Trois mois après le référendum du 9 novembre 2014, CiU et ERC parviennent à un accord. Des élections anticipées permettront d’élire un nouveau parlement catalan le 27 septembre 2015. D’ici là, un plan d’action détaillé pour mettre sur pied le nouvel Etat sera mis en oeuvre.
Entre les républicains indépendantistes d’ERC et les autonomistes de CIU, pas moins de trois mois de négociation ont été nécessaires pour se mettre d’accord sur la suite à donner au référendum du 9 novembre.
ERC souhaitait poursuivre son avance en rebondissant sur l’élan référendaire et prônait une dissolution rapide du parlement catalan avec de nouvelles élections pour élire une majorité plus clairement indépendantiste.
CiU, proposait un scrutin plus tardif et des candidats communs aux deux formations. Les deux partis sont tombés d’accord le 14 janvier. Les Catalans éliront un nouveau parlement le 27 septembre 2015.
Cette date ne doit rien au hasard. La Diada (Aberri eguna catalan) aura lieu le 11 septembre et correspondra au coup d’envoi de la campagne électorale. Entre temps, les élections municipales auront lieu le 24 mai et
les indépendantistes espèrent alors accroître leur avance par rapport à leurs adversaires et leur enracinement local. En novembre, les élections législatives espagnoles auront lieu.
ERC et CiU ne feront pas liste commune
Chacun se présentera devant les électeurs sous ses propres couleurs, mais les deux partis se sont mis d’accord sur les axes principaux d’une sorte de programme commun indépendantiste. Disposant d’une majorité
relative mais échaudé par le précédent scrutin, CiU craint une baisse du nombre de ses députés. La formation autonomiste devenue soudain indépendantiste comptait masquer son érosion électorale avec la formule des listes communes. Il n’en sera rien. Par ailleurs, nul ne sait ce qu’il en sera de l’irruption sur la scène politique du nouveau parti Podemos. ERC espère endiguer ce phénomène en proposant clairement une option de gauche aux électeurs catalans.
Préparer la transition nationale
L’alliance entre les deux principales formations politiques catalanes(1), est assortie de trois autres points. Après avoir menacé en décembre de voter contre, ERC approuve le budget 2015 du gouvernement catalan et propose même de faire partie de l’exécutif. Dans le but sans doute de peser davantage sur le processus indépendantiste. Mais CiU fait la sourde oreille. Le deuxième point porte sur l’après 27 septembre. Si un accord est trouvé avec le gouvernement espagnol, un référendum sur l’indépendance du pays aura lieu.
Comme il est fort probable que Madrid sera vent debout, les Catalans ont prévu de déclarer unilatéralement l’indépendance, d’organiser un référendum pour approuver la nouvelle Constitution catalane, enfin d’élire le parlement catalan issu des nouvelles institutions.
Ce processus n’a de chances d’aboutir que s’il est soigneusement préparé. C’est l’objet du troisième point dont le contenu a été rendu public le 17 février. Un Conseil de la transition nationale (Consell Assessor de la
Transició Nacional, CATN) est sur ce chantier depuis des mois. Plusieurs chargés de missions, dont certains proposés par ERC, ont été nommés. Ils travaillent sous la houlette d’un éminent juriste, Carles Viver Pi-
Sunyer, qui dans une autre vie, fut vice-président du tribunal constitutionnel espagnol. A la demande du gouvernement catalan, celui-ci a élaboré un livre blanc, 18 rapports thématiques pour préparer l’accession de la Catalogne à la souveraineté, sa “déconnexion” de l’Espagne. Il faut maintenant passer à la vitesse supérieure.
Entouré de leurs équipes, les chargés de mission vont plancher sur différents dossiers sur les modalités de “la transition nationale”. Rien moins que la rédaction d’un nouvelle Constitution(2), la préparation du premier budget du nouvel Etat, la création d’une Banque centrale et d’une sécurité sociale, des services administratifs chargés d’organiser les élections ou encore d’assurer la continuité de l’alimentation en énergie, l’extension des pouvoirs de la police (Mossos d’Esquadra) en particulier dans le domaine de la lutte antiterroriste, le développement d’un réseau d’ambassades et de consulats, etc. 106 des 156 mesures préparées par le Conseil de la
transition nationale devront être opérationnelles avant le 15 juillet. Le chantier est immense. La “déconnexion” a aussi un coût, surtout si la séparation se passe dans des conditions conflictuelles. La CATN envisage aussi ce scénario avec l’hypothèse d’une baisse provisoire du PIB catalan de l’ordre de 1% à 2%.
En ces temps de restriction budgétaire,
le ministère de la Défense se lance
dans l’action culturelle avec un projet d’ouverture
d’un musée militaire à Barcelone
pour “ne pas laisser la Catalogne en marge”
de l’histoire espagnole.
Musée militaire, corrida et fausse monnaie
Pour l’instant, l’Espagne assiste à ces préparatifs sans trop broncher. Elle attend que le “soufflé retombe” de lui-même. En ces temps de restriction budgétaire, le ministère de la Défense se lance dans l’action culturelle avec un projet d’ouverture d’un musée militaire à Barcelone pour “ne pas laisser la Catalogne en marge” de l’histoire espagnole. Le Musée de l’Armée de Montjuic inauguré par Franco en 1963 a fermé ses portes en 2009. Il convient donc de combler ce vide “pour que tous les Espagnols se sentent fiers de leurs forces armées”.
Un autre contre-feu refait surface : obtenir que les corridas —manifestation espagnole emblématique— puissent être à nouveau organisées en Catalogne…
Après sept mois de silence, le président de la Generalitat Artur Mas a rencontré officiellement le premier ministre espagnol Mariano Rajoy le 19 février. Il s’agissait d’inaugurer ensemble une ligne de haute tension internationale à Gerona…
La rencontre fut purement protocolaire et pour tout dire glaciale.
Autre pomme de discorde, les institutions catalanes ont pour 2.000 euros fait fabriquer en Chine 45.000 pièces de monnaie dans le but de commémorer le 300e anniversaire de la disparition de la souveraineté catalane. Il n’en fallait pas plus pour que l’Audiencia nacional prenne la mouche. Depuis novembre, ses magistrats mènent l’enquête pour une activité de faux monnayeur qui tombe sous le coup de l’article 386 du code pénal (8 à 12 ans de prison).
C’est enfin l’ouverture de deux “ambassades” catalanes à Vienne et à Rome qui énerve le plus les Espagnols. Le ministre des Affaires étrangères envisage là aussi un recours auprès des tribunaux sur la violation de l’article 12 de la loi sur les Affaires étrangères.
Unió renacle
Le rapprochement entre ERC et CiU qui mettent en oeuvre tout ce processus de transition nationale suscite des tensions au sein de la coalition CiU. La tendance Unió et son leader Duran sont toujours aussi sceptiques sur le projet souverainiste. Convergencia et Unió sont également en rivalité pour la désignation des candidats aux prochaines élections municipales du 24 mai. Malgré les obstacles, le processus souverainiste catalan avance. Les deux prochains scrutins de mai et de septembre seront évidemment cruciaux dans cette affaire.
Impossible d’émanciper un peuple contre son gré. Le soutien de l’opinion publique catalane est donc très attendu. On s’en souvient, c’est cet élan qui fit cruellement défaut à Juan José Ibarretxe lorsqu’il mit en oeuvre sa démarche de souveraineté-association et le priva de l’approbation de son propre parti.
(1) Cette alliance n’a pu avoir lieu qu’avec l’appui, voire la pression des instances catalanes représentatives de la société civile et des élus locaux, l’ANC (Assemblée nationale catalane), l’AMI (Association des municipalités pour l’indépendance) et Omnium cultural. Elles ont un poids considérable dans la vie politique du pays dont on mesure assez mal la portée en Pays Basque.
(2) Le 31 janvier, a été rendu public un projet de Constitution en 97 articles, rédigé par un groupe de juristes, présidé par le magistrat Santiago Vidal. La démarche d’élaboration du texte devrait se poursuivre jusqu’à la fin 2015.