Il y avait déjà quelques sentinelles éclairées de la cause basque. Ximun Haran, mort à Luhuso ce 9 décembre, a su les réunir pour faire avec eux une démarche collective, organisée, révélant aux Basques d’Iparralde leur véritable patrie. En mettant en faisceau ces volontés individuelles éparses, il fut l’étincelle qui embrasa ce qui n’était jusqu’alors qu’une singularité culturelle, un régionalisme au coin de l’Hexagone, pour construire une résistance identitaire. Ce petit groupe de pionniers, articulé autour de lui, élabora une doctrine. La Charte d’Itsasu, lors du premier Aberri Eguna d’Iparralde le 15 avril 1963, plaça les droits de la nation basque réunifiée parmi les valeurs universelles. Cette Charte est aujourd’hui gravée sur une pierre levée telle un menhir venu du fond de notre préhistoire témoigner de la permanence de notre peuple. Ximun, par son caractère bien trempé, a ainsi posé l’acte fondateur de notre renaissance nationale. Cet instant fort, vécu ensemble, s’il a réorienté nos vies, a surtout eu l’immense mérite d’ouvrir, d’une manière irréversible, l’abertzalisme sur nos trois provinces. Cette dynamique enclenchée, ce pays reprit confiance en son propre avenir. Il abandonna la fatalité de l’exil, refusa l’acceptation de la disparition de l’euskara mis à l’index par les Etats qui nous écartèlent, prit le zazpiak bat pour référence de notre vie économique et sociale, ouvrit notre quête de souveraineté. Bref, il y eut un avant et un après Ximun ! Cette fondamentale mutation poursuit son cours. C’est Ximun Haran qui, ici, l’a impulsée. Milesker Ximun.
Le JPB
La disparition, le 21 décembre, du Journal du Pays Basque est un très mauvais coup porté à la liberté de la presse et à la cause basque. Un journal qui meurt, pour quelque cause que ce soit et à plus forte raison économique, démontre la fragilité de la libre expression et un appauvrissement de la pensée humaine. Le JPB remplissait en effet un rôle éminent puisqu’il n’était pas seulement un « contre Sud Ouest », il était surtout une respiration singulière où pouvaient s’exprimer d’une manière libre et ample, sans contrainte d’espace, toutes les voix discordantes d’Iparralde. On y trouvait régulièrement certaines plumes acérées, telles celles de Xipri ou de quelques autres, qui nous ramenaient à la justesse des choses. On y trouvait aussi des opposants ou des compagnons de route occasionnels, petits élus locaux ou parlementaires pouvant exprimer profondément leurs points de vue indispensables à la réflexion équilibrée. Où pouvions-nous expliquer les méandres, soubresauts et conflits qui font le quotidien de l’abertzalisme d’Hegoalde? Nous aurons désormais un grand silence sur tout cela. Quel gâchis! Enbata, pour sa part, ne trouvera plus le coup de main informatif ou photographique de son quotidien de frère. Merci d’avoir porté une bonne douzaine d’années une vision qui nous est chère.
40 ans d' »Ogro »
Il y a quarante ans, le 20 décembre 1973, ETA faisait sauter à Madrid la voiture blindée de plus de deux tonnes de l’amiral Carrero Blanco, anéantissant la succession tyrannique programmée de Franco. Pas joli à avouer, mais la mort de cet homme fut une explosion de joie au Pays Basque. Sans l’opération « ogro », l’Espagne aurait sans doute subi dix ou quinze années supplémentaires de fascisme comme cela s’est produit, presque à la même époque, au Portugal où Caetano, le dauphin du dictateur Salazar, perpétua le régime. Tous les anti-franquistes peuvent donc dire merci à ETA. Politiquement ce fut un coup de génie. La mort de Carrero Blanco était la bonne cible qui a changé complètement la donne car, à la mort de Franco, deux ans plus tard, c’est toute la transition démocratique qui s’est opérée sans drame majeur. Techniquement ETA a montré aux yeux du monde la puissance de son organisation clandestine par une préparation de deux ans, à des centaines de kilomètres de ses bases basques, une maîtrise parfaite du repérage, des travaux de terrassement et de maniement des explosifs, qui ne fit aucune bavure.
« Respect des ennemis »
Cet éditorial de fin d’année, en forme de rétrospective du mois de décembre, nous ramène à un événement de portée planétaire, la mort de Nelson Mandela le 5 décembre. Tout a été dit. Mais pour nous basques, à peine sortis d’un conflit armé, il nous faut retenir de ce prisonnier politique aux dix mille jours d’embastillement, qu’il triompha de l’apartheid et changea son pays par le « respect des ennemis ». Pourtant, à l’origine, Mandela était considéré comme un terroriste par l’Afrique du Sud blanche et l’ensemble du monde occidental, de Margaret Thatcher aux USA notamment. Ce qui nous fascine et rend son exemple singulier est que Mandela fut non seulement un libérateur comme Simon Bolivar ou Abraham Lincoln, plus qu’une icône de la non violence comme Gandhi ou Martin Luther King. Il érigea en système le pardon de l’adversaire par la commission Vérité et Réconciliation où le tortionnaire, policier ou civil, vient publiquement confesser ses crimes à ses victimes et demander pardon. Rarement Prix Nobel aura été si judicieusement mérité. “Si nous abertzale, dit Peio Etcheverry-Ainchart dans ce numéro d’Enbata, souhaitons vraiment la paix, il nous faut commencer par être capable d’empathie, par comprendre la réaction de ceux d’en face. Il faudra bien qu’un jour la mère d’un Miguel Angel Blanco et celle d’une Gurutze Iantzi puissent partager leur douleur à la même table”.