Barcelone et 21 municipalités catalanes ont le 10 avril répondu oui à la question suivante: «Etes-vous d’accord pour que la nation catalane devienne un Etat de droit, indépendant, démocratique et social, intégré dans l’Union européenne?» Sur un taux de participation de 18,7%, 89,7% des électeurs ont répondu oui, 8,8% non, pour 1,52% de blancs. Sept mille bénévoles regroupés autour de la plate-forme Barcelona decideix s’étaient mobilisés pour organiser cette journée dans 347 collèges électoraux, en présence d’une cinquantaine d’observateurs internationaux. Pour ses promoteurs, ce référendum a été un succès, dans la mesure où un référendum précédent organisé tout à fait officiellement par la municipalité de Barcelone il y a peu, au sujet d’une restructuration urbaine de la capitale, n’avait mobilisé que 12,1% du corps électoral.
Pour ses détracteurs, la participation le 10 avril demeure faible, mais l’organisation de
cette consultation, bien que sous une forme non officielle, a enclenché un débat politique intense et passionnel en Catalogne comme en Espagne. Les spécialistes considèrent aujourd’hui que 20 à 30% des Catalans sont favorables à l’indépendance de leur pays, ce qui constitue une solide base de départ pour les partis indépendantistes.
Le référendum du 10 a été suivi trois jours plus tard d’un débat et d’un vote au Parlement catalan. A la demande du nouveau parti indépendantiste SI, les députés devaient se prononcer sur une proposition de loi dé-clarant l’indépendance. CiU, le parti majoritaire qui gouverne le pays avait le résultat du vote entre ses mains. Ses 62 députés, ainsi que les 9 Verts se sont abstenus, face aux 13 députés d’ERC et de SI qui ont voté oui; les élus PP, PSOE et Cs ont bien entendu voté non.
Indépendantistes le dimanche,
pragmatiques le mercredi
CiU, le Président de la Catalogne Artur Mas et le gouvernement, se trouvaient dans la position la plus inconfortable. Ils avaient appelé à voter «symboliquement» oui au référendum trois jours plus tôt (hormis la tendance Unio du parti qui s’y était opposé), mais mis au pied du mur dans l’enceinte du Parlement, ils s’abstenaient piteusement.
«Indépendantistes le dimanche, pragmatiques le mercredi» ont persiflé leurs détracteurs, la presse socialiste parlant d’un «indépendantisme du dimanche»…
Le débat parlementaire a toutefois été particulièrement vif le 13 avril, une députée PP
affirmant sans rire: «Dieu veut que cela n’aille pas plus loin». Les opposants ont à loisir tenté de réveiller le réflexe de la peur avec le risque d’appauvrissement généralisé et brutal de la Catalogne en cas d’indépendance. Un député socialiste a fait plus vicieux: il n’est pas vraiment contre l’indépendance… mais ce n’est pas prévu par la Constitution, donc il faut d’abord changer la Constitution espagnole. Le CiU a expliqué ainsi son abstention: il n’y a pas de majorité sociale pour l’indépendance et elle n’est pas inscrite dans le programme pour lequel le parti a été élu, donc…
Les ambiguïtés du CiU sont sans doute à l’image des opinions qui traversent le corps
social catalan. Mais le rôle d’un parti est aussi d’accompagner le changement et non pas seulement de suivre le vent dominant. Le balancement des autonomistes resemble comme deux gouttes d’eau à celui du PNV en Pays Basque, le fameux «parti pendulaire», partagé entre un souverainisme populaire et sentimental d’un côté et un autonomisme de gestion de l’autre.
Le camp qui a soutenu et mis en œuvre ce référendum (ERC, SI et plusieurs organismes ad hoc) ont un immense mérite. D’abord, ils n’ont pas eu peur de l’échec. Ils ont osé. Ils ont secoué la passivité et la léthargie qui font la force des appareils d’Etat, «l’à-quoi-bonisme» si répandu en Catalogne comme ailleurs. Ensuite, ils sont passés à l’acte et mis en œuvre une dé-marche éminemment difficile. Enfin, pour la première fois, ils ont révélé le souverainisme catalan à lui-même, ils l’ont cristallisé avec une opération qui va bien au-delà des sim-ples manifestations de rue habituelles. Le résultat des ces référendums locaux aura forcément une incidence dans l’histoire politique de la Catalogne, dans l’évolution des partis politiques et de la société toute entière.
Décidément, le Discours de la servitude volontaire (1) rédigé par Etienne de la Boétie en 1549, n’a pas pris une ride.
(1) Dans ce court ouvrage, La Boétie porte son attention sur les sujets privés de leur liberté et pose une question majeure: comment peut-il se faire que «tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelquefois un tyran seul, qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent?».