Le 5 mai prochain, les Irlandais du Nord éliront leurs représentants pour l’Assemblée de Stormont et pour 26 conseils locaux. L’actuel Premier ministre, l’Unioniste Peter Robinson, se réjouissait le mois dernier du fait que «l’Irlande du Nord aborde ses premières élections où les principaux enjeux sont ceux de tous les jours». Venant du successeur de Ian Paisley, ces paroles ont du poids. Mais l’actualité récente pourrait bien le faire mentir.
En effet, les trois organisations paramilitaires républicaines encore en activité —la Real IRA, la Continuity IRA, et Óglaigh na hÉireann— entendent visiblement profiter de cette campagne électorale pour se rappeler à l’attention de tous. Le 27 mars, une bombe de 50 kg était découverte près d’un tribunal de Derry; le même jour, trois hommes se faisaient tirer dessus à Dublin au cours d’une fusillade attribuée à des dissidents de l’IRA; le 2 avril, un membre de la police nord-irlandaise (PSNI) était tué par l’explosion d’une bombe placée sous sa voiture; le 7 avril, une énorme bombe de 250 kg était découverte près de Newry; le 19 avril une autre bombe visant des policiers était neutralisée à Belfast…
Soutien du Sinn Fein à la PSNI
De toutes ces actions, c’est bien sûr le meurtre du jeune policier Ronan Kerr qui a eu le plus d’impact. Par son issue tragique bien sûr, mais aussi par le choix de la victime. A travers lui, c’est évidemment l’une des mesures emblématiques du processus de paix qui était visée: la décommunautarisation de la PSNI. Le leader républicain Martin McGuiness, ac-tuel vice-Premier ministre, n’a donc pas hésité à affirmer que «Ronan Kerr a voté pour le Sinn Fein et rejoint la police parce qu’il souhaitait participer au changement et soutenir le processus de paix».
Lorsque la PSNI a remplacé la tristement célèbre RUC (Royal Ulster Constabulary), seuls 8,3% des effectifs de cette dernière provenaient de la communauté catholique. Ils sont aujourd’hui 29,76%. Cette augmentation s’accompagne d’une relative amélioration des pratiques policières, mais il reste encore beaucoup à faire et le soutien du Sinn Fein à la PSNI demeure pointé du doigt par les dissidents républicains. On comprend donc pourquoi le Sinn Fein a confié ce dossier à l’un de ses poids lourds, l’ancien maire de Belfast Alex Maskey. Ce dernier a bien saisi les enjeux de la réforme policière: «Si l’on veut continuer à bâtir la confiance dans l’institution policière et que le bon travail des dernières années doit être consolidé, alors il est crucial que la PSNI démontre sa volonté de se conformer aux plus haut standards en matière de protection des droits de l’homme».
On comprend aussi pourquoi le Sinn Fein a réagi aussi fermement à l’assassinat de Ronan Kerr. Martin McGuinness n’a par exemple pas hésité à enjoindre les Républicains à collaborer avec la police: «Je dirais, et tant pis si ça doit me causer du tort, si vous avez des informations, donnez-les à la police». A titre de comparaison, le Sinn Fein s’était gardé de donner de telles consignes en 1998, après l’attentat de l’IRA véritable qui tua 29 personnes à Omagh. Vu la grande commotion qu’a causée la mort de Ronan Kerr au sein même de la communauté républicaine, le Sinn Fein ne devrait cependant pas trop souffrir de cette prise de position.
Espace politique à exploiter
A l’approche des élections, on sent pourtant une certaine fébrilité du Sinn Fein qui semble redouter la capacité de nuisance des différents groupes dissidents. A vrai dire, leur influence est assez difficile à évaluer; un récent sondage de l’Université de Liverpool chiffre à 14% la proportion de la communauté nationaliste ayant de «la sympathie pour les raisons» qui motivent les organisations armées dissidentes. Selon ce même sondage, 53% de la communauté unioniste voit dans ces organisations dissidentes une menace «majeure» contre seulement 17% au sein de la communauté nationaliste.
Mais davantage que les paramilitaires, ce sont peut-être les organisations politiques dissidentes qui inquiètent le plus le Sinn Fein. Si le Republican Sinn Fein (souvent présenté comme l’aile politique de la Continuity IRA) se borne à traiter le parti de Gerry Adams de «substitut» du gouvernement britannique, d’autres ont un discours plus élaboré et plus efficace. Les inscriptions sur les listes électorales ont par exemple connu un boom à la suite d’une campagne de l’organisation républicaine et socialiste Eirigi enjoignant «ceux qui n’étaient plus sur le registre électoral ces dernières années à cause de la disparition de toute option radicale» à participer aux élections locales.
De fait, il y a au sein de la gauche républicaine un gros espace politique à exploiter. Puisque le Sinn Fein ne peut quitter l’actuel gouvernement sans faire s’écrouler tout l’édifice du processus de paix, il se retrouve contraint au compromis sur les thèmes économiques et sociaux. Certains louent son sens des responsabilités quand d’autres y voient un reniement. En cette période de crise économique, ces derniers auraient la part belle dans une élection «où les principaux enjeux seraient ceux de tous les jours». Les réactions extrêmement fermes du Sinn Fein contre les organisations armées dissidentes réorientent le débat vers les enjeux du processus de paix. Elles doivent donc aussi être évaluées depuis cette perspective.
David Lannes