Début 2011, quelques compagnons de route abertzale, volontairement taquins à leurs heures, devisent sur leur thème favori: l’avenir du mouvement abertzale. Quel-ques semaines après l’annonce choc d’ETA, la violence politique abertzale semble avoir vécu et ces vieux mammouths de la politique basque se persuadent que le moment est venu de lancer une initiative…
Eux, ils (re)viennent de loin. Frustrés sans doute de ne pas avoir vécu les événements de mai 1968 en direct live, et comme toute cette génération militante du baby boom, ils s’imbibent, dès leur adolescence, du slogan “Elections pièges à cons”. Le mouvement “Herri taldeak” de fin 70-début 80, composé presque exclusivement des générations nées dans les années fin 50-début 60, veut faire la nique aux vieux de 40 ans et plus, qui, avec EHAS notamment, se compromettent en 1981 avec l’ennemi (le PS). Jusqu’au milieu des années 80, donc, point de participation électorale. Et à partir de là, par on ne sait quel revirement, le “combat institutionnel” s’insère dans la “complémentarité des luttes”. Et là, kasu, on allait tout casser. Electoralement s’entend. Emballés (déjà) par le slogan “Ainitz gira bil gaiten” et engagés sous l’étiquette “EMA” —un précédent rassemblement des micro partis abertzale de gauche— nous obtenions royalement 3,77% aux élections législatives de 1986. Un poil de plus que EHAS en 1978 (3,59 %) et de moins qu’Enbata en 1967 (4,63 %). «La pente est rude» comme dirait Jean-Pierre et la route sera donc longue…
Après avoir fédéré les élus abertzale et à nouveau les trois partis abertzale de gauche, la démarche “Bil gaiten” veut, dès ce mois de juillet 2011, «parvenir à un renforcement de notre Projet abertzale, fondé sur des valeurs de gauche et écologistes, qui devrait, entre autres, contribuer à une représentation beaucoup plus importante dans la vie institutionnelle d’Iparralde». Or, cet appel n’est pas un simple rassemblement politique familial. Le texte fondateur de Bil gaiten indique que des «abertzale se sont maintes fois retrouvés au coude à coude avec des militants et des élus venant d’autres sensibilités politiques… Un nouvel élan (…) au-delà du cercle abertzale s’inscrit dans cette ouverture (…) notamment lors des consultations électorales». Dès lors, les élections municipales, celles qui siéent le mieux aux abertzale parce que de proximité, sont lancées. La démarche Bil gaiten constitue une boîte à outils d’importance et un lieu de formation ad hoc pour celles et ceux qui prétendent à la représentation du mouvement abertzale. Elle permet aussi, tout en fédérant, de laisser s’exprimer les spécificités des territoires, la diversité des situations en respectant les expressions locales. Et cela n’est pas une mince affaire. Mais l’espoir est là: de Saint-Jean-de-Luz à Arbonne, d’Ustaritz à Ba-yonne, les abertzale sortent des sentiers battus. Ils imaginent une route plus large, des espaces ouverts par un compagnonnage innovant, et une plus grande pluralité politique et humaine.
Enfin, la démarche Bil gaiten ose décomplexer celles et ceux qui se sentent en capacité de porter une parole sans porter le poids de la suspicion d’un ego démesuré. Elle redore le blason de la fonction d’élu en l’inscrivant dans une démarche, une organisation et un suivi collectifs. Elle nous invite à prendre nos responsabilités, à penser que nous devons mettre les mains dans le cambouis. Pour devenir un peu plus crédibles en portant haut et fort nos convictions, tout en démontrant à tout instant notre capacité du vivre ensemble dans une société d’Iparralde de plus en plus diverse.