Maxime Combes, économiste et membre d’Attac France, nous présente les enjeux de la COP21 et les différentes formes que la mobilisation de la société civile est en train de prendre. Alors qu’en 23 ans de négociations internationales les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont augmenté de 60%, l’auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition est très clair : “Face à l’urgence climatique, et compte tenu des comportements criminels des gouvernements et des multinationales, nous avons le droit de désobéir pour stopper la machine à réchauffer la planète”.
Quels sont les enjeux de la COP21 qui se déroulera à Paris du 30 novembre au 11 décembre ?
C’est à Durban, en 2011, que les Etats-membres de l’ONU se sont donné pour objectif de s’accorder sur un nouvel instrument juridique pouvant prendre la suite du protocole de Kyoto à partir de 2020. Avec l’objectif d’impliquer l’ensemble des Etats de la planète et de ne pas aller au-delà des 2°C de réchauffement climatique. La COP21 à Paris intervient après la publication du dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) qui pointe la responsabilité et l’inaction des Etats dans le réchauffement du système climatique, désormais considéré comme “sans équivoque” et sans “précédent”. L’alerte climatique n’est effectivement plus à démontrer. Le mois de septembre 2015 est –de loin– le plus chaud jamais enregistré alors quela température moyenne des neuf premiers mois de l’année a battu un nouveau record. Il est donc grand temps d’inverser la tendance : en vingt-trois ans de négociations, les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) ont augmenté de 60%.
Idéalement, quel type de mesure pourraient être prises à Paris et pourraient réellement changer la donne ?
L’accord de Paris pourrait d’abord reprendre explicitement la feuille de route que le GIEC a fixé pour rester en deçà des 2°C : un objectif de long terme – réduction des émissions mondiales de 40 à 70% d’ici à 2050 – avec des objectifs intermédiaires tels qu’un maximum d’émissions autour de l’année 2020 et des objectifs pour 2025, 2030 et 2040. Les Etats devraient limiter la production des énergies fossiles et déployer les énergies renouvelables. Comme tous les pays n’ont pas la même responsabilité et les mêmes capacités à agir, de strictes mesures de réduction des inégalités, passant par des transferts financiers et de technologie conséquents, devraient être mises en oeuvre. Une véritable taxe mondiale sur les transactions financières est ainsi nécessaire pour désarmer les marchés financiers, et récupérer les moyens financiers nécessaires.
Vers quoi se dirige (malheureusement) la décision finale qui risque de se prendre à Paris ?
Les Etats, invités à publier des contributions volontaires de réduction d’émission, nous conduisent vers un réchauffement climatique supérieur à 3°C, comme l’a récemment confirmé une évaluation de la société civile. Il serait logique que l’écart entre le réel et le souhaitable soit réparti entre les Etats afin de revenir sur une trajectoire de 2°C (ou mieux 1,5°C). Ce ne sera pas le cas car cela ne fait pas partie de l’objet des négociations. À l’ONU, on négocie le contenant. Pas le contenu. De même, les mots énergies fossiles ou énergies renouvelables ne font pas partie des textes de négociation, comme s’ilétait possible de réduire les émissions de GES sans agir sur ce qui les génère – au moins 80% résultent de la combustion des énergies fossiles – et sans opérer une transition énergétique. C’est impossible, mais les entreprises pétrolières, gazières et charbonnières se frottent déjà les mains.
Que peut faire la société civile pour changer la donne ?
N’importe quel plan de transition énergétique prévoit de relocaliser les systèmes de production et circuits de distribution. Ces mesures de relocalisation sont pourtant en grande partie interdites par les règles du commerce international, règles qui doivent elles-mêmes être respectées dans le cadre des négociations de l’ONU sur le réchauffement climatique. Il nous faut donc être lucide : ne pas créer d’attentes démesurées vis-à-vis de la COP21 est donc la première de nos tâches. Les ONG, syndicats, associations vont tenter de limiter les dégâts à l’intérieur de la négociation mais là n’est pas l’essentiel. L’enjeu de Paris 2015 est de se saisir de ce moment comme un levier pour gagner toute une série de batailles à l’extérieur des négociations et pour que le mouvement pour la justice climatique soit plus fort après qu’avant.
Quels sont les rendez-vous à ne pas manquer d’ici la fin de l’année ?
Nous allons défier le discours officiel : déjà se prépare une histoire selon laquelle les Etats vont faire leur maximum et que le résultat sera un bon point de départ pour la suite. Ce n’est pas vrai. En matière de climat, tout retard pris ne peut être rattrapé : c’est la quantité d’émissions de GES accumulée dans l’atmosphère qui compte, plus que le niveau d’émissions d’une année donnée. Nous voulons avoir le dernier mot à Paris et ne pas être spectateur des dernières heures de négociations.
Rendez-vous est pris pour des mobilisations et action de désobéissance civile de masse le 12 décembre : “les gouvernements parlent et négocient pour le pire, les multinationales utilisent les négociations pour maintenir leur emprise sur notre futur, nous, les peuples, nous luttons pour changer de système et nous ne lâcherons plus jamais”. Des manifestations décentralisées sont prévues le week-end des 28 et 29 novembre pour mettre les gouvernements nationaux et locaux devant leurs contradictions, tandis qu’un sommet citoyen et un village mondial des alternatives se tiendront à Montreuil les 5 et 6 décembre.
Comment le mouvement climatique pourra- t-il arracher des victoires à l’avenir ?
Face à l’urgence climatique, et compte tenu des comportements criminels des gouvernements et des multinationales, nous avons le droit de désobéir pour stopper la machine à réchauffer la planète. Les mobilisations pour bloquer la construction de nouveaux pipelines, l’expansion du front d’extraction ou la construction de grands projets inutiles, que nous pouvons regrouper sous le terme Blockadia, s’articulent déjà aux alternatives, qu’elles soient locales ou à prétention globales, et qui préfigurent à la fois le monde de demain tout en nous donnant des marges de manoeuvre dans celui-ci. Il faut y rajouter le puissant mouvement citoyen pour le désinvestissement des énergies fossiles, qui sape les fondements de la légitimité sociale d’un secteur-voyou, et les mobilisations anti-Tafta dont l’ambition est de déverrouiller les conditions de possibilité de la transition. C’est en articulant ces différentes dynamiques que nous pourrons arracher les victoires dont nous avons besoin : Blockadia, Alternatiba, Désinvestissement, Tafta, Justice climatique, la route est tracée.