Zigor face à la mer

Si, un jour où la mer blanchit jusqu’à l’horizon, vous montez sur le plateau du cap Saint-Martin, allez jusqu’au bout, là où la falaise se suicide depuis des millénaires.
Après avoir ressenti dans votre solitude la dimension des éléments, tournez-vous vers la ville, fermez les yeux quelques instants et imaginez l’espace sans construction aucune.
Vous verrez très vite les formes et les couleurs de la nudité première. Encore un moment les yeux clos et le grand géant de la poésie aura planté quelques rochers dans l’océan, juste le bon nombre, juste à la bonne place.
Ouvrez-les, vous vivez là! Essayez de ne jamais oublier cette rencontre aveugle… Zigor

Enbata: La sculpture, est-elle pour vous une question de volume, de formes ou de ma-tériaux? Zigor: Les trois sont indissociables. Dans mon travail, les formes sont définies par des volumes qui se répondent, en créant une relation d’échos, de petits ponts spatiaux où la lumière essaie de survivre et le matériau donne à la pièce sa dimension sensuelle.

Enb.: On dit souvent que vous puisez votre inspiration dans l’observation de la nature?
Zigor: Oui absolument. La nature m’inonde totalement, c’est l’immense atelier où avec mon regard je peux déplacer les formes, en créer d’autres, mais surtout je peux me perdre et me rencontrer dans sa dimension cosmogorique. Jusqu’à la peur, jusqu’à la joie.

Enb.: Il se dégage de votre œuvre une force. Est-ce que cette force vient de l’identité basque? Car on retrouve cette force dans l’art basque. C’est un art solide construit pour durer. Il est enraciné. Vos sculptures répondent-elles à cet art?
Zigor: Je connais des sculptures dont la force est brutale et les auteurs ne sont pas basques. Mais c’est vrai que les sculpteurs de ma génération et de celle qui nous a précédés ont travaillé avec l’impression de venir de loin et l’espoir de la durée. Leur travail a toujours été lié au destin du peuple basque. Je suis de cette école.

Enb.: La sculpture a-t-elle une fonction spirituelle?
Zigor: Mes sculptures n’ont que cette fonction. Personne ne peut ressentir à ma place, ni tout à fait comme moi, ce que je perçois au milieu du monde. Mes scuptures tentent de signaler cette place.

Enb.: Pourquoi travaillez-vous particulièrement l’arbre?
Zigor: Je cherche dans l’arbre le mystère et la poésie qui serrés vivent dans la verticalité. Longues attentes et apparitions brutales. Souvent je lève le maillet pour frapper des milliers de coups, jusqu’à traverser l’arbre, sans rencontrer le mystère.
Toutes mes sculptures ont été arbres un jour et c’est au plus profond de celui-ci qu’habite la forme. Il faut le regarder longtemps pour que nos chemins se croisent au milieu du hasard. Il faut sculpter avec l’arbre, pas con-tre.

Enb.: Vous aimez égalemlent travailler le bronze, matériau de votre œuvre “Olerki” de Biarritz. Est-ce que cette matière vous donne plus de possibilités d’ouverture de la forme que le bois?
Zigor: Le bronze permet l’essai multiple, l’expérimentation, les variations subtiles, des modifications rapides. Le bronze n’est pas que la reproduction de la pièce originale. C’est toujours une sculpture en soi, même si sa vie commence dans d’autres terres. Dans le fond, le bronze est toujours un pays d’accueil. Le bronze a cette fabuleuse capacité, comme le bois, d’être poli, il permet de très nombreux jeux de lumière qui participent à l’expression.
C’est vrai, le bronze est un matériau robuste qui peut donner aux pièces la sensation d’une partie de légéreté, surtout lorsque je les fais pleines, quand il s’agit de petits formats. Mais par contre elles ont l’air éternelles.

Enb.: Le dessin est au cœur de votre travail, est-il une manière de voir la forme?
Zigor: Cela peut être aussi une façon de sculpter. La main travaille les formes avec le crayon, timide et puis, peu à peu, les traits s’affirment, le geste s’assouplit, l’esprit se libère des contraintes de la matière. Et on ose presque sans limites. Des centaines, des milliers de sculptures existent sous cette forme. Je sais moi qu’elles sont là pour toujours, très souvent bien plus émouvantes que les sculptures elles-mêmes.

Enb.: Comment surviennent les formes dans votre travail?
Zigor: Tout ce qui pénêtre l’homme se transforme en sentiments et tout sentiment s’installe dans l’être. Quelques uns restent à fleur de peau et d’autres se cachent dans le plus mystérieux recoin de la mémoire profonde.
Pour les formes c’est pareil. Il y a celles que l’on rencontre sans vouloir, et puis celles que l’on quête et encore ces formes archaïques qui nous construisent depuis toujours il s’agit de les assembler. Cela m’obsède, cela me mord, ça me prend à la gorge et quelque fois ça marche.

Enb.: Cette volonté de développer une œuvre monumentale, est-ce une façon de se confronter à une nouvelle organisation des formes dans l’espace? Ou de nouer des relations de complicité avec l’environnement naturel?
Zigor: Oteiza dit que la matière entoure le vide. Moi je préfère que le vide entoure la matière. En réalité le monumental commence toujours par le petit format, dans l’intime. Ce n’est pas la sculpture qui devient monumentale quand on l’installe au bord d’une falaise mais le vide.

Enb.: Quels sont les rapports qu’il est nécessaire d’instaurer entre architecture et sculpture?
Zigor: La sculpture peut vivre seule. Une bonne compagnie ne fait jamais du mal à l’architecture. Il y a de plus en plus d’architectes qui pensent leur travail comme une sculpture, et pas mal de sculpteurs qui se veulent architectes. Je considère que ce sont deux mon-des à part qui se rencontrent parfois avec bonheur. Mais la plupart du temps, leur mariage me fait penser à la musique d’ascenseur.

Biarritzeko arrokek
Itsasoa erdibitzen dute
seme alabak eginez.
Ez dein,
Hain oso,
Hain bete,
Lurretan sartu.
Zigor

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