Pas question ici de traiter du pourquoi, du comment, et du vers quoi, surtout, on peut laisser ça à la sphère politique, médiatique et citoyenne locale. Je précise «locale», pour l’opposer aux grands médias nationaux, qui l’ont essentiellement traité de la même façon (avec des correspondants à Madrid, soit à 500 kms de l’élection), et sous le même angle: la crise profiterait aux mouvements extrémistes et séparatistes, excluant de fait toute autre logique d’une adhésion démocratique «locale» au profit de secousses de macro-phénomènes globaux (la Belgique, l’Ecosse, la Catalogne en 2014, les Sahraouis ensuite, etc.).
Entre nous, la crise n’a pas créé cette émergence, mais elle aura au moins eu ce mérite de faire exploser l’instabilité scélérate d’un pacte d’apprentis sorciers arrivés 2ème (PSE-EE) et 3ème (PP) en 2009, en ayant ainsi réussi à détrôner le vainqueur du scrutin (PNV). Et en ayant, au préalable, pris soin d’emprisonner et de dissoudre tout ce que Madrid (à 500 kms, toujours) avait pu identifier comme «militant basque», c’est-à-dire «peu ou prou rattaché à ETA». Et finalement, il devait rester encore pas mal de monde «dehors», puisque la CAV aura accordé 25% de ses voix à ces terribles «militants basques».
A la solde des abertzale
Aujourd’hui, je repense aux élections de mars 2009, qui ont grandement impacté la pratique des médias publics, réunis dans le groupe EITB de Bilbao (trois chaînes télé, des radios en veux-tu en voilà, et un portail internet en quatre lan-gues dont je fus le collaborateur de 2008 à début 2012). Quelques mois avant ces élections de 2009, le 31 décembre 2008, ETA envoyait valdinguer une voiture piégée au pied de l’immeuble d’EITB, soufflant façades de verre et bureaux jusqu’au 4ème étage (jusqu’à la cantine à côté du bureau de mon chef, imaginez ma colère). Raison invoquée par les extrémistes à cagoules noires: EITB était «à la solde de Ma-drid», une affirmation qui ne nécessitait pas d’autre discussion qu’un fourgon rempli de nitrate d’ammonium et de gazole.
En mai 2009, le nouveau président socialiste d’EITB, pardon, d’Euskadi, Patxi Lopez, prenait historiquement une toute première décision: révoquer l’organigramme d’EITB, «à la solde des abertzale», c’est-à-dire d’ETA. De la cons-ternation que cette double affirmation paradoxale avait provoquée dans les rédactions d’EITB, s’en suivirent logiquement des modifications sensibles du travail de rédacteurs en chefs des diverses antennes.
Sous l’égide des socialistes au pouvoir, le mot «terroriste», notoirement connoté politiquement, revint se greffer à chaque interpellation faite d’un «proche d’ETA», quand cette qualification, sous l’ère préalable du PNV, était remplacée par
la dénomination «bande armée» ou «groupe séparatiste armé». De cette manipulation dangereuse des mots (pas plus convaincants les uns que les autres) naquit le sentiment que, moins on prenait de risques, et mieux on se porterait.
De fait, le travail de journaliste se cantonna à restituer les paroles politiques publiques, et à enrober le tout de nouveaux programmes régis par un seul credo: «divertir… tout en divertissant». Du sport (beaucoup, beaucoup, et si possible, avec des sportifs nés ici, au Pays Basque, ou alors au moins qui ont un cousin qui tient une venta), des programmes comiques «phares» comme Vaya Semanita (et ses 100.000 fans sur Facebook, hu hu!), et la mise en chantier de fictions «à sens unique» sur l’histoire du Pays Basque.
Ceux qui refusèrent y laissèrent leurs têtes. Ils ne sont pas nombreux. Furent écartés autant que faire se peut les sujets qui fâchent, comme, par exemple, l’ostracisation d’une partie importante de l’électorat (autrement que menottée et embarquée par la police basque), un traitement plus «équilibré» des questions polémiques du Y basque (la LGV côté Pays Basque Sud), de la constitution économique d’Euskadi en paradis fiscal, ou l’analyse de la défiance cons-tante de ses habitants pour la télédiffusion de «sujets inédits» avant 2009, comme le discours annuel de l’autre vieille crêpe de Roy d’Espagne.
Rire, savourer et écouter,
comprendre mais aussi exiger
Au vu du retournement constaté, les élections de ce dimanche 21 octobre 2012 doivent porter cet enjeu, de reprendre contact avec une information rigoureuse, plus complète, et moins «berlusconnienne». Par son vote, et par un taux de participation au scrutin de 66%, la population de la Communauté autonome a exprimé son souhait de vivre dans un pays «vrai». Qui peut rire, savourer et écouter, comprendre, mais aussi exiger.
Exiger une vraie diversité politique, sans laisser Madrid déterminer par ses juges du Tribunal supremo qui a le droit ou pas de poser son nom sur un bulletin de vote. Et exiger une vraie ré-flexion sur ses médias publics, sans laisser les manettes à un valet du pouvoir comme l’actuel président d’EITB, Alberto Surio, dont l’ascension professionnelle a suivi sans états d’âmes celle du Parti Socialiste de Zapatero. Pour un vrai engagement sur ses contenus, et pas uniquement sur ses statistiques d’audimat (Berlusconi, toujours).
En mars 2010, devant le démantèlement du sens de l’information et de la culture mené en Euskadi et relayé par Alberto Surio, le vice-ministre de la culture au Parlement basque de Gazteiz, Ramon Etxezaharreta, s’affrontait violemment au nouvel organigramme d’EITB, mais n’avait pas d’autre choix que de démissionner et claquer la porte du Parlement basque de Gazteiz.
Le temps est passé, et, sans doute, il doit permettre de repasser au «vrai». Le soir des élections, un tweet sur son compte personnel de mon ancien rédacteur en chef à EITB, Frederik Verbeke, portait le même espoir, mais sans doute pas la même radicalité. “Ce lundi, au lendemain des élections, un temps très ensoleillé attendu sur le Pays Basque”, écrivait-il. Venant de ce ressortissant belge tombé amoureux du Pays Basque Sud, il n’est guère pensable qu’il ait salué la victoire d’un camp sur un autre, ou qu’il ait réellement con-sulté les prévisions météorologiques du lendemain.
Dans son court message, il m’a semblé que transparaissait une seule obligation: percer les brumes de l’information, pour commencer à re-éclairer un Euskadi inédit.
Ramuntxo Garbisu