Les deux partis basques se mettent d’accord sur les fondamentaux d’un nouveau statut d’autonomie qui va bien au-delà du statut actuel. Il ouvre la porte à une unité d’action entre les deux frères ennemis de l’abertzalisme. Un tournant dans notre histoire politique de ces quarante dernières années.
Depuis un an, une commission du parlement autonome basque planche sur l’élaboration d’un nouveau statut d’autonomie.
Les députés auditionnent de nombreux spécialistes et autres instances de la société civile et rédigent peu à peu le contenu de ce que souhaite mettre en place demain la communauté autonome basque en matière institutionnelle, ainsi que la nature de ses relations avec le peuple espagnol et son gouvernement.
Une telle démarche s’inscrit dans un contexte bien particulier: référendum et déclaration d’indépendance catalanes avec leurs conséquences répressives, disparition d’ETA et hier, échec du projet de souveraineté-association du “plan Ibarretxe” dont le PNV garde un souvenir cuisant.
Le projet en cours d’élaboration n’a pas été encore adopté par un vote du parlement autonome. Il devrait l’être avant la fin de la législature en 2020. Mais il a le soutien des deux formations qui, si alliance il y a, disposent de la majorité absolue dans cette assemblée: le PNV (28 députés) et EH Bildu (18 élus), soit 46 voix sur un total de 75.
Depuis la fin mai, jusqu’à la première quinzaine de juillet, des éléments de ce futur statut d’autonomie ont été peu à peu rendus publics. Ils figurent dans le préambule du texte et son premier chapitre qui définit les contours du projet, en particulier sur la question nationale.
En voici un aperçu.
Nation et référendum
Ce statut ne concerne que les trois provinces de la Communauté autonome basque appelée aujourd’hui Euskadi, mais il reconnaît dans son préambule la réalité d’Euskal Herria et de ses sept provinces historiques.
Le système juridique de l’État espagnol établit une distinction entre nation et nationalité. Seule l’Espagne est une nation dont font partie les nationalités catalanes et basques qui lui sont donc soumises. A l’encontre de cette hiérarchie, le projet du parlement basque qualifie le peuple basque de nation. Les citoyens habitant le Pays Basque pourront obtenir la nationalité basque, compte tenu du caractère pluri-national de l’État. Ceux qui souhaitent détenir une autre nationalité auront un statut de “résident administratif” et auront accès aux services publics, au même titre que les autres: “Personne ne pourra faire l’objet de discrimination du fait de sa nationalité, ni n’en sera privé de façon arbitraire”. Le texte propose une organisation confédérale de l’État où Euskadi aura avec l’État central une relation de type bilatéral, “d’égal à égal” et de “non subordination”. Le mécanisme de suspension de l’autonomie —le fameux article 155 de la Constitution— ne pourra plus être mis en oeuvre. Le tribunal constitutionnel espagnol n’aura pas le droit de limiter un statut d’autonomie approuvé par les parlements et par référendum, comme ce fut le cas pour le nouveau statut catalan.
Le “droit de décider” est reconnu, il est défini comme “le droit pour les Basques d’exprimer et d’exercer sa volonté collective”.Pour ce faire, le gouvernement basque pourra organiser des référendums, préciser et recueillir ainsi le point de vue des habitants du pays. Ils ne se concrétiseront pas ensuite par un projet de loi, mais permettront au gouvernement de discuter avec Madrid du projet soutenu et exprimé par l’opinion publique d’Euskadi. Donc de donner une légitimité supplémentaire à la demande. Le Pays Basque disposera d’une justice propre, non dépendante des instances espagnoles, ainsi que de la compétence sur les prisons. Idem pour le transfert de la compétence sur la gestion de la Sécurité sociale.
Contexte et méthode
Nous n’en sommes aujourd’hui qu’aux prémisses de ce nouveau statut. Eusko Ikaskuntza est chargé durant l’été d’organiser un certain nombre de grands débats publics à travers le pays, de recueillir également des avis par internet. Le tout fera ensuite l’objet d’une synthèse. Un comité d’experts sera appelé à se prononcer avant que le texte fasse l’objet d’une rédaction article par article, sous la forme d’un projet de loi. L’intérêt de cette démarche est aussi de lancer un débat public et de susciter autour du projet un mouvement social qui fit tant défaut au «plan Ibarretxe», oeuvre d’un homme seul, agissant sans l’aval de son propre parti, le PNV, à une époque où la lutte armée était pratiquée. Et l’on connaît l’importance majeure de la société civile dans la mise en oeuvre du souverainisme catalan.
Le statut d’autonomie de Gernika, partiellement en vigueur depuis 1979 a montré ses limites. L’idée d’un autre statut d’autonomie aux compétences plus larges n’est pas nouvelle, c’est le contexte et la méthode qui permettent d’ouvrir des possibilités de succès. Le PNV dont la tendance pragmatique la plus conservatrice est très réservée sur ce type de démarche, accepte de se lancer dans cette aventure avec la gauche abertzale. On revient de loin, tant les tensions entre les frères ennemis de l’abertzalisme furent hier d’une extrême violence, allant jusqu’à l’affrontement physique, voire le meurtre. Les deux partenaires doivent désormais construire pas à pas une confiance, on devine que les obstacles et les retournements de vestes ne manqueront pas en chemin. Il est donc assez prématuré de crier déjà victoire comme le fait EH Bildu.
Sortir d’un splendide isolement
Chacun sait la capacité du PNV à jouer sur plusieurs tableaux à la fois. Hier, il soutient le gouvernement Rajoy et le lâche aujourd’hui. Il gouverne la Communauté avec le soutien des socialistes, mais lance avec la gauche abertzale un projet majeur qui déjà fait hurler le PSOE. Cet admirable jeu de bascule, comme son poids électoral important —loin toutefois de la majorité absolue, mais au centre de l’échiquier politique— lui permettent de gouverner la Communauté autonome basque, les trois députations, les trois capitales de provinces, d’être présent dans la gestion de la Communauté forale de Navarre ainsi qu’à Iruñea et même de temps en temps, de jouer le rôle de faiseur de roi à Madrid.
Le “parti pendulaire” parfois qualifié de “parti caméléon” par certains, pratique avec brio l’art de nouer les alliances au gré des rapports de force du moment.
Au parlement de Gasteiz, l’addition des députés PNV et PSOE se situe à une voix de la majorité absolue, un vote qu’hier le PP accordait généreusement au PNV pour faire passer son budget… mais qu’il ne lui accordera plus. La voix d’un député EH Bildu sera donc la bienvenue. Par ailleurs, l’hypothèse d’une alliance EH Bildu/PSOE/Podemos n’est pas totalement à exclure, comme ce fut le cas en Catalogne avec l’alliance socialistes-ERC qui vit l’éviction de CiU. En lançant avec EH Bildu la construction d’un projet commun, le PNV écarte quelque peu l’hypothèse d’un tel accord. Les plus cyniques diront que le PNV donne ainsi un os à ronger à la gauche abertzale, il la satellise et s’en servira pour montrer à Madrid qu’il peut basculer dans une confrontation “à la catalane”.
Les partis espagnolistes confrontés à la crise catalane,
mesurent le danger que peut représenter un rapprochement PNV – EH Bildu.
Ils critiquent violemment ce projet de statut.
Un temps susceptible d’y adhérer,
Podemos a finalement refusé de cautionner le texte.
Pour EH Bildu, la mise en route de ce nouveau statut soutenu par le PNV prend des allures de bouffée d’oxygène. Avoir raison tout seul sur fond de radicalité limite forcément l’action politique et cantonne dans les marges de l’opposition, sans peser vraiment sur le réel. La gauche abertzale sort peu à peu de son splendide isolement. Au prix de concessions importantes, elle tente ainsi de bâtir la fameuse “accumulation des forces” en faveur du changement qu’elle appelle de ses voeux depuis tant d’années.
Les partis espagnolistes confrontés à la crise catalane qui déstabilise tout leur système politique, mesurent le danger que peut représenter un rapprochement PNV EH Bildu dans la Communauté autonome basque. Ils critiquent violemment ce projet de statut. Un temps susceptible d’y adhérer, Podemos a finalement refusé de cautionner le texte. L’Accord de Lizarra-Garazi qui scella en 1998 une unité entre abertzale et au-delà, suscita un immense espoir, sans toutefois aboutir. La démarche indépendantiste catalane démontre que l’alliance entre les différents partis catalanistes est la condition première du succès pour toute démarche souverainiste.
On a connu le PNV plus timoré et plus passif. Il engage aujourd’hui une ouverture à ne pas négliger et il sera sans doute très sensible au soutien électoral qu’elle recevra. Unité d’action, mobilisation sociale et élaboration d’un projet porté par les institutions sont les gages du succès, “en sachant —comme l’explique François Alfonsi— gérer le temps long d’un rapport de forces permanent”.