Si l’intransigeance de Mariano Rajoy vis à vis des Catalans donne à penser qu’il est fort et qu’il sait s’imposer, la réalité en Espagne est bien différente. Plusieurs communautés autonomes (Valence, Murcia, Andalusie, Galice…) revendiquent aujourd’hui une plus grande équité dans leur financement. Toutes évoquent les privilèges des communautés autonomes de Navarre et d’Euskadi.
A Valence, le 18 novembre dernier, une grande manifestation convoquée par une plateforme de la société civile, tous les syndicats (salariés et patronaux) et partis politiques, à l’exception du PP, a rassemblé entre 17.000 personnes selon la police et 60.000 selon les organisateurs, pour exiger un nouveau modèle de financement. Avec un sentiment d’infériorité par rapport aux autres espagnols en raison, notamment, du manque d’investissements dans la ville de Valence, la communauté de Valence, très endettée perçoit le plus faible financement par habitant d’Espagne. Le ministre des finances espagnol, Cristobal Montero, a encore rajouté de l’amertume en affirmant, lors de sa visite à Valence, que “les valenciens ne savent que pleurer”. Depuis près de 40 ans, le pays de Valence réclame un statut fiscal autonome. De multiples drapeaux soit espagnols, soit valenciens ou catalans, flottaient encore aux fenêtres le surlendemain de la manifestation, signe d’une certaine crispation et affirmation identitaire.
Droits historiques
Donc, au-delà de la Catalogne qui fait la une des media, c’est toute l’Espagne qui est en effervescence à l’heure du Concierto economico ou pacte fiscal et financier entre Madrid et les diputaciones d’Euskadi et de Navarre.
Lorsqu’on parle de statut exceptionnel des basques des quatre provinces du Sud, de quoi s’agit-il ? Quelle en est l’origine? Le concierto ou pacte économique, initié dès la fin de la première guerre carliste en 1841, est une manière de reconnaître les fueros basques (exemption de toute taxe en Gipuzkoa, Bizkaia, Araba et Nafarroa alors zones franches), en les intégrant dans la constitution espagnole au moment de leur abolition. C’est le 28 février 1878, à l’issue de la seconde guerre carliste, qu’un décret entérine le cupo ou quote-part reversée par les Basques à Madrid pour services rendus par l’Etat espagnol.
Dès 1878, les droits historiques des basques furent donc reconnus par le gouvernement central, même si les fueros étaient supprimés. Bien sûr, au cours du temps, ce pacte a beaucoup évolué et de plus en plus de compétences ont été accordées aux autonomies d’Euskadi et de Navarre qui prélèvent directement l’impôt des citoyens de leurs territoires respectifs.
Elles reversent ensuite à l’Espagne le cupo ou montant destiné à financer les compétences régaliennes: diplomatie, armée, douanes, frais de la famille royale…
Les gouvernements d’Euskadi et de Navarre gèrent l’essentiel de leurs services publics: santé, éducation, culture, langue, routes, recherche…
Rappelons aussi que le 23 juin 1937, Franco, dans un acte de guerre, retire le concierto à la Biscaye et au Gipuzkoa, provinces républicaines, alors que l’Araba et la Navarre continuent à en bénéficier pour avoir soutenu le coup d’Etat franquiste.
Il s’agit, en fait, d’un système fiscal confédéral qui exige des négociations âpres entre le pouvoir central et les représentants des gouvernements basques et navarrais tous les cinq ans.
Les autonomies péninsulaires
sont en ébullition
et exigent les mêmes prérogatives
qu’en Navarre ou en Euskadi.
Impunité pour les corrompus
Lors d’une enquête récente de Mars 2017 auprès d’un échantillon représentatif de Basques de tous âges et conditions, 52% des personnes interrogées pensent qu’Euskadi assure une meilleure gestion publique que Madrid. Il faut dire qu’on estime à 90 milliards le coût de la corruption en Espagne cette année, avec une quasi impunité pour les corrompus. Un manque à gagner pour le budget de l’Etat insupportable en ces temps de restrictions budgétaires.
Après dix ans de désaccords, le lehendakari Urkullu se félicite d’avoir obtenu une baisse significative du cupo et même un futur remboursement de 140 millions d’euros de trop perçu par Madrid.
Malgré le vote blanc d’EH Bildu et de Podemos soulignant leur aspect aléatoire et injuste, le concierto et le cupo seront vraisemblablement adoptés à la majorité au parlement Basque.
A Madrid, Mariano Rajoy n’a d’autre choix que de défendre le concierto et le résultat des négociations, car il a besoin des voix du PNB pour gouverner.
Dans le même temps, Soraya Saens de Santamaria, la “dame de fer espagnole”, vice-présidente du gouvernement, qui préside la Catalogne en remplacement de Carles Puigdemont, se refuse à toute négociation, à toute ouverture sur un nouveau pacte avec la Catalogne. En conclusion, les autonomies péninsulaires sont en ébullition et exigent les mêmes prérogatives qu’en Navarre ou en Euskadi. Des partis tels que Ciudadanos remettent en cause l’organisation administrative et financière de l’Etat espagnol et souhaitent recentralisation et standardisation. Aucune mesure significative ne freine la corruption au sein des deux grands partis se succédant au gouvernement. Mariano Rajoy a beau être toujours “droit dans ses bottes”, Soraya Saens de Santamaria, étoile montante du PP avec son image d’incorruptible, a beau se montrer inflexible, l’Espagne est en bien mauvaise posture et personne ne peut prévoir comment elle sortira de la tourmente et ce qu’il adviendra des autonomie actuelles.
* Accord économique et quote-part