des fruits du travail des autres (de plus en plus précaire et mal payé), de leurs loyers (de plus en plus chers et excluants) et des créations monétaires boursières artificielles. Le patrimoine cumulé des 1% les plus riches du monde a aujourd’hui dépassé celui des 99% restants, au sein desquels les inégalités sont également en augmentation. Ce sont, de plus, les populations les plus démunies (femmes, pauvres, pays du Sud) qui sont les premières victimes du terrible impact écologique de la globalisation, alors qu’elles en sont les moins responsables et ont les moyens les plus faibles pour s’y adapter. Les modélisations du Club de Rome sur les limites de la croissance, faites en 1972, se révèlent de plus en plus exactes et leurs prédictions confirmées les unes après les autres.
Le dérèglement climatique continue à s’accélérer et à s’aggraver dangereusement. L’Accord de Paris adopté lors de la COP21 par tous les États de la planète se donne comme objectif de contenir le réchauffement en dessous de 2°C voire d’1,5°C, afin d’éviter les seuils irréversibles d’emballement du climat. Pourtant, les engagements pris en 2015, dans la perspective de cette COP21, par les États de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, nous conduisent tout droit à un réchauffement de +3,5°C à la fin du siècle, et cela même s’ils étaient respectés à 100%. Sans une action rapide et massive, nous mettons en danger les conditions de vie civilisée sur terre. Cela concerne directement la totalité des enfants nés aujourd’hui et le monde dans lequel ils vivront.
Les dérèglements climatiques sont la conséquence directe des émissions de gaz à effet de serre d’un système économique qui pille et gaspille les ressources des pays du Sud pour alimenter le train de vie insoutenable des riches. Chez ceux qui se considèrent le centre du monde, des millions de voitures roulent, 18% de la production alimentaire est gaspillée, et des montagnes de déchets sont produites tous les jours, au prix de la faim et de la pollution dans les périphéries qui font rarement la une des médias.
Pourtant, nos dirigeants prétendent poursuivre une croissance dont ils savent au fond qu’elle n’existera plus. En pratique, tout se passe comme s’ils avaient fait le choix d’exclure voire d’éliminer les plus pauvres. Pour que toutes et tous puissent aspirer à une vie digne, il est urgent de changer de logique. En réaction à cette globalisation ratée —sauf pour une petite minorité qui croit qu’elle pourra se sauver seule—, de nombreuses personnes souhaitent revenir au monde “d’avant” et à ses frontières, animées par la nostalgie d’une vie plus prospère, moins compliquée et moins menaçante. Malheureusement elles sont à la recherche d’un monde qui ne pourra plus exister. Les frontières ne sont pas une réponse valable aux défis humains et climatiques de ce siècle. (…)