Quand je pense aux élections municipales, je me demande parfois comment les autres démarches visant à constituer des listes s’organisent ? Notamment, les listes engagées à droite. Et particulièrement celles qui sont déjà en gestion. Quels modes de fonctionnement ? Qui coordonne ? S’appuient-elles sur des permanents déjà en place, des cadres administratifs pour préparer l’état des lieux, les programmes futurs sachant que cela serait assez limite du point de vue moral voire pénal ?
Je ne peux m’empêcher de penser que cette organisation doit être plutôt pyramidale où le chef contrôle l’ensemble via des personnes toutes dévouées à sa cause et surtout à sa gloire. L’homme providentiel existe d’autant que collectivement nous le vénérons en validant ses modes de gouvernance peu démocratiques et souvent autocentrées et égotistes. Elle est étonnante cette propension de l’être humain à chérir voire à magnifier ces pratiques, n’est-il pas ?
Askatasunaren bidean
A contrario, je me souviens des jours anciens et je pleure. Pour la référence poétique seulement car cela prêterait plutôt à sourire. C’était dans les années tout début 80. 1980 ! Je suis de cette génération du baby boom qui, pour partie, se confronte à une société consumériste à tout crin. Des élans d’émancipation collective nous étreignent. En Pays Basque Nord, le mouvement abertzale d’alors voit affluer cette nouvelle génération dont les idéaux le disputaient à une utopie sans faille : nous construisions la libération nationale et sociale du peuple basque. Et ce n’est pas rien. Notre motivation certaine n’avait d’égale qu’une force d’auto-persuasion inébranlable. Les vieux militant.e.s de 50 ans n’avaient qu’à bien se tenir : Jakes Abeberry et Enbata en tête ! Du coup, le mouvement politique des Herri Talde naissait de façon anarchique dans le bon sens du terme. Il tutoyait le renouveau linguistique et culturel qui se développait avec l’émergence d’associations culturelles de villages, des radios bascophones, des cours de basque pour adultes, des ikastola et des kantaldi à foison. Il côtoyait la résurgence des carnavals, des groupes de danse, de chants basques, ou d’Olentzero. De même, la volonté d’investir le terrain social prenait racine : il fallait aussi changer la société dans ses rapports sociaux.
Usine à gaz
Le sourire d’aujourd’hui, c’est de repenser à nos modes d’organisation de l’époque. Nous nous méfiions des structurations verticales. Ainsi, pendant un temps, on ne conférait qu’un rôle de simple enregistrement à l’organe de la coordination qui fédérait les groupes locaux. Ainsi, quand une proposition arrivait à la coordination —qui n’avait aucun pouvoir décisionnel— elle était dispatchée dans les autres groupes locaux qui au bout d’un mois retravaillaient, chacun de son côté, le document original. A charge alors à la coordination de trouver une synthèse pour la renvoyer à chaque groupe pour approbation… A ce rythme là, la libération nationale et sociale se faisait beaucoup attendre. A l’époque, pas de mail, pas de portable, pas d’internet, même pas de minitel. Juste des stencils que les moins de 40 ans n’ont pas connus. On utilisait la Poste pour envoyer les convocs. Quant aux ordres du jour, ils étaient assez fluctuants, à l’instar de l’heure de démarrage ou de fin de réunions. Les prises de paroles se faisaient de façon —comment dire ?— éparpillée, sans méthode affinée. On rentrait chez nous à une heure indue dans la nuit avec parfois une sensation d’inachevé ! Les flics sans nul doute aussi qui, on l’a appris bien plus tard, essayaient leur nouveau gadget moderne : les micros directionnels qui permettaient d’écouter les conversations au travers des vitres et volets…
Dis-moi comment tu t’organises…
Et l’Assemblée générale représentait l’essence même de l’idéal démocratique que nul autre méthode d’organisation ne pouvait égaler. C’était le summum de l’organisation éminemment démocratique. Nous frisions l’excellence. Aujourd’hui encore ce modèle d’organisation est une référence dans moult pratiques. Pourtant, elle mérite d’être interrogée, tellement, comme tout groupement humain, elle peut être dévoyée de ses prétentions démocratiques. En effet, un groupe de personnes qui la prépare peut la verrouiller, sélectionner les points à aborder, limiter le débat… On peut surtout se demander si participer uniquement à ce temps fort une fois par an, correspond à une démarche éminemment participative. Le recours à des adhésions factices — et peu chères— en est l’exemple le plus criant sous la forme, notamment, de procurations par un système organisé et souvent initié dans l’ombre. L’objectif étant d’écarter un.e candidat.e pour en favoriser une.e autre.
…et je te dirai qui tu es…
Aujourd’hui d’autres façons de concevoir des projets de façon collective émergent un peu partout. Déjà le mouvement altermondialiste et écolo du Pays Basque Nord, Bizi, a impulsé un cadre original à sa structuration interne dès sa naissance il y a 10 ans, dans une transparence nouvelle comme on le suppute en regardant son site : les réunions sont calibrées par thématiques, avec une heure de début et une heure de fin. La coordination, ouverte à tous, cohabite avec des groupes de travail et de groupes locaux(1). D’autres initiatives explorent un peu plus cette fameuse démarche participative et citoyenne afin de métamorphoser les centres décisionnels en rendant caduque, ringard et inefficace à terme, la concentration des pouvoirs par une personne ou groupe d’obligés. Il est question ici de passer de la verticalité pyramidale à une volonté d’oeuvrer vers plus d’horizontalité. De ré-oxygéner la démocratie par des méthodologies et outils innovants. De ne plus confisquer le pouvoir en le réorganisant. Bref, il est temps d’accélérer la transition démocratique, écologique et sociale qui s’impose.
Oser et sortir des chemins balisés !
Il s’agit en fait de revivifier le bien commun par des engagements citoyens, en limitant les rapports de domination, dans une totale transparence, une gouvernance bien plus partagée en recourant à des outils d’intelligence collective pour co-construire des projets par une écoute mutuelle, bienveillance, convivialité et tant qu’à faire avec impertinence et humour. Nous sommes là face à un changement total de culture qui invite à requestionner le rapport au politique, à la cité, à l’élu et au citoyen. C’est ce que prône l’Université du Nous depuis 2010, en voulant réinventer le “faire ensemble” qui nous invite à un travail en profondeur sur nous mêmes en transgressant nos comportements conditionnés(2). Concrètement, elle promeut une organisation originale où cohabitent “des cercles” liés les uns aux autres, façon systémique. En interne, on y élit des “premiers liens”, les facilitateurs, les secrétaires… par une élection sans candidat, les décisions sont prises par consentement, les tensions et les conflits sont traités dans des “espaces spécifiques sécurisés”… Dans le domaine électoral de proximité, un ensemble de listes citoyennes et participatives non adossées à des partis politiques s’est constitué pour les municipales 2020. Souhaitons qu’elle fasse de nombreux petits.
(1) https://bizimugi.eu/wp-content/uploads/2009/07/sortie.jpg
(2) http://universite-du-nous.org/a-propos-udn/sa-gouvernance/