LE chef du gouvernement autonome
basque, le socialiste Francisco Lopez, a
annoncé le 21 août qu’il avançait les prochaines
élections autonomiques prévues pour
le printemps prochain. Elles auront donc lieu le
21 octobre. La nouvelle a créé la surprise.
Sans trop y croire, la plupart des formations
politiques basques réclamaient depuis longtemps
une telle mesure, tant le gouvernement
PSOE manquait de soutien, voire de légitimité.
Tout s’est joué il y a trois mois, en mai dernier.
Le PSOE en tant que tel, est minoritaire au
parlement, avec seulement un tiers des députés,
il gouvernait la Communauté autonome
depuis 2009 avec l’appui du PP. Tous deux
avaient signé un pacte de gouvernement «Accord
pour un changement démocratique»,
sans que la droite espagnole ne dispose de
ministres à Gasteiz. La position de Francisco
Lopez demeurait donc très fragile, à la merci
d’un PP qui le tenait comme la corde tient le
pendu.
Guéguerre et blocage
Le 7 mai, Antonio Basagoiti, leader du PP en
Pays Basque, annonçait la rupture de cet accord,
après une période de vives tensions
entre socialistes et «populaires», au sujet des
mesures économiques draconiennes à mettre
en oeuvre face à la situation catastrophique
que connaît l’Espagne. Francisco Lopez était
allé jusqu’à menacer le premier ministre espagnol
Mariano Rajoy de présenter un recours
devant le Tribunal constitutionnel pour s’opposer
à ses décisions économiques qui avaient
des conséquences sur les budgets de la Communauté
autonome, en matière d’éducation et
de santé. Par ailleurs, le système fiscal basque
est tel que le gouvernement de Gasteiz ne
peut vraiment mettre en oeuvre un budget que
s’il bénéficie de l’appui des députations. Or le
PSOE n’en contrôle aucune, celle de Bizkaia
—qui apporte la plus grande part de la fiscalité—
est entre les mains du PNV, celle d’Alava
est dirigée par le PP, celle de Gipuzkoa par les
indépendantistes de Bildu. Ce fut pendant trois
ans la guéguerre et le blocage, Francisco Lopez
ne parvenant pas à mettre en oeuvre la réforme
fiscale qu’il souhaitait et la politique
sociale où les grands choix qui en découlent.
Une anecdote en dit long sur le climat entre les
deux partis. Le 28 avril, Antonio Basagoiti, président
du PP en Pays Basque, est allé jusqu’à
déclarer que le Lehendakari Lopez «avait
moins de diplômes que Homer Simpson», un
petit pantin de dessin animé assez ridicule.
Lorsqu’on en arrive à ce genre d’amabilité
entre partenaires, les pactes politiques sentent
le faisandé.
Certes le gouvernement autonome socialiste
aurait pu continuer à gouverner jusqu’en 2013,
sans voter de budget en décembre, mais le
risque aurait été majeur de se présenter devant
les électeurs en avril, dans une situation
de faiblesse politique plus grande encore,
avec un bilan économique bien pire. Le taux
de chômage est sans précédent, les recettes
fiscales baissent, la réforme des impôts est
bloquée, aucun des projets promis en 2009
n’est en voie de réalisation: absence de loi municipale,
alors que toutes les autres communautés
autonomes de la péninsule ont réalisé
cette réforme; la loi sur le logement est toujours
dans les tiroirs et celle prévue pour réorganiser
la police autonome basque est
repoussée aux calendes grecques.
Obsessions identitaires
Celui qui avait annoncé que le Pays Basque
cesserait de s’occuper des «obsessions identitaires
», pour se consacrer aux «problèmes
réels», afin que sa législature soit celle du
«bien-être», a fait le contraire. Francisco Lopez
n’a eu de cesse que de s’attaquer aux
symboles, avec la modification de la carte météo
à la télévision basque (1), un immense drapeau
espagnol hissé dès le lendemain de son
élection sur le point culminant de la Biscaye,
l’envoi d’une délégation basque au défilé militaire
espagnol du 12 octobre, la retransmission
des voeux du roi d’Espagne sur les écrans
d’ETB, l’instauration du Jour d’Euskadi pour
contrer l’Aberri eguna, la mise en oeuvre de
lois pour limiter l’usage de l’euskara dans les
entreprises privés et publiques, et que le critère
d’une connaissance relative de l’euskara
soit beaucoup moins pris en compte dans les
conditions de recrutement des fonctionnaires
(2). Et pour faire bonne mesure, l’indifférence
affichée lorsque l’armée espagnole effectua
des manoeuvres autour de Gernika lors du
dernier anniversaire du bombardement; le
changement des uniformes de la Ertzaintza,
avec la disparition du béret au profit de la casquette
et l’éviction du logo traditionnel de la police
autonome dont la graphie sentait trop le
PNV des années 30. On n’en finirait plus
d’égrener les décisions ou les faits destinés àsignifier la main-mise espagnole en Euskal
Herria.
Lorsque le PNV obtint le transfert des compétences
sur les politiques en matière d’emploi,
après une négociation au couteau avec le gouvernement
espagnol (en échange de l’approbation
du budget 2010 de l’Etat par ses
députés), Francisco Lopez eut le culot de déclarer
que cela portait largement préjudice aux
intérêts d’Euskadi. Evidemment, il n’était pour
rien dans l’obtention de ce transfert attendu
depuis… 1979, date du vote du statut d’autonomie.
Lopez se targue d’une grande réussite: le
PSOE a obtenu sous son mandat le cessez-lefeu
définitif d’ETA, le 20 octobre 2011. Il a fixé
le jour des élections le 21 octobre, précisément
pour en tirer quelque bénéfice politique.
En réalité, cette annonce d’ETA le surprit, alors
qu’il se trouvait en voyage aux USA et, dans
son propre camp, le président des socialistes
basques, Jesus Egiguren, lui reprocha publiquement
de ne s’être guère impliqué en faveur
de la paix.
Loi scélérate et parjure
Lopez est le premier Lehendakari espagnol à
gouverner les trois provinces autonomes. Les
socialistes sont parvenus au pouvoir dans la
Communauté grâce à une loi scélérate et à un
parjure. La loi scélérate est celle d’Aznar qui,
avec le soutien du PSOE, permit d’anéantir
toute représentation élue des indépendantistes
et donc d’écarter 15% des électeurs dans la
Communauté autonome, soit environ une dizaine
de députés. Le parjure est celui de son
alliance avec le PP. Francisco Lopez répétait
encore à la veille de son élection en 2009: «Je
l’ai dit mille et une fois, nous n’allons pas rechercher
un accord avec le PP qui ne sait faire
en Euskadi que de l’antinationalisme et de
l’antisocialisme».
Dépourvu de relai à Madrid avec la défaite de
Zapatero, subissant la crise et la récession
comme tout un chacun, isolé en Pays Basque,
incapable de mettre en oeuvre les réformes
annoncées, parvenu au pouvoir grâce à l’appui
de néo-franquistes, la légitimité du socialiste
Francisco Lopez s’est réduite au fil des mois.
En avril dernier, nous le vîmes au cimetière de
Gernika, à l’occasion de la cérémonie-anniversaire
du bombardement. Un rescapé fit sonner
la cloche, la seule cloche d’église qui demeura
entière après le passage des avions. Lopez
traversa l’assemblée silencieuse, porteur d’une
gerbe. Alors, une voix s’éleva: «Kanpora!»
L’oeil était dans la tombe et regardait Caïn.
(1) La carte du Zazpiak-bat comprenant la Navarre
et Iparralde lui étaient insupportables. Il a préféré
noyer les trois provinces de la Communauté autonome
dans un ensemble improbable, associant des
provinces espagnoles. Toujours les frontières chères
à Régis Debray…
(2) Du fait de ces décisions, le ministère en charge
de la politique linguistique fut secoué par plusieurs
graves crises internes, accompagnées de démissions
fracassantes.