Berceau de tant de mouvements révolutionnaires, la Palestine va-t-elle rester en marge du printemps arabe? Bien sûr, il serait inexact de prétendre que rien ne bouge en Palestine. La réconciliation spectaculaire du Hamas et du Fatah pourrait, si elle se confirme, ouvrir bien des perspectives. Il en va de même pour la demande de reconnaissance d’un Etat de Palestine que Mahmoud Abbas compte présenter à l’ONU en septembre. Mais de là à parler de révolution…
On ne devrait pourtant pas bouder sa joie devant l’accord de réconciliation signé le 4 mai au Caire par le Hamas et le Fatah. Les deux partis s’opposent en effet violemment depuis la victoire du Hamas aux élections législatives de 2006 et sa prise du pouvoir à Gaza en 2007. L’accord du Caire prévoit la formation d’un gouvernement de technocrates indépendants à la tête de l’Autorité Palestinienne. Un gouvernement qui aurait autorité sur Gaza et la Cisjordanie et non uniquement sur cette dernière comme c’est le cas depuis 2007. Mousa Abu Marzouk, l’un des leaders du Hamas, résume bien le soulagement général: «Notre rupture a donné une chance à l’occupation israélienne. Maintenant, nous tournons une nouvelle page».
Virage diplomatique
Un motif de satisfaction plus indirect est que cet accord a été signé sous l’égide de l’Egypte post-Moubarak. Soucieux de contenir l’influence des frères musulmans, Moubarak avait tout intérêt à maintenir le Hamas (issu de cette mouvance) dans son statut de paria; tout en maintenant d’excellentes relations avec le Fatah, il participait donc activement au blocus de Gaza. Même si le Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA) actuellement au pouvoir au Caire a précisé que la nouvelle Egypte respecterait «toutes les obligations et tous les traités régionaux et internationaux», le virage diplomatique est évident. Afin de ne pas se couper d’une opinion publique très massivement pro palestinienne (54% des Egyptiens souhaitent la rupture du traité de paix avec Israël), le CSFA doit renouer avec le Hamas tout en continuant de traiter avec le Fatah. Le rapprochement de ces deux partis vient donc à point nommé.
Quelques jours après la signature de l’accord du Caire, Mahmoud Abbas publiait une tribune remarquée dans le New York Times: «en septembre, à l’assemblée générale des Nations Unies, nous demanderons la reconnaissance internationale de l’Etat de Palestine dans ses frontières de 1967, ainsi que son admission comme membre à part entière de l’ONU». L’admission à l’ONU est fort peu probable car exposée à un veto américain, mais la reconnaissance par un très grand nombre de pays est tout à fait envisageable. Et le ralliement de certains Etats européens représenterait un vrai succès. Bien sûr, cela ne changerait rien sur le terrain, mais il y aurait certainement un bénéfice diplomatique à pouvoir défendre sa cause en tant qu’Etat.
Comme pour l’accord du Caire, un autre point positif est que cette initiative se fait contre la volonté des Etats-Unis. Obama a en effet estimé que l’accord Hamas-Fatah constituait «un énorme obstacle pour la paix» et a immédiatement réagi à la tribune d’Abbas en déclarant que «des actions symboliques pour isoler Israël à l’ONU en septembre [n’allaient] pas créer un Etat indépendant». Mais les Etats-Unis ont probablement achevé de se discréditer en s’opposant seuls aux quatorze autres membres du Conseil de sécurité qui avaient voté en février dernier une motion condamnant la poursuite de la colonisation. En choisissant la stratégie onusienne, Abbas semble donc prendre acte de la stérilité du processus de paix chapeauté par les Etats-Unis. Cette stratégie lui permet de plus d’obtenir la reconnaissance de l’Etat palestinien sans céder aux exigences israéliennes: renoncement au droit au retour, annexions des colonies, pas de souveraineté sur Jérusalem, Etat démilitarisé, etc.
Motivations peu reluisantes
Il faut néanmoins tempérer son enthousiasme. L’accord du Caire n’étant pas encore consolidé, gardons nous d’oublier qu’un tel accord avait déjà été signé à La Mecque en 2007. On connaît la suite. De plus, cet accord assure chaque parti de conserver le contrôle de son fief; ne parlons donc pas d’unité, mais de gestion de la division… Les motivations des deux partis ne sont pas non plus bien reluisantes. Le Hamas souffre du blocus de Gaza, est contesté par des groupes salafistes, et sa direction exilée en Syrie se retrouve en position incertaine. Craignant de plus de ne pas être associé au Fatah en cas de reconnaissance par l’ONU, le Hamas est rentré dans le rang. Cette compromission idéologique devrait déboucher à terme sur une reconnaissance de l’Etat d’Israël qui ne doit pas être un motif de satisfaction car le flambeau de la résistance sera repris par un groupe encore plus radical (le Djihad Islamique par exemple).
Les motivations du Fatah sont bien plus claires: il doit sauver sa peau! Sans parler du soutien aussi malencontreux qu’appuyé d’Abbas à Moubarak, les fuites révélées en janvier par Al Jazeera ont montré l’étendue de la collaboration de l’Autorité palestinienne avec Israël: demandes de renforcement du siège de Gaza, de renoncement à la libération de certains prisonniers palestiniens, projets d’assassinats de personnalités du Fatah opposées à la négociation avec Israël, etc. L’accord de réconciliation tant célébré se résume donc à ceci: pour conserver son autorité sur un confetti, un parti islamiste ultraconservateur accepte de servir de béquille à un parti corrompu et collaborationniste. Rien de vraiment réjouissant… Si le vent révolutionnaire venu de Tunisie a soufflé sur la Palestine, c’était plutôt le jour de la Nakba, quand des milliers de réfugiés non armés ont bravé les balles israéliennes pour exiger le respect de leurs droits. Le véritable scénario catastrophe pour Israël ressemble plutôt à cela. Et ni le Hamas, ni le Fatah n’y jouent le moindre rôle…