Minoritaire avec 27 voix sur 75 et face à une conjoncture économique délicate, le job
ne sera pas une sinécure. Le nouveau Lehendakari Iñigo Urkullu (1), sixième à ce poste, a été élu le 13 décembre, avec les seules voix de son parti. Ce Biscayen succède au socialiste Francisco Lopez, contraint au bout de trois ans, de jeter l’éponge, après la défection de la droite espagnoliste du PP qui le soutenait. C’est la première fois depuis bien longtemps que le parlement des trois provinces réunissait l’ensemble des forces politiques qui ont toutes pu être candidates aux élections. Les 21 députés de Bildu (coalition des indépendantistes de l’ex-Batasuna, d’EA, Aralar et Alternatiba) ont voté pour leur candidate, Laura Mintegi. Les trois partis espagnolistes se sont abstenus. Tout cela met fin à la douloureuse parenthèse PSOE-PP qui parvint au pouvoir grâce à l’interdiction de Batasuna. Le PNV qui a toujours gouverné la Communauté autonome, seul ou en alliances, reprend le gouvernail.
Seulement adoubé par le parti arrivé en tête aux élections régionales, Iñigo Urkullu sait qu’il est minoritaire, il arrive au pouvoir par défaut, les autres partis ne parvenant pas à se mettre d’accord sur un challenger. Les 1.460 jours de son mandat seront compliqués à gérer, plus difficiles que pour ses prédécesseurs, même si l’arrêt d’ETA et les premiers pas de la normalisation politique, constituent un grand poids en moins. Depuis le 21 octobre, Urkullu tente de nouer des alliances gouvernementales, de sonder ses partenaires pour ouvrir des possibilités de consensus, ménager des accords ponctuels sur les grandes échéances qui l’attendent: approbation du budget 2013, loi municipale, réforme fiscale, loi sur le logement, etc. Il a su manier euphémismes et circonlocutions avec le talent propre à cet homme de devoir, réputé pour son sérieux, sa modestie et sa discrétion. Il applique le vieil adage: «Quid nescit dissimulare, nescit regnare», celui qui ne sait pas dissimuler, ne sait pas régner. Mais la situation politique qui marquera les quatre années de son mandat est connue, comme le contexte économique, avec une chute des ressources fiscales de l’ordre de 1,4 milliard d’euros et un endettement qui est passé sous le gouvernement précédent en l’espace de trois ans, de 1,5% du PIB à 10,7 %.
Style Europe du Nord
Son intervention au Parlement de Gasteiz les 12 et 13 décembre éclaire la tonalité de son futur exercice du pouvoir: les premières années de la législature seront «dures et marquées par la pénurie», dit-il d’emblée. Iñigo Urkullu n’est pas là pour nous faire rêver et son style est plutôt celui d’un dirigeant d’Europe du Nord, épris de réalisme. Le choix de son allié est fait, il a longuement insisté pour inviter le PSOE à «s’impliquer» pour «l’accompagner» et ap-prouver le budget 2013 et il démontre ainsi le choix du partenaire le moins mauvais pour lui, tant il s’est appliqué à souligner les points communs qui rassemblent les deux partis. Les «lignes rouges» indiquées par le président sortant Francisco Lopez, en particulier en ma-tière de défense des services publics, correspondent aux positions fondamentales du PNV. Cette législature sera celle de «l’accord» dans un contexte politique pacifié, elle aura pour priorité numéro un de sortir Euskadi de la crise. Pour cela le PNV, par la voix d’Andoni Ortuzar qui risque fort de succéder à Iñigo Urkullu à la tête du parti, offre à Bildu pour le Gipuzkoa et au PP pour l’Alava tous deux minoritaires, le soutien de sa formation dans le vote des budgets provinciaux.
Un des projets majeurs du nouveau Lehendakari est le suivant, il souhaite réaliser l’accord institutionnel auquel son prédécesseur n’est pas parvenu, en vue de réactiver l’économie: une série de mesures approuvées par tous les pouvoirs publics et sociaux, les trois députations, l’association des municipalités Eudel, les syndicats de salariés et du patronat, les partis politiques et la société civile.
Pour autant, Iñigo Urkullu n’abandonne pas les projets de réformes institutionnelles de la Communauté autonome. Il ne s’agira pas de reprendre le plan Ibarrretxe de souveraineté association, mais d’engager, en négociant avec ses partenaires, la réforme de la loi sur les Territoires historiques, de la loi du Concierto économique, du statut d’autonomie et de la disposition additionnelle de la Constitution portant sur ces matières. Ce sera la «transition bas-que», en écho à la transition espagnole des années 80. Nous sommes donc bien dans la politique des petits pas d’une évolution pragmatique du statut de la Communauté autonome et non dans une mise en œuvre du «pouvoir de décision» via un référendum, comme le prône Bildu.
Par sept
Le nouveau gouvernement aura soin de tisser des rapports civilisés avec les autres partis, ménager la possibilité de dégager des consensus à géométrie variable. Il sait que l’arme majeure de ses adversaires est leur capacité de nuisance, bloquer ses projets de loi, réduire, voire annihiler sa capacité à gouverner. Sa marge de manœuvre est étroite, en ces temps de vaches maigres, et il ne s’attend pas non plus que les autres partis lui signent des chè-ques en blanc.
EH Bildu représenté par sa candidate Laura Mintegi préfère camper sur le statut d’opposant avec des positions fort critiques à l’égard du gouvernement PNV. Elle se pose en future alternative gouvernementale. Dans son intervention, elle a repris ses thèmes favoris de campagne électorale en faveur d’«Euskal Herria juste et libre», la souveraineté comme solution à la crise, un moratoire sur la construction du TGV et l’investissement des 500 millions ainsi économisés dans les politiques sociales, la réforme fiscale avec une impôt conséquent sur les grandes fortunes, le retour des preso, l’abandon des violences juridiques et institutionnelles, l’objectif d’un Pays Basque indépendant et socialiste, etc.
Joseba Egibar porte-parole du PNV au parlement, lui a brutalement répondu que le bilan principal de la gestion du Gipuzkoa par Bildu était d’avoir multiplié la dette de la province par sept.
Composition
d’un gouvernement resserré
Au lendemain de son élection, Iñigo Urkullu a rendu publique la composition de son gouvernement. Il se caractérise par une équipe restreinte de huit membres, le plus faible nom-bre de portefeuilles depuis 30 ans. Apparemment, par souci d’efficacité et d’économie. Deux de ses membres ne sont pas encartés au PNV. Aucun n’émane d’Euskadiko buru batzar, direction politique du PNV, dont le parti a voulu préservé les équilibres internes et le poids. Peu sont très connus, mais ils ont tous d’impressionnants pedigrees. Les critères de choix des ministres-conseillers portent évidemment sur leurs compétences techniques et leur connaissance des rouages institutionnels, mais surtout sur leur capacité à négocier, à être rompus au débat parlementaire, tant la législature sera celle de la recherche des appuis pour un gouvernement minoritaire au parlement.
Voici les titulaires des différents portefeuilles.
Josu Erkoreka (2), porte-parole du gouvernement et en charge de l’Administration publique et de la justice. 52 ans, ancien porte-parole du groupe PNV aux Cortes, il est le numéro 2 du gouvernement autonome basque et le bras droit du président.
Arantza Tapia, s’occupera du Développement économique et de la compétitivité, 50 ans, ingénieure industrielle, ex-députée PNV aux Cortes.
Juan Maria Aburto, Emploi et politiques so-ciales, 49 ans, haut fonctionnaire et ancien porte-parole de la députation de Biscaye.
Ricardo Gatzagaetxebarria, Budget et fi-nances, 52 ans, ex-sénateur et député aux Cortes et au parlement autonome.
Christina Uriarte, portefeuille de l’Education, de la politique linguistique et de la culture, ingénieur chimiste de 51 ans. Ce poste reprend le terme de politique linguistique dans sa définition pour en souligner l’importance et il englobera la direction d’EITB.
Estefania Beltran de Heredia en charge de l’Intérieur, ingénieur agricole de 52 ans, ancienne parlementaire. C’est la première fois qu’une femme accède à ce poste en Pays Basque. Elle aura pour mission de réorienter les activités de la police autonome du fait de l’adieu aux armes d’ETA.
Jon Darpon, ministre de la Santé, médecin de 50 ans.
Ana Isabel Oregi, Environnement et politique territoriale, architecte de 48 ans.
(1) Le parcours d’Iñigo Urkullu est lié aux surprises de la vie politique, toujours riche en rebondissements imprévisibles. Lorsque Xabier Arzallus quitta la direction du PNV, Joseba Egibar était son dauphin désigné. Il n’en fut rien et ce fut Josu Jon Imaz qui fut élu. Mais celui-ci quitta brutalement la tête d’un PNV au bord de la rupture, tant les tensions étaient fortes avec le président du gouvernement Juan José Ibarretxe. Iñigo Urkullu remplaça Imaz au pied levé. Après l’échec du plan Ibarretxe de souveraineté association, le PNV perdit le pouvoir à Gasteiz du fait de l’interdiction de Batasuna qui modifia les majorités et de l’alliance espagnoliste PSOE-PP. Cette alternance fut terrible pour le PNV habitué à gérer un Etat-PNV comme on a pu parler d’un Etat-RPR… Durant cette cure d’opposition toujours rude pour les partis de gouvernement, Iñigo Urkullu démontra ses capacités de rassembleur et ses qualités de leader incontestable.
(2) Homme public le plus connu de ce gouvernement, Josu Erkoreka conquit ses lettres de noblesse en octobre 2010. En échange de l’approbation du budget du gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero, grâce aux voix des six députés PNV, il obtint pour la Communauté autonome basque, le transfert d’un nombre important de compétences qui étaient bloquées dans les tiroirs espagnols depuis trente ans.