Confrontation civilisée mais sans concession

FreedomLes gouvernements catalan et espagnol recherchent un terrain d’entente. L’échéance du vote du budget 2019 de l’État espagnol arrive à grand pas. Le gouvernement central joue sa survie dans un pays bloqué, empoisonné par la revendication indépendantiste.

Toute honte bue, Pedro Sanchez propose le 3 septembre aux Catalans un référendum sur un nouveau statut garantissant davantage d’autonomie. C’est oublier qu’en 2006, 73% des Catalans ont approuvé par référendum un nouveau statut d’autonomie dont le contenu fut laminé en 2010 par le tribunal constitutionnel.

Le premier ministre socialiste Pedro Sanchez a impérativement besoin des voix des députés indépendantistes catalans aux Cortes pour faire approuver son budget. Par un tour de passe-passe, il pensait avoir contourné l’obstacle du sénat où PP et Ciudadanos détiennent la majorité. Sa situation s’est fragilisée davantage le 23 septembre, lorsque le bureau des Cortes aux mains de la droite, a bloqué le projet budgétaire.

Mais tout cela n’est que le hors d’oeuvre face à l’obstacle catalan. Depuis son arrivée au pouvoir le 2 juin, le PSOE s’efforce d’amadouer les députés indépendantistes qui l’ont élu par défaut à la tête de l’Etat, en choisissant la peste plutôt que le choléra.

Il fait quelques concessions assez dérisoires sans rien céder sur l’essentiel. Son but est de conforter la tendance catalane la plus ouverte à la négociation et de diviser son adversaire. Les indépendantistes savent que le leader socialiste est aujourd’hui l’interlocuteur le moins mauvais possible dans le contexte espagnol actuel et qu’il y a peut-être là une opportunité à saisir.

Ils ne ferment donc pas la porte au dialogue.

Cela faisait sept ans qu’ils ne s’étaient pas rencontrés. Les délégués des gouvernements catalan et espagnol se sont réunis la 1er août à Barcelone, une quinzaine de réunions ont eu lieu depuis. Treize dossiers sont sur la table et en deux mois, aucun n’a vraiment avancé, hormis celui de l’allègement de la dette de la Generalitat.

Dans sa grande magnanimité, l’Espagne accepte d’investir sur quatre ans, un 1,459 milliard d’euros en Catalogne. La première tranche sera versée en 2019 dès l’approbation du budget général de l’État…

Le résultat est donc plutôt maigrichon, il se situe très loin des 7,607 milliards que réclamait la Generalitat à Madrid. Les deux partenaires se donnent jusqu’en décembre pour négocier des accords financier et même des transferts de compétence. Ikus eta sinets!

Diplocat ressuscite

Le gouvernement catalan vient d’accepter de participer au forum sur le financement des communautés autonomes organisé par l’État central. Les Catalans avaient boycotté les deux réunions précédentes en juillet et août. Le 6 septembre, les députés ERC et PEDe- CAT aux Cortes votent en faveur du rétablissement de la couverture maladie universelle rabotée par Mariano Rajoy en 2012. Approuvée aussi par le PNV, Bildu et l’UPN, elle accordera l’accès aux soins à tous, y compris pour les demandeurs d’asile. Le PP a voté contre et Ciudadanos s’est abstenu. Le gouvernement socialiste espagnol laisse le gouvernement catalan remettre en route Diplocat, son réseau “diplomatique” international. Cet organisme public/privé créé à l’initiative de la Generalitat, des députations, de municipalités et de 21 autres entités, avait été balayé lors de la suspension de l’autonomie. Le coût de cette dissolution fut de l’ordre de 750.000 euros. La Generalitat a réouvert au mois de septembre ses délégations de Londres, Genève, Rome, Berlin, USA et France. Madrid monte en épingles ces évolutions et ces accords comme autant de signes de “dégel”. En réalité cela relève plutôt de la méthode Coué, tant le gouffre demeure énorme entre l’Espagne et la Catalogne. Toute honte bue, Pedro Sanchez propose le 3 septembre aux Catalans un référendum sur un nouveau statut garantissant davantage d’autonomie. C’est oublier qu’en 2006, 73% des Catalans ont approuvé par référendum un nouveau statut d’autonomie dont le contenu fut laminé en 2010 par le tribunal constitutionnel. La porte-parole d’ERC Marta Villalta a répondu au chef du gouvernement espagnol : “Nous n’avons pas manifesté pendant dix ans pour avoir plus d’autonomie, nous avons dépassé cette étape”….

Contre la légende noire de l’Espagne néo-franquiste

Le principal obstacle à l’avancée de négociations sérieuses entres les deux parties demeure la question des exilés et des prisonniers politiques catalans.

Neuf dirigeants politiques catalans de premier plan sont emprisonnés, seul un rapprochement leur a été accordé début juillet et ils goûtent désormais les joies de la vie carcérale dans des prisons espagnoles… situées en Catalogne.

Quant aux sept dirigeants exilés, rien n’augure de leur retour possible. Si jamais ils foulent le sol de leur pays, ils passeront par la case prison. Ce scandale inouï émeut peu de monde hors des pays catalans.

Le ministre espagnol des Affaires étrangères Josep Borrel fait le siège de ses partenaires européens et multiplie dossiers réalisés par de brillants universitaires et juristes espagnols, rencontres diplomatiques et réunions avec les journalistes de nombreux pays pour les persuader des qualités de l’Etat de droit en Espagne et de l’inanité du séparatisme catalan.

Il veut contrer “la légende noire” d’une “Espagne néo-franquiste” que diffuse le gouvernement de Barcelone et veut contrer les interventions du président catalan Quim Torra auprès des 60 consuls étrangers présents dans son pays.

Le 11 septembre, le Conseil de l’Europe apporte son soutien aux tribunaux espagnols qui “sans aucun doute, respectent la Convention européenne des droits de l’homme” et ajoute qu’il “défend l’ordre constitutionnel de ses pays membres”. Mais Josep Borrel avoue le 18 septembre que son message ne passe pas et soulève beaucoup de scepticisme en particulier dans les pays anglo-saxons. Il se plaint des moyens dont dispose Diplocat et de l’écho que ce réseau rencontre. Le ministre qui passe son temps à critiquer le sécessionisme catalan auprès de ses partenaires, ajoute : “J’en ai marre de dire que je ne suis pas le ministre des Affaires catalanes”, mais bien le ministre espagnol des Affaires étrangères. Le 20 septembre, l’ambassadeur de Belgique est rappelé à l’ordre par le gouvernement espagnol. Ce dernier ne supporte pas qu’une délégation d’eurodéputés flamands ait rendu visite le 7 septembre à Carme Forcadell, ex-présidente du parlement catalan, dans sa prison de Mas d’Enric. Ils étaient porteurs d’une lettre du président du parlement flamand, Jan Peumans, qui déclarait : “Le gouvernement central espagnol ne remplit pas les conditions voulues pour faire partie d’une UE moderne et démocratique”.

Incarcérations politiques contre-productives

Les magistrats sont aussi à la manoeuvre et multiplient les rencontres avec leur homologues européens. Le gouvernement espagnol met au point un plan pour accroître le nombre des juges qui seront chargés d’expliquer à leurs homologues étrangers les qualités du système judiciaire espagnol. Ces magistrats parleront la langue du pays où ils interviendront, auront un statut diplomatique et bénéficieront d’un salaire conséquent.

Actuellement, il n’y en a que cinq, en France, en Italie, au Royaume-uni, au Maroc et aux USA. La Belgique et l’Allemagne en sont dépourvues. L’Espagne ne supporte pas que les cours de ces deux pays aient rejeté ses demandes pour que les “fugitifs” catalans lui soient livrés. Plusieurs leaders socialistes —y compris le ministre des Affaires étrangères Josep Borrel et Carmen Calvo, vice-présidente du gouvernement— prennent la mesure de l’émoi politique provoqué par ces incarcérations. Ils pensent que la solidarité avec les preso constitue un ciment exceptionnel qui renforce l’unité des partis indépendantistes. A leurs yeux, ce maintien en détention est donc politiquement contre-productif. Ils proposent la mise en liberté provisoire des neuf dirigeants politiques catalans, avant leur comparution devant les tribunaux qui devrait avoir lieu fin décembre début janvier. Une quarantaine d’autres dirigeants, députés et hauts fonctionnaires font également l’objet de poursuites. Les partis indépendantistes exigent l’élargissement et l’arrêt des procédures à l’encontre de tous les inculpés, ils font de cette mesure un préalable à une négociation sérieuse et à l’approbation du budget de l’État central. Les magistrats traînent des pieds et critiquent vertement cette violation de leur sacro-sainte indépendance. Le gouvernement affirme que le ministère public est autonome dans les tribunaux espagnols. Dans cette affaire aussi éminemment politique, personne n’est dupe, ne sont convaincus par de tels arguties que ceux que cela arrange, essentiellement du côté du PP et de Ciudadanos qui usent et abusent de leur pouvoir de nuisance, en particulier au sénat. Ces deux partis demanderont aux Cortés de voter une loi interdisant que les dirigeants catalans inculpés bénéficient un jour d’une grâce.

Perpignan, le conseil départemental affiche son soutien aux prisonniers politiques catalans
Perpignan, le conseil départemental affiche son soutien aux prisonniers politiques catalans

La police espagnole maintient sa présence

Tout en faisant des ronds de jambe, Pedro Sanchez maintient la pression. Douze des quatorze lois essentiellement à caractère social, votées par le parlement catalan, sont toujours suspendues par une décision du tribunal constitutionnel(1). Le chef du gouvernement rappelle qu’il peut à tout moment remettre en oeuvre l’article 155 de la Constitution qui suspend le statut d’autonomie. Le nombre de policiers présents en Catalogne demeure considérable en cet automne avec la Diada qui a rassemblé plusieurs centaines de milliers de Catalans le 11 septembre et les très nombreuses manifestations qui commémoreront à partir d’octobre, le premier anniversaire du référendum, puis de la déclaration d’indépendance. Trois cents gardes civils sont maintenus en Catalogne malgré leurs demandes de mutation et début septembre, le ministère de l’Intérieur envoie un millier de policiers supplémentaires. Personne ne se bouscule pour défendre l’unité de la patrie, malgré l’amélioration des conditions d’hébergement des forces de police. Pour maintenir l’ordre, il manquerait en Catalogne 1555 policiers et gardes civils, soit 20% du total. Le ministère de l’Intérieur espagnol tente de convaincre les Mossos d’Esquadra (police autonome) d’intégrer le corps de police espagnol de leur choix. Y a bon les harkis.

Les indépendantistes en débat

L’opposition au système monarchique espagnol demeure forte dans l’opinion et les institutions catalanes. Pour la deuxième fois, le président catalan Quim Torra a refusé de rencontrer Philippe VI lors de sa venue à Barcelone le 17 septembre, à l’occasion de la 30e édition du Gastech, congrès mondial de l’industrie du gaz. Il en fut de même le 28 juin. Seule exception à la règle, la rencontre des deux hommes le 17 août pour les cérémonies en hommage aux victimes de l’attentat djihadiste de 2017.

Au sein d’ERC et de PEDeCAT, l’été a été marqué par de nombreux débats sur la stratégie à mettre en oeuvre pour faire évoluer l’Espagne et son nouveau gouvernement.

Comment articuler le maintien de la déclaration d’indépendance considérée comme un acquis et une politique des petits pas ? Comment obtenir de l’Espagne un accord pour un référendum légal, comme au Québec ou en Ecosse? Les discussions se poursuivent en interne entre les partis et au Conseil de la république qui se réunit régulièrement à Bruxelles avec Carles Puigdemont, considéré comme le seul président catalan légitime. Le 28 juillet, Puigdemont a de nouveau installé son quartier général dans la capitale européenne, après que les juges allemands aient rejeté les accusations espagnoles qui avaient entraîné son arrestation. Six députés indépendantistes, avec parmi eux les deux principaux leaders, l’exilé Carles Puigdemont et Oriol Junqueras en prison, ont été suspendus par la Cour suprême. Après plusieurs semaines de débats difficiles, les partis indépendantistes se sont mis d’accord pour considérer la décision comme inapplicable. Durant la durée de la procédure judiciaire qui les affecte, les six députés désireux de voter au parlement catalan donneront une procuration de leur formation. La majorité souverainiste sera préservée, mais elle demeure fragile : CUP refuse toujours d’approuver le prochain budget.

En 2019, la bataille de Barcelone

La difficulté pour les partis indépendantistes est qu’ils doivent maintenir leur unité au risque de tout perdre, et sont aussi rivaux devant les électeurs. L’exercice est donc complexe à l’approche des élections municipales de mai 2019. Carles Puigdemont va tenter d’élargir son parti PEDeCAT, avec la mise en orbite au mois d’octobre de la Crida nacional per la Republica (Appel national pour la République). La bataille de Barcelone est dans tous les esprits, l’irruption d’un candidat inattendu y est pour beaucoup. L’ex-premier ministre français Manuel Valls se présente avec le soutien du parti ultra jacobin, né en Catalogne, Ciudadanos, mais veut aller au-delà des clivages partisans, dans une ville marqué à gauche depuis très longtemps. Hormis Daniel Cohn-Bendit, peu de citoyens européens bénéficiant de la double nationalité se sont présentés aux élections dans deux Etats. Manuel Valls, en échec en France, franchit le pas. Il le fait par ambition personnelle sans doute, mais surtout dans le but de pourfendre l’émergence de l’indépendantisme catalan. Il se présente comme un grand Européen qui transcende les frontières. En face de lui, la maire sortante Ada Colau (Podemos), en difficulté avec la démission le 4 septembre du député et secrétaire général du parti Xabier Domènech. Il faudra également compter avec le candidat d’ERC : Ernest Maragall, frère du célèbre Pasqual Maragall du parti socialiste catalan, qui dirigea la ville de 1982 à 1997. Un beau match en perspective. Espérons que l’autoritarisme et l’arrogance de Manuel Valls feront fuir beaucoup d’électeurs.

(1) Le recours concernant la loi catalane sur la couverture maladie universelle est tombé de lui-même, puisque la mesure a été rétablie dans tout l’État espagnol.

La Catalogne ne perd pas le nord

Le conseil général des Pyrénées-Orientales (Catalogne- Nord), présidée par la socialiste Hermeline Malherbe, a fait installer sur sa façade une banderole en solidarité avec les catalans incarcérés et exilés.

Elle est accompagnée du fameux ruban jaune, devenu le symbole de cette revendication. Une centaine d’élus de cette région ont signé un manifeste de soutien. On doit cette initiative à Claude Ferrer, maire de Prats de Molló. Le maire de Perpignan, Jean-Marc Pujol a reçu officiellement le 31 août le président de la Generalitat Quim Torra. Tous deux arboraient à la boutonnière le ruban jaune… L’ambassadeur d’Espagne à Paris, Fernando Carderera en a fait une jaunisse. Il s’est fendu d’une lettre de protestation et en a envoyé la copie au président du sénat français, aux ministres des Affaires européennes et des Affaires étrangères et au président du Conseil départemental des Pyrénées-Orientales. Le maire de Perpignan a répondu au diplomate espagnol qu’il considérait son intervention comme “déplacée” et “inadmissible”.

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