Une longue lutte à la Maison du Lait par Michel Berhocoirigoin

La Maison du Lait, siège de l’interprofession du lait à Paris, vient de connaître le plus long conflit de son histoire: cinq semaines d’occupation et 21 jours de grève de la faim menés par les paysans de la Confédération paysanne. Pourquoi?
Les interprofessions sont des organismes de droit privé reconnus par l’Etat. Elles regroupent l’ensemble des partenaires concernés par une filière; pour ce qui concerne le lait de vache, elles associent les industries laitières privées, coopératives et les producteurs. Le problème est que seule la FNSEA, par sa section laitière (la Fédération nationale des producteurs de lait), représente l’ensemble des producteurs. Les autres syndicats, même ceux reconnus officiellement representatifs, sont exclus des interprofessions. Pour n’importe quelle personne normalement constituée cela paraît surréaliste! Le monde paysan est tellement un monde à part que ce qui paraît inconcevable ailleurs, est en vigueur en agriculture, sans que cela fasse scandale… Pourtant les interprofessions sont des lieux très importants: en plus des actions classiques concernant des études, de la communication professionnelle, ou des campagnes publicitaires pour le grand public, elles sont le lieu de négociation des prix payés aux producteurs. A partir de 2011, elles auront une autre grande mission, celle de fixer les contrats entre les producteurs et leurs laiteries, contrats sensés remplacer le système des quotas laitiers qui seraient prochainement supprimés… De plus, les interprofessions prélèvent à tous les producteurs des “cotisations volontaires obligatoires (CVO)”! Il faut être encore dans l’exception agricole pour voir des expressions de ce type! En fait cette appellation bizarroïde vient du fait que les interprofessions décident de façon “volontaire”, l’instauration de cotisations rendues “obligatoires” pour tous les producteurs.

Ceux qui n’ont pas voté pour la FNSEA
sont écartés
Nous voyons donc que ces interprofessions ont un pouvoir énorme car c’est là que se détermine finalement en grande partie le sort des paysans, qu’elles sont financées par tous les paysans, et que 45% de ceux-ci qui n’ont pas voté pour la FNSEA aux dernières élections chambre sont écartés de toute représentation. Après plusieurs années de réclamation et d’actions ponctuelles revendiquant l’application intégrale du pluralisme, la Confédération paysanne a décidé de passer à la vitesse supérieure. Le 8 septembre, une soixantaine de producteurs entrent à la Maison du lait avec une banderolle portant la revendication “Tous cotisants – Tous représentés – Tous défendus”. L’idée est de rester le temps qu’il faut pour faire bouger l’innaceptable. Un roulement des régions est programmé pour assurer une permanence dans la lutte. Une délégation d’ELB y participera à trois reprises. Le représentant de la FNSEA qui préside actuellement l’interprofession laitière se trouve dans les locaux au moment de l’intrusion des manifestants; son attitude est claire et sans état d’âme: pas question d’accepter le pluralisme: le pluralisme est à l’intérieur de la FNSEA, point! Devant l’intransigence du “chef” la décision de la durée illimitée de l’action est confirmée. S’en suit une longue période de négociations avec les différents membres de la Maison du Lait et les ministères; les contacts avec les partis politiques et les élus se multiplient… Les soutiens affluent mais le dossier évolue peu. Le ministre entend la revendication mais exige la libération des lieux pour aller plus loin dans la discussion.

ELB occupe la DDA
La Confédération paysanne est attaquée pour occupation illégale des lieux par l’interprofession qui réclame l’expulsion avec une astreinte de 50.000 e par jour d’occupation. Mais le tribunal de Paris n’ordonne aucune expulsion ni astreinte financière, et nomme un médiateur. La position bloquée de la FNSEA ne permet pas à la médiation d’avancer…
Le 27 septembre, quatre militants de la Confédération paysanne dont deux secrétaires nationaux entament une grève de la faim. Dans toute la France, des actions de soutien sont organisées comme l’occupation de la DDA de Bayonne par ELB. Au final, les membres de l’interprofession n’ont aucune envie que la donne change. Une note interne de la Fédération nationale de l’industrie laitière est très explicite: “Les statuts actuels de l’interprofession nous permettent d’excercer à la fois une influence très forte sur les choix stratégiques et en même temps, nous avons un droit de veto sur les décisions qui ne nous con-viennent pas (…) la quasi totalité des actions bénéficie pleinement aux entreprises (…). La FNPL (Section laitière de la FNSEA) accepte la situation actuelle qui conduit les producteurs à financer près des trois quarts de l’interprofession…”
L’action se prolonge avec une grande détermination, mais la Maison du Lait est évacuée par les forces “de l’ordre” le 13 octobre. Le ministre annonce la tenue de discussions avec une première réunion dès le 18 octobre. Un processus de négociation “sans sujet tabou” est sur les rails. Deux nouvelles réunions sont programmées pour le mois de novembre. Au bout de 21 jours, les grévistes de la faim cessent leur mouvement. La Confédération Paysanne estime que les évolutions nécessaires sont inéluctables. “Demain, les interprofessions seront pluralistes, ou ne seront pas!”
Cette action longue et dure pour exiger le B-A-BA de la démocratie n’a pas eu l’impact médiatique que sa cause aurait mérité. Les questions agricoles qui gênent, percent difficilement l’écran surtout lorsque l’importante actualité des retraites est à la une.

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