Lorsque l’on cause du mouvement anarchiste russe, on a immédiatement à l’esprit l’image de ces premiers fanatiques poseurs de bombe, ces «illuminés» dostoïevskiens qui rêvaient de faire sauter les tsars et qui quelques fois y sont parvenus sans réussir pour autant à amener les masses vers la révolution. Michel Bakounine, qui a affronté Karl Marx au sein de la 1ère Internationale, et le prince naturaliste, scientifique et explorateur Pierre Kropotkine ont été deux des leaders emblématiques et influents de ce mouvement. Au-delà de leur athéisme virulent, de leur activisme militant passionné, ces deux penseurs ont grandement participé à la théorisation d’un mouvement politique qui en avait besoin. Les anarchistes russes répondaient à une idée de base: celle que l’homme détient, par sa nature même, une aspiration à la liberté qu’aucun but, même le plus grand ou le plus séduisant, ne saurait mériter que l’on y porte atteinte. La devise de Pierre Kropotkine était même: «Ma liberté est dans la joie et dans la liberté des autres!». Malgré une histoire riche ce mouvement n’a jamais réussi à convertir la population russe à ces idéaux et a fini par radicalement s’éteindre lorsque Lénine a réussi à mener la révolution populaire russe et a accédé au pouvoir. Aujourd’hui, un nouveau mouvement anarchiste appelé Voïna (guerre en russe) a vu le jour en Russie et commence à faire parler de lui grâce à l’originalité de son mode d’action.
Voïna, un mouvement original
Voïna est un collectif anarchiste russe qui depuis presque deux ans lutte contre la toute puissance de l’Etat, contre la consommation et contre la société capitaliste. Derrière des idées très radicales, on y trouve des actions con-crètes, souvent décalées. A leur actif, ils ont simulé des pendaisons d’immigrés, d’un Juif et d’un homosexuel dans un supermarché, ils ont lancé des chats affamés dans un McDonald’s,… Ils sont parfois trash et «jusq’au boutiste»: par exemple lorsqu’ils ont organisé une partouze dans la salle nutrition et digestion du Musée national de biologie, deux jours avant l’élection de Medvedev. Pour mieux compren-dre le mouvement Voïna, il faut s’imaginer des activistes certes engagés politiquement mais qui se revendiquent également comme des artistes à part entière. Ils s’inspirent largement de la philosophie «agit prop» pour concevoir et réaliser leurs actions. Dans un pays comme la Russie, la mobilisation politique est faible et surtout très réprimée. Le mouvement ne déroge pas à cette règle. De part ses méthodes chocs, les militant(e)s de Voïna risquent des années de prison ferme. Certain(e)s attendent encore et toujours leurs procès notamment pour avoir retourné une voiture de police, avec des fonctionnaires officiellement endormis à l’intérieur et, selon eux, plutôt soûls.
Une action très spectaculaire
Leur action la plus célèbre est celle du pénis géant qu’ils ont dessiné face au bâtiment des services secrets russes à Saint-Pétersbourg. L’endroit choisi était stratégique: un pont-levis qui se dresse au petit matin. Le parallèle était tentant pour ces militant(e)s si décalés. Effectivement une fois le pont levé, le pénis s’est dressé plus haut que le bâtiment des services secrets. Cette action a entraîné comme beaucoup de leurs actions des arrestations. Mais comble de l’ironie, Voïna a reçu le prix très prisé de l’innovation artistique placé sous le patronage du ministère de la culture de la Fédération de Russie pour cette action très spectaculaire. Un des militant(e)s arrêtés lors cette action réagissait au prix qu’ils ont reçu en disant: «Nous voulions juste faire de l’art de rue. On s’en fiche pas mal de cette récompense, même si nous sommes reconnaissants au jury d’estimer notre travail. Pas question de garder l’argent (10.000 euros). Il servira à aider les prisonniers politiques et financer des orphelinats en Russie». Cette action a connu un grand retentissement et s’est fait connaître dans le monde entier grâce à sa diffusion sur internet.
La stratégie de Voïna est de multiplier les actions radicales pour désacraliser un pouvoir lui-même radical. Le mouvement anarchiste souhaite montrer qu’il est possible d’agir et qu’il ne faut pas avoir peur du pouvoir en place. Malgré cette bonne volonté affichée, le côté décalé et trash ne leur amène pas uniquement des soutiens. L’opinion russe les considère soit comme des héros soit comme des bandits ou comme des mauvais provocateurs. En attendant de convertir l’ensemble de la population à ses idées, le collectif Voïna ne baisse pas les bras et souhaite continuer à choquer au maximum la population pour mieux la conscientiser, l’éduquer à l’opposition politique et ce même s’il doivent passer de longues années en prison.