Les résultats de l’extrême droite aux élections européennes et du premier tour des législatives ont fait office d’électrochoc. Un constat saute aux yeux : les mouvements progressistes peinent à convaincre au sein des milieux populaires quand l’extrême droite, elle, n’y fait que progresser. Ces moments de prise de conscience suscitent la peur, l’indignation, mais aussi la mobilisation. Comment influer sur le cours des choses ? Comment diffuser l’envie de construire une société qui repose sur l’entraide, la solidarité et l’inclusivité ? Et comment intégrer concrètement de nouvelles personnes dans cette construction ?
Depuis sa création en octobre 2020, le travail d’Alda, association de défense des personnes des quartiers et milieux populaires, est animé par ces questions.
Les collectifs de quartier, un exemple inspirant
En février 2022, Alda a lancé un travail proactif d’accompagnement au lancement de « collectifs de quartiers » : des groupements d’habitants issus d’un même quartier qui choisissent de s’organiser collectivement pour améliorer leur quotidien en menant bataille pour obtenir de meilleures infrastructures, des travaux de rénovation… Mais aussi en ramenant de la vie dans ces quartiers au travers de l’organisation d’événements, ou de la réouverture de locaux communs.
« Ces collectifs de quartier s’inscrivent à contre-courant des dynamiques à l’oeuvre dans la société qui poussent à l’individualisme et au repli sur soi, qui font le terreau de l’extrême droite. »
Ces collectifs s’inscrivent à contre-courant des dynamiques à l’oeuvre dans la société qui poussent à l’individualisme et au repli sur soi, qui font le terreau de l’extrême droite. Ils incarnent la volonté de rompre avec la logique des quartiers dortoirs et de retrouver des quartiers vivants où l’on connaît ses voisins, où la solidarité est présente, et où l’on vit ensemble. Le lancement des collectifs, imaginé dès les débuts d’Alda, a été retardé par les différents épisodes de confinement et couvre-feux. Deux ans et demi après le lancement du premier collectif de quartier, Alda Cam de Prats à Bayonne, quatre autres collectifs ont vu le jour dans les quartiers HLM de Habas, du Grand Basque, de Caradoc à Bayonne, et de Lespes à Anglet. Une dizaine de groupes d’habitants ont aussi été accompagnés par Alda comme les locataires de Hiri Artea à Bidart. Il était temps de dresser un premier bilan de ce travail.
La méthode
Pour commencer, le lancement des collectifs s’appuie sur différents mécanismes. Parmi ceux-ci : l’organisation d’un porte-à-porte intégral du quartier qui permet d’aller à la rencontre de l’ensemble des habitants, et d’identifier les problèmes rencontrés. Ceux qui sont partagés et suscitent le plus d’envie de changement pourront constituer les premières batailles du collectif. C’est le moment où l’on trouve les personnes motivées pour se regrouper et se mobiliser collectivement, où l’on crée un premier contact avec elles pour organiser les premières réunions de quartier. Ces réunions doivent être suivies d’une mise en action qui lance la dynamique, souvent sous forme d’un courrier collectif, remis par plusieurs habitants directement dans les locaux des interlocuteurs concernés.
Les collectifs regroupent des personnes d’horizons très différents, qui ont pour seul point commun leur lieu d’habitation et leur envie d’améliorer les choses. Le développement des collectifs est soutenu par les membres de la commission Auto-Organisation Collective d’Alda, ouverte à toutes les bonnes volontés. Ces bénévoles apportent aux habitants des quartiers un ensemble d’outils, de formations et de pratiques militantes (communication, négociation, organisation de mobilisations…), qui permettent d’accélérer le développement et la structuration des collectifs. Leurs activités et leurs modes d’actions se diversifient ainsi rapidement, bien que la structuration et le maintien des dynamiques dans le temps restent un défi.
Des sources d’inspiration
Cette méthode d’organisation à l’échelle du quartier est en partie inspirée des méthodes du « community organizing » pratiquées et théorisées aux Etats-Unis par Saul Alinsky dans les années 1930. Le travail porté par les collectifs vient aussi ranimer des pratiques d’organisation des habitants et de négociation directe avec les bailleurs, qui ont beaucoup perdu en vitesse sur notre territoire au cours des dernières années mais qui avaient connu de belles heures avec les amicales et les comités de défense des locataires.
Ces collectifs de quartier sont aussi nourris par la culture d’organisation fortement développée au Pays Basque, d’un point de vue militant et dans une perspective de lutte, mais aussi avec les comités des fêtes et fêtes de village qui créent une réelle culture d’organisation collective d’événements populaires.
La preuve par l’exemple
Les premiers collectifs se sont lancés, animés par l’idée que l’organisation collective pourrait changer les choses dans leur quartier. Ils ont réussi à créer la preuve que c’était bien le cas en obtenant des victoires comme : la remise en place d’une boîte postale à Habas ; l’installation de jeux pour enfants et la modification d’une intersection dangereuse à la sortie d’un quartier à Cam de Prats ; l’obtention de locaux pour se réunir dans la quasi-totalité des quartiers ; et jusqu’à la promesse de travaux et de plans de rénovations à Habas, Lespes et Bidart touchés par de graves problèmes d’humidité… Ces preuves par l’exemple inspirent, créent un effet d’entraînement en redonnant foi dans l’organisation collective et dans notre capacité à influer sur le cours de nos vies. Une nouvelle phase s’est lancée dans laquelle les premières victoires donnent envie à de nouvelles personnes de s’organiser, de s’emparer de la vie de leur quartier et de ne plus simplement rentrer chez elles, dépitées face à leur situation.
Pourquoi ça marche ?
Les collectifs apportent des solutions aux besoins et aux problèmes concrets des habitants. Ils se créent autour des sujets communs qui suscitent de l’indignation et une volonté de changement. L’ancrage direct dans le quartier permet une participation aux réunions plus facile, évitant les problèmes de transports. Cela favorise beaucoup la mobilisation, d’autant plus quand les réunions ne se font plus dans des appartements mais dans des locaux mis à disposition des collectifs dans leur quartier, ce qui permet en plus de rendre visible leur existence et leur activité.
Ils amènent aussi une énergie positive et constructive. Ils ne viennent pas uniquement répondre aux problèmes, mais créent un espace dans lequel on peut se projeter non seulement sur ce qui ne va pas, mais aussi sur ce qu’on aimerait, ce qu’on a envie de créer ensemble. Les collectifs sont un espace de rencontre entre habitants et de solidarité, dans les réunions, les fêtes et les événements organisés. C’est aussi un moyen pour reprendre du pouvoir, retrouver de la légitimité, notamment en tant qu’interlocuteur direct des bailleurs sociaux, des mairies…
Chaque collectif n’est pas isolé. A travers Alda, il est aussi au coeur d’une structure beaucoup plus large, en lien avec d’autres collectifs et bénévoles. Cela donne accès à des outils comme le journal d’Alda diffusé à 40 000 exemplaires, aux élus des locataires HLM, et aux bénévoles des batailles du quotidien qui en 2023 ont accompagné 749 personnes et familles en difficulté. Ces collectifs sont nourris par la force de l’appartenance à la première association élue de défense des locataires du territoire, et la fierté d’être membre d’une structure qui remporte des victoires à l’échelle de tout un territoire. Finalement, être membre d’un collectif de quartier Alda, c’est aussi être membre d’une communauté bien plus large qui participe à la construction d’un Pays Basque plus juste, plus solidaire et plus durable.
Poursuivre le travail dans les quartiers
Alda et ses collectifs ne sont qu’au début d’un long parcours, mais le premier bilan qu’on peut dresser de cette expérience est positif. Leur création montre que c’est possible. C’est possible d’aller à l’encontre des logiques individualistes qui nous poussent à nous renfermer sur nous-mêmes, dans le confort (plus ou moins existant) de nos intérieurs. C’est possible de faire entrer dans le militantisme de nouveaux publics et de mobiliser en dehors des cercles habituels des militants abertzale ou écologistes.
« Être membre d’un collectif de quartier Alda, c’est aussi être membre d’une communauté bien plus large qui participe à la construction d’un Pays Basque plus juste, plus solidaire et plus durable. »
C’est possible de se rassembler, de se rencontrer, et de construire des choses ensemble. Les membres des collectifs incarnent cela. Ils et elles s’attellent quotidiennement à ce travail difficile, parfois exaltant, souvent épuisant, et rarement gratifiant. Il est de notre responsabilité à chacun de ne pas baisser les bras, de soutenir celles et ceux qui essayent, de développer et de multiplier ce genre de démarches pour renverser la tendance et éviter ce qui est souvent annoncé comme inéluctable.