La religion en Euskal Herria

Quelle dynamique paradoxale! Les XVII-XVIIIe siècles furent ceux des églises aux somptueux retables ba-riolés; toile de fond d’un beau théâtre sacré et triomphant. Mais c’est aussi, et au dehors, le monde tout aussi sacré des stèles discoïdales évoquant ou racontant autre chose que des dogmes, sans parler de formes primitives de substrat religieux que l’auteur énumère… et ce monde nous touche tout autant. Epoques paradoxales, où le haut clergé vivait confortablement, complice ou serviteur des monarchies qui avaient donné leur accord à la nomination de ses membres. Mais les prêtres, de basse condition et d’un niveau de formation incertain, vivaient pauvrement et devaient partager bien des images populaires que le dogme ne pouvait éradiquer. Bon nombre d’entre eux cependant s’engageront dans le nouvel élan humaniste qui accompagnera la naissance des universités basques. Ils initieront une longue suite de créateurs au service de notre pays et de sa langue. Le Pays Basque dans son ensemble, a une dette immense envers eux. L’auteur cite certains d’entre eux en montrant les voies qu’ils explorent.
L’auteur balaye ensuite tous ces siècles où s’illustra un véritable mépris, pour ne pas dire une oppression, de l’institution romaine vis-à-vis des chrétiens de base. Ainsi, le diocèse de Vitoria (politiquement?) créé à la fin XIXe siècle, avait à sa tête des dirigeants qui, relayant les évêques (à l’exception notable de Mgr Mateo Mugica, que le franquisme persécutera), s’emploieront à développer une politique résolument xénophobe: tout ce qui était basque devait être éliminé. Ici comme à Bayonne s’imposait un très convenable «national catholicisme», bien en main…
Le temps passant, il devenait de plus en plus clair qu’en dehors de nous, une «église bas-que» n’était souhaitée par personne! Rome et nos «cathédrales-relais» évoluant en véritables corps étrangers. «Herria 2000 Eliza» a bien du pain sur la planche!

Une religion qui célèbre et qui protège
L’auteur pointe deux versants, totalement opposés par nature, mais très étroitement associés dans notre vie religieuse en so-ciété:
1) Il y a d’abord les lieux de culte avoués, comme l’ermitage (kapera), ou «cachés», comme la source, l’arbre et autres lieux de dévotions «naturalistes»… Ils modèlent craintes et espoirs, ils focalisent d’ancien-nes croyances. Puis il y a, mêlés aux
pratiques «officielles», des fêtes et des calendriers mobilisant des groupes portés par un idéal chrétien, ou «christianisé»…
2) Le monde «officiel» se déploie intégré dans cette vieille matrice. Il s’organise autour de: l’église paroissiale, qui structure une vie de relation quotidienne fondée sur le sacré; la cathédrale qui traduit un pouvoir urbain et romain; des monastères qui sont des foyers de spiritualité, qui centrent des cultes, créent de la richesse… Tous ces lieux seront susceptibles d’être mobilisés en faveur du conservatisme et de la politique de repli que Rome mettra en œuvre face aux bouleversements moder-nes.
A la fin du XIXe siècle, notre monde rural traditionnel est fissuré: ses fors sont supprimés; les défaites carlistes ont ruiné ses restes de souveraineté; le pays voit l’arrivée massive d’étrangers (travailleurs, touristes…); bien des jeunes quittent la terre… Les vieux possédants décident de moins en moins de l’avenir; la ressource et le pouvoir sont ailleurs. Quant à l’Eglise, elle voit son hégémonie bafouée, sa mainmise sur les mœurs (les consciences) lui échapper. Autrement dit, la morale et l’ordre social courent à leur perte…
Cette Eglise agressée donnera aux Bas-ques en perdition un référent identitaire où leur personnalité, ancrée dans l’euskara, sera forgée dans la foi catholique-apostolique et romaine. C’est le fameux «eskualdun fededun» qui sera en quelque sorte «conceptualisé» et mis en œuvre dans un nationalisme naissant, où le clergé prit sa part. En effet, dans la ligne des encycliques sociales (Léon XIII), en cette fin du XIXe siècle, beaucoup de nos prêtres s’engageront résolument dans la modernité. Ils le paieront chèrement et 14 d’entre eux se-ront fusillés par les franquistes, sans que le Vatican s’en émeuve. Sans qu’il continue de s’en émouvoir, lui qui sanctifie le fondateur de l’Opus Dei…
Par ailleurs, poussant jusqu’à la caricature, le carlisme bénira la vie domestique rurale, sacralisera l’etxe et nous proposera une sorte «d’état théologique».

En guise de conclusion…
… et dans le prolongement de cette lecture, je dirai ceci: laïcisation, attitudes religieuses diverses, désintéressement et lassitude, nostalgies et exotismes… le champ du religieux contemporain à des allures de parc d’attraction. Pourtant, une religion conséquente, même doctrinaire, ne saurait ignorer ni le quotidien du désarroi, ni la vigueur des attentes et des dévotions que les «traditions» ne cessent de mettre en forme. C’est ainsi que je comprends fort bien le projet de Placer Ugarte en faveur d’une authentique «euskal teologia», qui, en lien avec l’évangile, porterait le sceau de notre aventure quotidienne tout en réactivant une vieille imprégnation mythique, pétrie dans l’euskara.
Nous n’avons plus peur. Plus aucun pharisien ne nous inquiètera, avec Teilhard
de Chardin: «Ouvrons largement nous-mêmes, notre esprit et notre cœur aux vues et aux aspirations nouvelles —pour en prendre possession, et puis, pour les christianiser».

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