La Generalitat et son président Artur Mas s’adonnent à une course de lenteur. Le 19 septembre, au lendemain du référendum écossais, le parlement catalan a approuvé une loi qui permet à la Catalogne d’organiser des “consultations”. 106 députés, soit 78,5%, ont voté pour (CiU, ERC, PSC, ICV et CUP), 28 contre (PP et Ciutadans). A noter que la succursale du PSOE en Catalogne a voté favorablement, dans la mesure où cette loi n’organise pas explicitement le référendum du 9 novembre.
L’attitude surprenante des socialistes s’explique par la nécessité de ménager leur électorat et de préserver une unité de façade, au grand dam de la direction centrale du parti. Depuis, Artur Mas prend tout son temps et cela ne doit rien au hasard.
Le bureau du parlement avalisera le texte, puis il sera traduit en espagnol, Artur Mas va le parapher de sa blanche main et enfin le Journal officiel de la Catalogne le publiera. Puis le président Mas prendra un décret convoquant la consultation du 9 novembre. Dès la publication officielle de la loi catalane et alors seulement, le premier ministre espagnol Mariano Rajoy demandera un avis au Conseil d’Etat. Le conseil des ministres présentera un recours en annulation auprès du Tribunal constitutionnel qui statuera ensuite. La loi catalane sera suspendue dès la présentation du recours, avant que le Tribunal constitutionnel ne tranche sur le fond.
Le soutien de 70% des municipalités
Tout est déjà fin prêt, argumentaires et documents officiels n’attendent plus que s’ouvre la fenêtre de tir. Au 23 septembre, 70% des municipalités, dont Barcelone la capitale, soit 670 sur
947, avaient fait voter leurs conseils pour approuver la démarche référendaire. Près de 100.000 volontaires sont prêts à se mobiliser, à l’appel de l’ANC (Assemblée nationale catalane).
Pendant ce temps, le PSOE vient d’ouvrir un débat politique au sujet d’un nouvel Etat fédéral qui suppose un remaniement de la Constitution.
Pour le PP, cela relève d’une trahison, dans la mesure où l’union sacrée espagnole en sort affaiblie. Et le parti au pouvoir a fort à faire pour conserver sa cohésion sur un autre débat, celui de la nouvelle loi sur l’avortement. Le ministre de la Justice vient de démissionner et les tensions sont très vives entre la tendance droite catholique traditionnaliste et les libéraux modernistes du PP.
Une astuce politico-juridique imprévue peut-elle être mise en oeuvre ? Nous pensons que oui. Le secret est parfaitement verrouillé, mais des indices permettent d’imaginer le scénario suivant. Le 27 septembre, la campagne référendaire officielle s’ouvre sur les chapeaux de roue en toute légalité, avec annonces institutionnelles dans tous les médias, sur la base du décret d’application pris par le président de la Generalitat. Les autorités espagnoles lancent leur procédure de suspension de la loi référendaire du parlement catalan. Cette suspension intervient le 29. Le lendemain, sous la menace d’une procédure de détournement illégal de fonds publics, Artur Mas suspend la campagne officielle qui a duré trois jours. Mais celle-ci se poursuit à l’appel du gouvernement catalan et de tous les partis politiques —y compris du plus timoré, l’UDC— qui ont voté la loi et de la société civile.
Au 23 septembre, 70% des municipalités,
dont Barcelone la capitale,
soit 670 sur 947, avaient fait voter
leurs conseils pour approuver
la démarche référendaire.
Près de 100.000 volontaires
sont prêts à se mobiliser.
Artur Mas a le droit de dissoudre le parlement catalan et il peut proposer un scrutin 40 jours plus tard (Art. 56-4 du Statut d’autonomie). Comme par hasard pour le 9 novembre 2014,
date du référendum annoncé, date quasi mythifiée depuis un an de débat public. Ce 9 novembre pourrait donc avoir lieu un scrutin régional parfaitement légal, à charge pour la société civile et toutes les forces socio-politiques qui le désirent, d’organiser ce jour-là un scrutin parallèle, pourquoi pas à l’entrée des bureaux de vote officiels ou dans une pièce voisine. Les
institutions catalanes demeurent dans la légalité, CiU et Artur Mas ont rempli leur contrat… mais le réel leur échappe. Les forces vives catalanes prennent le relai et l’on voit mal la garde
civile, voire l’armée espagnole, intervenir autour des bureaux de vote pour saisir les urnes parallèles, s’emparer des bulletins, frapper et embarquer les scrutateurs, en un mot empêcher
l’expression démocratique d’un peuple. L’Espagne serait ainsi poussée à la faute en présentant au monde l’image d’une dictature digne des pays de l’Est ou du tiers-monde.
Ne pas se tromper de combat
Les scrutins sans l’aval de l’Etat sont toujours difficiles à mettre en oeuvre. Les Catalans en ont déjà fait l’expérience avec les référendums municipaux sur la question indépendantiste. Le
taux de participation, en général assez faible, limite la portée de la démarche. La formule du scénario du 9 novembre tel que nous l’imaginons, ouvrirait la possibilité d’obtenir un taux de
participation élevé, dans la mesure où deux scrutions sont couplés. Les indépendantistes catalans parviendront-ils à mettre en oeuvre tout cela en préservant leur unité ? D’autant que les Espagnols se chargeront d’établir des contre-feux. Artur Mas comme l’ERC ne se trompent pas de combat : il s’agit d’obtenir le droit de vote dont jouissent les Ecossais ou les femmes, alors qu’il leur fut si longtemps refusé. Un droit de vote extrêmement répandu dans les démocraties, on ne compte plus le nombre de référendums en Suisse ou aux USA. En réussissant cette opération, les Catalans auront fait du 9 novembre 2014 une étape essentielle dans la conquête de ce droit.