Quel retournement de situation! Il y a quel-ques semaines à peine, aucun pays ne pouvait comme la Tunisie «s’enorgueillir d’avoir autant avancé en un demi-siècle sur la voie du progrès, sur la voie de la tolérance et sur la voie de la raison» (N. Sarkozy). Surtout pas le Soudan dont le président Omar el-Béchir était visé par des mandats d’arrêt internationaux émis par la Cour pénale internationale qui l’accuse de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide au Darfour. Mais c’est aujourd’hui Ben Ali qui est recherché par Interpol et Omar el-Béchir qui est courtisé par les principaux dirigeants occidentaux et dont les ré-centes prises de positions sont «appréciées» par le Conseil de sécurité de l’ONU!
Le partage des revenus pétroliers
Ce renversement radical s’explique par la concomitance de deux événements majeurs susceptibles de modifier profondément la carte géopolitique africaine. Le premier est le formidable mouvement de protestation populaire né en Tunisie et qui fait trembler la majorité des régimes fantoches du monde arabe; le second est le référendum d’indépendance qui s’est tenu en janvier au Sud-Soudan. Laissons par superstition le temps aux soulèvements des populations arabes le temps de s’étendre encore davantage, et attardons-nous pour l’instant sur le référendum soudanais.
Le conflit entre le Sud-Soudan (essentiellement chrétien et animiste) et le Nord du pays (à grosse majorité musulmane) est aussi vieux que l’indépendance du pays, en 1956. La dernière guerre, commencée en 1983, s’est terminée en 2005 par la signature des accords de Naivasha. En vertu de ces accords, le Sud-Soudan jouit d’une autonomie sur laquelle il peut aujourd’hui s’appuyer pour préparer son indépendance: un pouvoir législatif et exécutif, un système judiciaire, et surtout, une armée de 100.000 hommes qui a mené la guerre de 1983-2005.
Un des points clés des accords de paix était un partage des revenus pétroliers. Un sujet épineux puisque 75% des réserves du pays sont au Sud alors que la majorité des raffineries se trouve au Nord; un enjeu majeur également car la manne pétrolière représente 40% des revenus du Nord et 97% de ceux du Sud! Enfin et surtout, les accords de Naivasha prévoyaient qu’en cas d’incapacité à trouver un consensus fédéral, le Sud pourrait faire sécession s’il en décidait ainsi par référendum.
Chose étonnante, Omar el-Béchir a tenu parole en autorisant la tenue de ce référendum et en ne perturbant pas son organisation. Il s’est même rendu au Sud-Soudan pour déclarer: «Notre choix préféré est l’unité, mais nous respecterons au final le choix des citoyens du Sud. On serait triste que le Soudan se sépare, mais également heureux de voir la paix». Bien que les résultats officiels ne soient pas encore connus officiellement, tout le monde s’accorde à reconnaître une écrasante victoire du vote sécessionniste. Une victoire qui n’est pour l’instant pas contestée au Nord.
L’annonce d’une nouvelle ère en Afrique
Comment expliquer le revirement d’el-Béchir? Criminel de guerre et partisan affiché de la charia, le Président du Soudan jouait pourtant jusque-là le rôle du méchant idéal. De toute évidence, les pressions américaines ne sont pas étrangères à sa nouvelle conduite. Très impliquée dans le dossier, l’administration Obama a fait de nombreuses promesses à el-Béchir en échange de sa bonne conduite: retrait du Soudan de la liste des Etats soutenant le terrorisme, ouverture de relations diplomatiques, négociations sur la dette, fin des sanctions économiques, etc. Pour le moment, cela semble marcher mais tant aux Etats-Unis qu’au Soudan, cela ne va pas sans difficulté en termes de politique intérieure. Aux Etats-Unis, le congrès doit approuver les promesses d’Obama, ce qui n’est pas gagné au vu du lourd passif d’el-Béchir. Gageons cependant que la perspective de compter dans la région un Etat allié des Etats-Unis et d’Israël (soutien de longue date des rebelles sud-soudanais) aura raison de ces réticences.
Au Soudan, la situation est plus complexe. Omar el-Béchir se fait en effet accuser par l’aile dure de son mouvement de briser le pays. Cela explique peut-être, sans les excuser, certaines déclarations inquiétantes dans lesquelles il promet que la sécession du Sud s’accompagnera d’une modification de la constitution mettant un terme au caractère multi-culturel, multi-religieux et multi-ethnique du pays. De plus, comme le souligne The Economist, «même si el-Béchir se conduit décemment, les habitants du Sud sont capables de tout gâcher par eux-mêmes». Corruption, rivalités et une très grande pauvreté (90% des habitants du Sud vivent sous le seuil de pauvreté) sont en effet autant d’obstacles que le nouveau pays devra affronter. Les six mois qui viennent, durant lesquels les modalités de la sécession seront négociées, seront donc cruciaux pour l’avenir du pays. Les Cassandre prévoient déjà que la sécession se soldera par une dictature théocratique au Nord et un Etat en faillite au Sud. Les sceptiques évoquent plutôt un divorce raté semblable à celui de l’Ethiopie et de l’Erythrée voisines en 1993. Mais si les choses se passent bien, le Sud-Soudan pourrait trouver en l’Ouganda et le Rwanda des partenaires pour constituer un nouveau pôle centre-africain. Le vent qui souffle de Tunis à Juba semble annoncer une nouvelle ère en Afrique…