Après avoir pointé les ressorts de la montée de l’extrême droite en France dans « Ce qui génère et ce qui dégénère (1) » voici l’analyse, de cette problématique sur notre territoire, s’attachant à comprendre les mécanismes, qui contiennent, au Pays Basque, l’évolution de l’extrême droite et notamment les réponses militantes aux problématiques sociales.
Dans le précédent Enbata, j’abordais la montée de l’extrême droite dans cette période de précampagne présidentielle, principalement au travers de la figure médiatique d’Eric Zemmour. L’enjeu consistait à repérer les facteurs qui permettent d’expliquer ce succès auprès d’une part toujours plus importante de la population de l’hexagone.
Au-delà des explications propres à la personnalité du polémiste, je pointais la responsabilité des appareils politiques progressistes dans ce phénomène, par leur faiblesse idéologique, mais aussi par les jeux tactiques électoraux qu’ils opèrent.
Plus profondément, on constate une mécanique par laquelle les problématiques sociales réelles générées par les politiques libérales créent un terreau propice à l’enracinement des idées d’extrême droite. Le Pays Basque Nord reste relativement préservé de la pénétration des idées et des organisations de l’extrême droite hexagonale bien qu’ici aussi, sa croissance électorale constitue une source de préoccupation à la veille de chaque scrutin.
Les raisons évoquées par Nicolas Goñi dans un précédent numéro d’Enbata(1) sont tout à fait convaincantes. Le mouvement abertzale oeuvre depuis plusieurs décennies à construire une offre identitaire et un ancrage territorial inclusif, par un angle progressiste et qui les lie aux questions écologiques, sociales, etc. Il “occupe” en quelque sorte le terrain des questions identitaires et territoriales.
Des sources d’inquiétude
Toutefois, on assiste parfois à des discours au sein de la population, voire de certains segments des sympathisants abertzale, dont les fondements ont des similarités, des résonances, avec ceux des électeurs de l’extrême droite hexagonale.
Typiquement, il s’agit des propos plus ou moins ouvertement xénophobes, motivés par des replis identitaires essentialistes et conservateurs et qui rejettent, par exemple, l’installation de nouveaux arrivants en la considérant comme la source principale des maux du territoire. Du reste, ces propos se déploient souvent au nom de la conservation des attributs identitaires et ethnoculturels du territoire ainsi que de la protection des environnements sociaux proches (famille, amis…).
Peio Etcheverry Ainchart y a consacré de nombreuses chroniques et je souscris sans réserve à ses positions.
Les nouveaux arrivants
Ce phénomène de nouveaux arrivants affecte évidemment les réalités sociales de notre territoire (logement, langue, situation économique…). C’est la raison pour laquelle il mériterait d’être abordé sérieusement et sans angélisme. Mais on sent qu’il se joue là quelque chose qui tient plutôt d’une frénésie que d’une analyse objective de la réalité. Pour preuve, le chiffre de plus de 3.000 nouveaux arrivants annuels qui est systématiquement évoqué est en réalité celui du solde de mobilités résidentielles (donc la différence entre les arrivées et les départs). L’effectif de nouveaux arrivants dépasse bien largement ce chiffre pour atteindre près de 12.000 personnes( 2).
De la même façon, que sait-on de ces nouveaux arrivants ? Peu de choses en fait. Quelle est la part de ces arrivants qui sont originaires du Pays Basque Nord, parfois bascophones, et qui reviennent s’installer sur notre territoire après leurs études ou un début de carrière professionnelle ? Quelle est la part de parents qui scolarisent leurs enfants dans des systèmes d’enseignement en basque et qui prennent des cours à AEK ? Quelle est la part qui participe à la vie associative locale, qui dédie son temps libre à intégrer le territoire par une citoyenneté active ? Quelle est la part qui, comme ce fut le cas avec les décennies précédentes, fournira les cadres militants du mouvement abertzale de demain? À vrai dire, on ne sait pas.
Les études approfondies qui permettraient de caractériser le phénomène ainsi que ses conséquences sont d’une nécessité d’autant plus impérieuse que la crise sanitaire a considérablement accéléré la dynamique.
On ne peut que déplorer comment l’absence d’informations, d’analyses de la réalité, et les peurs légitimes de l’inconnu se traduisent par des réflexes de méfiance et de défense communautaires au lieu de l’aborder sous un angle d’ouverture et d’invitation inclusive.
N’oublions pas que le Mouvement de libération nationale Basque a connu un véritable tournant en Pays Basque Sud à partir du moment où il a attiré des pans entiers des masses de travailleurs immigrés espagnols en réalisant la synthèse entre lutte nationale et lutte sociale.
À l’instar de la dynamique décrite dans le précédent numéro concernant le lien entre problèmes sociaux et adhésion aux thèses d’extrême droite, ce type de discours aux tonalités inquiétantes se développe surtout face à l’apparition de problèmes sociaux concrets qui placent notre territoire face à la privation.
Le Pays Basque Nord n’est pas un territoire qui est confronté à une misère sociale élevée, loin de là, ce qui est sans aucun doute un des facteurs explicatifs du faible succès électoral de l’extrême droite. En revanche, il est en permanence agité par d’autres problématiques sociales, culturelles, linguistiques, environnementales, qui constituent d’autres terreaux desquels peuvent émerger des options totalement différentes, des plus progressistes et émancipatrices, aux plus conservatrices et excluantes.
À partir de deux exemples emblématiques que sont l’accès au logement social et à l’enseignement immersif, dans mon prochain article, je dégagerai les principaux ingrédients d’un logiciel militant avec lequel une partie des acteurs politiques locaux, et notamment les organisations abertzale, abordent les luttes sociales concrètes pour leur donner une expression progressiste.
(1)– Nicolas Goñi, Identités souveraines contre rétrotopies identitaires , Enbata, novembre 2021, no 2375, p. 16‑17.
(2)– Communauté d’Agglomération Pays Basque, BEGI, n° 1, novembre 2018, p. 14-15 (consultable en ligne www.communaute-paysbasque.fr)